Système totalitaire, oppression généralisée de la population, service national à vie, absence totale de liberté, manque de moyens de communication, pas d’avenir autre que la poursuite de l’asservissement : voici l’enfer dans lequel les Erythréens vivent, voici l’enfer que certains d’entre eux tentent de fuir.

 

Héros de la guerre d’indépendance contre l’Ethiopie qui a duré trente ans, Issayas Afeworki est devenu le tortionnaire de son peuple. Sans Constitution, sans parlement, sans opposition, sans élection, sans presse libre, il gouverne par la terreur.

Le 18 septembre 2001, il fit rafler et jeter en prison ses principaux opposants. Depuis seize ans, aucun procès n’a eu lieu, aucun chef d’accusation n’a été énoncé, et aucune nouvelle n’est parvenue aux familles. Sont-ils même encore en vie ?

 

Au prix d’efforts herculéens, certains courageux ont réussi à fuir en déjouant la vigilance sadique de l’appareil de sécurité de l’Etat. Après des mois, parfois des années, d’errance, de voyages à pied, en camion, en bateau, ils sont arrivés en Europe. Nombreux sont ceux qui ont connu la torture, les enlèvements et les rançons, les viols. Tous ont vu mourir des amis et compagnons de route.

 

 

Comment ces courageux rescapés sont-ils accueillis en Europe ?

La morale la plus élémentaire comme le droit international commandent de les accueillir dignement et de leur octroyer immédiatement le statut de réfugié.

Or, si les demandes d’asile aboutissent avec succès dans quasiment la totalité des cas, beaucoup tardent à entamer la procédure, par manque d’information et d’accompagnement par les autorités publiques.

De plus, on demande à ceux qui, après plusieurs années, effectuent une demande de naturalisation de se rendre à l’ambassade du pays qu’ils ont fui pour y obtenir un passeport, nécessaire dans la procédure. Pour cela, ils doivent signer une déclaration d’auto-critique dans laquelle ils présentent des excuses pour avoir fui et proclament accepter toutes les mesures de punition que le gouvernement pourrait prendre. Comme cela expose leurs proches restés au pays à de graves dangers, beaucoup renoncent.

 

Quelle est l’attitude de l’Europe par rapport à l’Erythrée ?

Obnubilés par la peur panique de voir des réfugiés atteindre le continent, les Etats européens lui octroient des centaines de millions d’euros, dans l’espoir que cela permettra d’empêcher les Erythréens de fuir leur pays. De plus, ils lui permettent d’extorquer sous la contrainte une « Taxe de 2% » des revenus à la diaspora, malgré les condamnations onusiennes de cette pratique. Ils concluent par ailleurs des accords avec le régime criminel du Soudan, qui confie à d’anciens miliciens responsables de crimes contre l’humanité au Darfour le contrôle de certaines parties de la frontière avec la Lybie. Là-bas, ils s’engagent avec des acteurs parfois bien peu recommandables, qui exploitent et maltraitent les réfugiés. A tort, les Européens s’inspirent du funeste accord avec la Turquie sur les réfugiés, aux effets dévastateurs sur la démocratie et les droits humains.

Les conséquences de cette politique sont inverses aux buts recherchés et contraires aux valeurs fondamentales de l’Union Européenne : le régime en place à Asmara n’est pas devenu moins totalitaire, mais il est devenu plus fort. Ainsi, les raisons de fuir sont renforcées et les dangers à le faire, aggravés. Le nombre de candidats au départ ne diminue pas, et le nombre de morts et d’opprimés augmente.

 

Afin d’aider les Erythréens à construire un avenir fait de liberté et de prospérité et non de souffrance, d’asservissement et d’exil, quelques actions simples doivent être menées.

 

Tout d’abord, les autorités publiques des pays européens doivent informer au mieux les Erythréens qui ont rejoint le continent, dans l’objectif de leur octroyer au plus vite le statut de réfugié. De même, la procédure de naturalisation doit être amendée, pour que ces derniers n’aient pas à choisir entre l’accession à la citoyenneté et la sécurité de leurs proches.

 

Ensuite, les politiques européennes relatives à l’Erythrée doivent être profondément changées, et la « Taxe de 2% » ne doit plus être tolérée, afin d’arrêter de contribuer au renforcement de son régime totalitaire et à l’oppression de sa population, notamment les candidats à l’exil. Il faudra pour cela arrêter d’être paralysés par la peur de voir ces damnés de la terre rejoindre l’Europe, et comprendre que l’accord avec la Turquie sur les réfugiés est un exemple à éviter, et non à suivre.

 

Enfin, les familles des opposants et des anonymes emprisonnés doivent être aidées, notamment pour obtenir des nouvelles de leurs proches, par exemple par le parrainage de personnalités. Les opposants, militants et journalistes en exil doivent également être soutenus, afin que puisse se reconstituer une société faite de diversité d’opinion, de vitalité et de liberté.

 

 

Pour la fin de l’oppression des Erythréens, il est moralement juste et politiquement urgent d’agir.

 

 

par :

Benjamin Abtan, président du Mouvement antiraciste européen – EGAM, coordinateur du Réseau Elie Wiesel de parlementaires d’Europe pour la prévention des crimes de masse, Meron Estefanos, journaliste, directrice de la Eritrean initiative on refugees rights (Erythrée, Suède), Beate et Serge Klarsfeld, présidents des Fils et filles de déportés juifs de France, ambassadeurs honoraires et envoyés spéciaux de l’UNESCO pour l’enseignement de l’histoire de l’Holocauste et la prévention du génocide (Allemagne et France), Daniel Mekonnen, professeur, avocat, co-fondateur du Eritrean movement for democracy and human rights (Erythrée, Suisse), Asli Erdogan, écrivaine (Turquie), Khedijah Ali Mohamed-Nur, directrice du Network of Eritrean women (Erythrée, Royaume-Uni), Kim Campbell, ancienne Première ministre du Canada, présidente du World movement for democracy (Canada),Amanuel Ghirmai, journaliste, co-fondateur de Radio Erena (Erythrée, France), Danis Tanovic, cinéaste (Bosnie-Herzégovine), Mussie Zerai, prêtre, président de la Habheshia agency cooperation for development (Erythrée, Italie), Rithy Panh, écrivain, réalisateur (Cambodge, France), Vanessa Berhe, présidente de One Day Seyoum (Érythrée, Royaume-Uni), Miguel Ángel Moratinos, ancien ministre des Affaires étrangères (Espagne), Feruz Werede, militante contre la « Taxe 2% » (Erythrée, Royaume-Uni), Zineb El Rhazoui, journaliste (Maroc, France), Helen Kidan, responsable du plaidoyer du Eritrean movement for democracy and human rights (Erythrée, Royaume-Uni), Advija Ibrahimovic, porte-parole de Women of Srebrenica (Bosnie-Herzégovine), Mussie Ephrem, militant des droits humains, ancien dirigeant politique suédois (Erythrée, Suède), Yonous Muhammadi, président du Forum grec des réfugiés (Grèce), Aaron Berhane, journaliste, rédacteur-en-chef de Meftih (Erythrée, Canada), Oliviero Toscani, artiste plasticien (Italie), Selam Kidane, militante des droits humains (Erythrée, Royaume-Uni), John Stauffer, fondateur de America Team for Displaced Eritreans (Etats-Unis), Samuel Bizus, militant des droits humains (Erythrée, Etats-Unis), Martin Plaut, journaliste (Royaume-Uni)

 

Benjamin Abtan

President of the European Grassroots Antiracist Movement – EGAM

Coordinator of the Elie Wiesel Network of Parliamentarians of Europe

@ : benjamin.abtan@gmail.com

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