“ Après trois jours de détention durant lesquels je me contentais d’un litre et demi d’eau pris directement au robinet que l’on mettait à la disposition de chaque prisonnier, j’avais perdu toutes mes forces. La faim me tenaillait et je ne pouvais m’empêcher de penser à ces tchadiens qui, même en liberté, manquent de quoi mettre sous la dent à cause de la cherté de la vie. Au bout du troisième jour, aux environs de minuit, les geôliers me firent sortir pour la première séance de torture.

Ce que j’ai subi, même votre pire ennemi ne saurait vous le souhaiter. Mes mains menottées au dos supportaient mal le poids d’une chaussure rangers qu’un des tortionnaires m’avait posé sur les mains. Un autre était chargé de maintenir mes deux épaules pour me tenir stable. Un troisième, plus cruel, enveloppa ma tête jusqu’au coup d’un sac plastique contenant du piment moulu ou une substance semblable. Au fur et à mesure qu’il remuait le sac en plastique, j’étouffais. L’effet du « piment » en poudre dans les yeux, les oreilles et la bouche me faisait suffoquer. Au bout d’un temps, c’est comme si j’allais pousser le dernier soupir. Constatant que je n’en pouvais plus, mes tortionnaires observèrent une pause et ôtèrent le sac en plastique de ma tête. Ils me permirent de me laver le visage. Quelle douleur ! Je n’avais jamais autant senti mal. Les yeux larmoyants, je toussais. Commença alors l’interrogatoire.

– Qui te finance ?

L’enquêteur parlait dans un arabe qui m’était incompréhensif. Et il fallait qu’un interprète reprenne ses propos en arabe local pour que je comprenne l’essentiel.

-Quels sont les blancs qui te financent, français ou américains ?
-Qui de Kebzabo, Laokein, Yorongar et Dadnadji te financent ?

Je ne répondais invariablement personne, les ressources de l’Association proviennent des cotisations de ses membres et sympathisants.
– Tu mens. Où trouves-tu autant d’argent pour organiser des actions ? Ce n’est pas avec vos maigres cotisations que vous menez des actions instantanément. Il suffit de citer les noms de ceux qui financent le CTVC pour que l’on mette fin à ta torture et que tu recouvres la liberté si non…
Ma réponse fut la même. Et mes bourreaux me soumirent à une autre forme de torture. Cette fois-ci, ils introduisent un tuyau dans ma bouche et ouvrirent un robinet à haut débit. Mon ventre s’enfla comme un ballon et l’eau sortait de tous les orifices, la bouche, l’anus, les narines.

Les questions reprirent avec plus d’intensité. C’est aux environs de 04h du matin que mon supplice s’arrêta. La loque humaine que j’étais devenu a été introduite à nouveau dans la cellule. La seconde séance de torture eut lieu le 21 avril 2017 avant notre transfèrement vers la coordination de la police, en compagnie de deux camarades prisonniers du mouvement citoyen (IYINA) à savoir Nadjo Kaina et Bertrand Solo Ngandjei. L’épée de Damoclès était suspendue sur ma tête. Il m’a été formellement interdit par mes tortionnaires de relater devant les juges ce que j’ai subi. Aucun témoignage quelconque aux hommes des médias nationaux et internationaux, à propos de la torture subie ne devrait provenir de moi. Et si jamais je m’entêtai à le faire, je me verrai couper la tête au prochain enlèvement.

Rien qu’à y songer aujourd’hui, je revois tout le calvaire et ne peux résister à me poser cette question. Quel crime ai-je commis pour être traité de la sorte dans un pays qui se dit pourtant démocratique ? Quatorze (14) jours aux mains de ces bourreaux dans une geôle située à proximité de l’aéroport à en croire le bruit assourdissant que nous entendions à chaque décollage et atterrissage. Ces 14 jours en cellule enchainé et livré aux bourreaux de l’Ans furent pour moi une éternité. Cela m’a permis de voir l’autre visage d’un régime qui prône haut et fort la démocratie mais qui maltraite les citoyens à qui les libertés fondamentales sont confisquées par des bourreaux qui pratiquent les tortures du temps de la DDS.

Comment admettre, qu’à cause de leurs idées, des citoyens soient torturés non loin de là où atterrissent tous les jours des hommes et femmes qui croient venir dans un pays considéré comme un ilot de paix ? “

N’Djamena le 09 mai 2017

Le Président

DINGAMYANAL Versinis

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