L’opposant tchadien Succès Masra, fondateur du parti Les Transformateurs, a été reçu début octobre au Quai d’Orsay par Rémi Maréchaux, directeur Afrique et Océan indien.

Le 1er octobre, l’opposant Succès Masra a été reçu au Quai d’Orsay par Rémi Maréchaux, directeur Afrique et Océan indien. Au menu de cette heure de discussion : les questions migratoires, la sécurité et le rétrécissement de l’espace démocratique au Tchad.

Ne dîtes pas à Succès Masra que certaines attitudes et ambitions vous rappellent chez lui un certain Emmanuel Macron. Bottant le président français en touche, le Tchadien formé au Tchad, au Cameroun et en France vous répondra Thomas Sankara et Barack Obama, après avoir cité Martin Luther King et Nelson Mandela. Il existe de plus mauvaises références.

Ancien économiste en chef à la Banque africaine de développement (BAD), dont il vient de démissionner, il a lancé le 29 avril son mouvement politique, baptisé « Les Transformateurs », en espérant rassembler les Tchadiens, « de l’extérieur comme de l’intérieur », autour d’un projet d’une république nouvelle, « solidaire », « exigeante » et « juste ».

Énergie, éducation, travail, lutte contre la corruption, intégration sous-régionale… Succès Masra répond aux questions de Jeune Afrique.

Jeune Afrique : Idriss Déby Itno vient de promulguer une nouvelle Constitution et d’initier la IVe République. Que vous inspire ce changement institutionnel ?

Succès Masra : Ce n’en est pas vraiment un. On nous dit qu’on est passé dans un régime présidentiel intégral. Soit, mais Idriss Déby Itnoavait déjà tous les pouvoirs. Au lieu de répondre aux véritables questions et de trouver des réponses à la crise que vit le Tchad depuis plus de 30 ans, le président a mis sur pied un forum où n’étaient présents que ses fidèles et quelques voix discordantes mais anecdotiques. C’est un simulacre et cela n’a contribué qu’à supprimer certains symboles comme la Cour des comptes, le Conseil constitutionnel, la Haute Cour de justice ou la primature, qui étaient pourtant des outils d’unité nationale. Cela ne fait que mettre en valeur le fait que le Tchad a besoin d’un changement radical de leadership.

C’est-à-dire ?

Je souhaite avant tout construire un Tchad exigeant et solidaire, avec des citoyens, de l’intérieur et de l’extérieur, qui se sentiraient copropriétaires d’une unité nationale et d’un État protecteur envers les plus défavorisés. Chacun, selon ses capacités, doit avoir le sentiment de travailler pour un projet qui le concerne. Il faut mettre fin à l’idée que le Tchad est un butin de guerre confisqué par une caste. Pour cela, il faut une République exigeante mais aussi juste et solidaire.

NOUS DEVONS VALORISER LE TRAVAIL ET COMBATTRE LES PROFITEURS

Qu’entendez-vous par « République exigeante » ?

Une République basée sur des contrats de performance. Plutôt que de prêter serment sur la Bible ou le Coran, faisons signer aux agents de l’État un engagement laïc. Si je suis ministre de l’Énergie, je dois m’engager à faire grimper le taux d’accès à l’électricité. Si ce n’est pas le cas, j’ai échoué. Nous devons instaurer une obligation de résultats, avec une dose de bienveillance, qui amènera les personnes à s’améliorer. C’est une question de crédibilité.

Le président actuel a promis au moins 30 fois de mettre fin à la gabegie financière. Mais, réellement, où en sommes-nous ? Il s’agit d’être exigeant. Le travail est notre véritable réserve d’énergie. Nous devons le valoriser et combattre les profiteurs. Il est impensable qu’un agent public affiche des dépenses qui sont cinq ou six fois supérieures à son niveau de revenu.

Vous semblez particulièrement viser les fonctionnaires…

Je ne crois pas que les fonctionnaires soient aujourd’hui trop nombreux mais il est clair qu’il faut réformer le secteur et le rendre plus efficace en y injectant davantage de déontologie. Je propose d’y rendre obligatoire une déclaration de patrimoine. Ceux qui ne veulent pas s’y soumettre n’auront plus accès à la fonction publique et ce sera leur droit le plus absolu. Mais ceux qui voudront jouer un rôle public devront s’y conformer et jouer le jeu de la transparence.

JE SOUHAITE INSCRIRE DANS LA CONSTITUTION QUE LE BUDGET DE L’ÉDUCATION NE PEUT PAS ÊTRE REVU À LA BAISSE

Vous parlez également d’un Tchad solidaire. Quelles sont vos propositions ?

Je souhaite créer une assurance maladie universelle. Si chacun verse 100 ou 200 francs CFA (0,15 ou 0,30 euros) et que nous complétons avec des apports privés, alors nous aurons une somme suffisante pour garantir le remboursement des soins de base. Ce n’est pas impossible. Mais je veux surtout faire de l’éducation la grande cause de notre pays. Le ministère de l’Éducation, du primaire à l’université, sera premier dans le rang protocolaire et nous inscrirons dans la Constitution que son budget ne peut pas être revu à la baisse en termes de pourcentage du PIB. L’éducation est la base de l’innovation qui devra nous permettre de construire nos solutions pour sortir de la crise.

Dans le contexte pétrolier actuel, le budget tchadien a-t-il les moyens de vos ambitions ?

Nous avons suffisamment de moyens pour répondre aux problèmes de notre pays, sans aller réclamer de l’argent dans les capitales étrangères. C’est une question de volonté politique et de gouvernance. Il y a des pays, comme le Rwanda, qui n’ont pas de ressources pétrolières et qui s’en sortent bien mieux que nous. Au Tchad, 90 % des gens n’ont pas accès à l’eau potable ! Or, ce n’était pas mieux quand les cours du pétrole étaient hauts.

Nous pouvons régler le problème de l’accès à l’énergie. Notre pays a un des taux d’ensoleillement les plus élevés au monde. Prenons donc exemple sur le Maroc et ses centrales solaires ! Profitons également de nos voisins. Je plaide pour une diversification économique véritable au niveau de la sous-région, basée sur les atouts des uns et des autres, notamment entre le Cameroun et le Tchad.

L’AFRIQUE CENTRALE DOIT CESSER D’ÊTRE LA LANTERNE ROUGE DU CONTINENT

N’est-ce pas déjà le rôle de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac) ?

Si. Mais elle ne le remplit pas. C’est pourquoi je voudrais créer un bureau sous-régional de diversification économique. Mon objectif est de construire l’axe N’Djamena-Yaoundé sur le modèle de ce qui a été fait entre Paris et Berlin. L’Afrique centrale doit cesser d’être la lanterne rouge du continent.

Vous lancez votre mouvement politique à l’approche des législatives, qui doivent se tenir en novembre. Quels sont vos objectifs électoraux ?

Ce que nous voulons va au-delà des échéances électorales. Nous voulons être une force de proposition pour bâtir un Tchad meilleur et former des personnes à un nouveau mode de leadership pour progressivement gagner la place publique. L’idée, c’est de former les futurs décideurs, d’amener des personnes qui ne se sentaient pas forcément concernées par la politique à se lancer et à convaincre leur maire, leur député, etc… Certains d’entre nous pourront ensuite aller à l’Assemblée pour poursuivre ce travail. C’est ce que j’appelle l’école de la transformation, qui doit fonctionner à tous les échelons. Cela ne se fera pas en un jour mais chaque personne formée sera une bombe à retardement pour le système actuel.

Jeune Afrique

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