ENTRETIEN. La France vient de refuser de restituer au Bénin des œuvres d’art acquises pendant la colonisation. La directrice de la Fondation Zinsou réagit. On s’attendait à la voir du côté des débatteurs ce lundi après-midi en plein cœur du pavillon Afrique au Salon du livre de Paris. Mais c’est bien dans le public que Marie-Cécile Zinsou s’était tranquillement assise. Cheveux tirés en arrière par un joli bandeau noir, sourire au lèvres, l’attention totale. Normal, ça discute passionnément d’art contemporain. Sa raison de vivre. La fondatrice de la Fondation Zinsou s’est très peu exprimée dans les médias internationaux depuis l’officialisation de la demande du Bénin de récupérer ses objets d’art dits anciens pillés par la France durant la colonisation. La jeune femme de 34 ans installée à Cotonou préfère donner la primeur de ses propos à la presse locale, et réagit bien efficacement sur les réseaux sociaux. Mais la passion pour l’art brûle trop en elle pour garder le silence face au flux d’informations, de réactions, de campagnes et de contre-campagnes. D’échange en échange, Marie-Cécile Zinsou finit par nous donner quelques pistes de réflexion sur ce débat décisif.

De quels objets anciens s’agit-il ? Il faut remonter en novembre 1892 à la chute du royaume d’Abome. Parmi les butins de guerre des vainqueurs menés par le général Alfred Dodds figurent des « trônes royaux, des récades (sceptres royaux), les portes sacrées du palais d’Abomey, des statues anthropomorphes, la statue du dieu Gou, des statues représentant les rois Glèlè et Gbèhanzin et bien d’autres. L’ambassadeur de la délégation du Bénin pour l’Unesco, Irénée Zevounou, estime que « 4 500 à 6 000 objets sont en France, y compris dans les collections privées ». Mais ces chiffres n’ont pas été à ce jour authentifiés et il n’existe pas de liste précise dans la demande officielle du Bénin.

La plupart de ces pièces sont actuellement préservées dans les collections du musée du Quai-Branly à Paris.

Après une annonce fracassante le 27 juillet 2016, le Bénin a fait une demande officielle en septembre de la même année au Quai d’Orsay. Mi-mars, les ministres des Affaires étrangères et de la Culture se sont rendus à Paris, surtout après le refus de la France. Mais le pays de Patrice Talon n’est pas le premier pays africain au sud du Sahara à faire cette demande. Le Nigeria voisin, qui fut un temps en partie béninois, réclame depuis de nombreuses années le retour des bronzes pillés par l’armée britannique en février 1897.

La convention de l’Unesco de 1970, dont la France est signataire, mais pas le Bénin, n’est pas rétroactive : elle ne s’applique que pour les transferts d’objets qui ont eu lieu après 1970.

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Le Point Afrique : Comment avez-vous appris la nouvelle du refus de la France de rendre au Bénin les objets dits “anciens” ?

Marie-Cécile Zinsou : C’est par courrier que j’ai appris cette nouvelle. En effet, j’ai eu accès aux deux lettres. Celle qu’avait envoyée le ministre béninois des Affaires étrangères à son homologue français (Jean-Marc Ayrault, NDLR) et la réponse de ce dernier. Dans cette lettre officielle, le Bénin a fait une demande qui me semble “légère” pour un sujet que je juge sérieux. En conséquence, le gouvernement a reçu une réponse tout aussi « légère » de la part de la France.

Vous savez, on rentre dans un débat qui est essentiel. Car la restitution des objets issus de l’ancien royaume de Danhomè (Dahomey en français) et passés dans le giron de la France à la fin du XIXe siècle lors de la conquête du pays pose la question de l’Histoire. Aujourd’hui, plusieurs sont exposés dans les musées en France, notamment au Quai-Branly. Malheureusement, c’est une page de l’Histoire qui n’est pas regardée franchement. Ni du côté africain ni du côté européen. Fondamentalement, il ne s’agit pas pour le Bénin de récupérer tous les objets dahoméens qui sont en France. La plupart y sont de manière parfaitement légale.

De quelle Histoire parle-t-on dans ce débat ?

Dans ce cas précis, il s’agit de l’histoire de la colonisation française. C’est une période sur laquelle on n’a pas le droit de poser de question. Et bien souvent qu’on regarde encore avec honte. Tant que ces objets seront dans les collections françaises sans que soit posée la question de leur origine, cela constituera un problème pour la France.

Alors dites-nous, finalement, la demande du Bénin est légitime ou pas ?

Pour ma part, il me semble raisonnable d’interroger la légitimité de la France à garder ces objets sur son territoire. Aujourd’hui, le Bénin a donc parfaitement le droit de demander des objets qui ont été volés par le général Alfred Dodds, qui a conquis le Dahomey pour la France à la fin du XIXe siècle.

Maintenant, au cœur de ce débat, il y a un amalgame permanent.

Quel est cet amalgame ?

Finalement on se retrouve avec un sujet limité à la question de savoir si le Bénin est capable ou pas de « correctement » conserver ses œuvres. Cette question est méprisante, mais surtout elle est inutile.

Selon vous, quels doivent être les termes du débat ?

La vraie question à se poser est de savoir à qui appartient ce patrimoine détenu aujourd’hui dans les collections françaises. Je pense que la réponse est fondamentalement dahoméenne.

Je pense que ce patrimoine nous appartient. Mais il y a des lois. En France, les dons aux collections des musées nationaux sont inaliénables. Certaines de ces lois s’appuient sur les conventions de l’Unesco, des textes internationaux sur les butins de guerre et les spoliations qui sont postérieurs au pillage du Bénin (la première convention date de 1899) et ne sont pas rétroactifs.

Donc, ce cadre juridique est loin de permettre au Bénin de récupérer ses objets anciens. Et ça, c’est injuste.

Pouvez-vous nous expliquer la notion « d’inaliénabilité » invoquée par la France pour garder ses biens ?

En fait, ce principe est formulé à l’article 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques dans les termes suivants : « Les biens des personnes publiques qui relèvent du domaine public sont inaliénables et imprescriptibles. » Plus spécifiquement, la loi du 4 janvier 2002, codifiée à l’article 451-5 du Code du patrimoine, affirme que « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables ». Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’à partir du moment où un objet entre dans les collections nationales françaises, il entre dans l’histoire du pays, et donc il ne peut plus jamais en sortir.

Mais encore faut-il savoir comment ces objets anciens sont entrés dans ce patrimoine. Certains de ces objets sont clairement entrés dans des conditions qui sont douteuses. Je crois donc qu’il faut être capable de prendre du recul et de regarder les choses en face.

Aujourd’hui, évidemment, ce débat crée toute sorte de folies et de réactions, mais il y a une loi et il faut d’abord changer cette loi.

Mais si la France ne fait rien, une pétition ou le recours à la pression peuvent-ils faire aboutir la demande du Bénin ?

Non. À mon avis, c’est un dialogue diplomatique, un dialogue politique et un dialogue culturel qui doivent être engagés. En attendant, ces objets peuvent voyager et ils l’ont déjà fait par le passé.

Souvenez-vous, en 2006, le musée du Quai-Branly, sous l’impulsion des présidents Jacques Chirac et Boni Yayi, avait prêté à la Fondation Zinsou des objets de la collection des Régalias (ensemble des symboles matériels du pouvoir royal). Résultat : nous avons eu plus de 275 000 visiteurs en trois mois. Donc la coopération muséale fonctionne entre nos deux pays. Les États peuvent renforcer ce type de coopération en attendant de trouver des solutions politiques et juridiques.

Maintenant, que doit faire le Bénin ? Par quoi commencer ? Signer la convention de 1970 de l’Unesco ? Régler la question juridique ?

Il faut que les pays comme le Bénin fassent leur examen de conscience sur la façon dont ils gèrent leurs collections nationales. Nous, par exemple, au Bénin, gérons ce patrimoine de manière dramatique. Ça doit changer. Le pays peut commencer tout simplement par dresser l’inventaire des objets qui sont concernés par la demande de restitution.

Avez-vous une idée, à votre niveau, du nombre d’objets concernés ?

Non. Aucun inventaire n’a été fait. On parle de 5 000 objets, mais l’origine de ce chiffre est incertaine. Sur le site de l’Unesco et du Quai-Branly, les dons du général Dodds sont estimés à 40 objets. Il faut voir s’il y en a d’autres.

Cette question ne va pas se régler en cinq minutes, ni par une pétition. Il faut s’asseoir, discuter. C’est un dialogue, un travail de recherche et c’est probablement une action qui va s’inscrire dans la durée.

Mais je reste persuadée que c’est une vraie réflexion qu’il faut avoir aujourd’hui et maintenant. La population française y est sensible, la population béninoise y est aussi très sensibilisée. On a tous intérêt à faire un acte de grand intérêt qui honorera nos deux pays.

Que peut faire l’Unesco dans ce débat ?

C’est compliqué, parce que le Bénin n’est pas signataire de la convention de 1970. Notre pays a beaucoup de travail. Il y a une vraie question à se poser sur le patrimoine. Pour l’instant, on ne parle que des objets anciens, on ne parle pas des artistes contemporains et du fait qu’on ne les aide pas, qu’on ne leur donne pas de structures d’exposition. Je crains qu’on ne se retrouve avec les mêmes problèmatique sur le patrimoine actuel, absent des collections nationales béninoises.

C’est un débat qu’il faut aborder maintenant ?

C’est un vrai sujet parce que le monde entier s’intéresse à l’art contemporain africain. Au Bénin, nous sommes légèrement en retard dans tout ce qui est structure étatique autour de la création contemporaine. Nos artistes se font seuls ou grâce à l’appui international, mais n’ont pas de soutien intérieur et ça, c’est une situation qui doit changer.

Si la question des objets anciens est une question juridique et légale qui va prendre du temps et nous obliger à replonger dans notre histoire partagée avec la France – la question de la création artistique contemporaine, c’est une question de volonté immédiate. Que fait-on aujourd’hui avec notre création contemporaine ? Elle enchante le monde, et tant mieux, mais pourquoi nous privons-nous de cette création ?

Tout est urgent en fait…

Le gouvernement doit se bouger. C’est urgent. Pour l’instant, le gouvernement béninois est un mauvais élève. Ce n’est pas une critique sur l’équipe en place actuellement, c’est une question qui dure depuis l’indépendance.

Aujourd’hui, on peut sauver notre patrimoine, sauver notre histoire et sauver notre avenir.

Comment développer la coopération muséale ?

Pour l’exposition du Quai-Branly qui a eu lieu à la Fondation Zinsou en 2006, on nous a tout simplement donné les conditions d’exposition pour les objets. Nous avons répondu à toutes les conditions et on a reçu ces objets pendant trois mois. C’est facile ! Il faut juste se donner les moyens de le faire, et tout le monde peut le faire : les collections privées, les musées nationaux. Mais en fait, la vraie question est : qui est équipé pour et qui répond aux conditions muséologiques ? Il faut être capable de recevoir ces objets dans certaines conditions, c’est un métier, il faut apprendre. Et la preuve que c’est possible : nous avons près de 800 œuvres au musée de Ouidah qui sont dans d’excellentes conditions.

PROPOS RECUEILLIS PAR

Le Point Afrique

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