L’Éthiopie est l’un des rares pays africains qui ont tout bonnement refusé d’être colonisés et ce, par la force des armes. Une sorte de refus actif et musclé. Les Italiens en sont témoins. Il faut comprendre ici le fait que la guerre fait partie de la culture politique de ce grand pays africain dont une partie est souveraine depuis plus 3000 ans.

Le pays est, malheureusement, meurtri par des décennies des guerres fratricides avec comme corolaires la famine, la sécheresse, a maladie, etc., faisant des milliers et des milliers des victimes, mais aussi un retardement abyssal dans le domaine du développement socio-économique. Des guerres civiles mais aussi des guerres régionales dévastatrices comme la guerre de l’Ogaden avec la Somalie voisine, du juillet 1977 au mars 1978, la Guerre Froide oblige.

Cependant, ces dernières décennies, surtout sous le règne du feu Meles Zenawi, le pays a connu une certaine stabilité politique avec une croissance promettante de son économie. Un développement record en termes d’infrastructure. Elle est, même, devenue une destination privilégiée des grands investisseurs internationaux.

Toutefois, à la grande surprise des observateurs, l’Éthiopie renoue, soudainement, avec son passée sombre des guerres et des crises humanitaires. Pour rappel, le présent conflit a commencé en novembre 2020 avec une attaque des éléments du TPLF sur les postions des forces fédérales Ethiopiennes à Mekele, capitale régionale de la Tigrée. La riposte de cette dernière a provoqué un conflit armé généralisé dans toute la zone.

Pour comprendre le conflit, en cours, entre les forces gouvernementales fédérales Ethiopiennes, d’une part et les combattants du Tygray People’s Liberation Front (Front de la libération du peuple Tigréen) TPLF (créé le 18 février 1975),  d’autre part, il faut remonter aux années 70s quand  des différents groupes rebelles éthiopiens luttaient pour renverser le régime marxiste de Mengistu Haile Mariam à la tête de la Junte qui avait, auparavant renversé le Negusa Negast (roi des rois) l’Empereur Hailé Sélassié, précisément le 12 septembre 1974. Hailé Sélassié était empereur d’Éthiopie de 1930 à 1974, mort en détention (ou assassiné) le 27 aout 1975, après 44 ans, 5 mois et 9 jours de règne.

Dans cette coalition des rebelles il y avait, surtout, deux groupes au velléité sécessionniste, à savoir le TPLF dirigé par le Tigréen Meles Zenawi et le TPLE (PFDJ) dirigé par l’Erythréen Issas Afwarki. L’objectif de ces deux groupes était de conquérir l’indépendances de leurs régions de l’Éthiopie mère. Sur l’Érythrée dont statut d’état fédéré a été aboli par l’empereur Hailé Sélassié.

Après la chute du régime marxiste de Mengistu et de son parti, le Parti des Travailleurs de l’Éthiopie, les Erythréens ont immédiatement proclamé, comme prévu, leur indépendance le 24 mai 1991. Ainsi, la création de la république de l’Érythrée fut déclarée le 24 mai 1993 avec à sa tête le sieur Issias Afwerki comme premier président de ce nouvel État.

Par contre, le leader du TPLF, Meles Zenawi Asres devient président de de la République Fédérale de l’Éthiopie du 1991 à 1995, puis Premier Ministre (exécutif) de 1995 jusqu’à sa mort en 2012.  Ainsi le projet d’indépendance du Tigrée est -il classé ou, apparemment, ajourné.

Il faut reconnaitre, au passage, que Zenawi a été un Premier Ministre très populaire qui a vraiment réussi son pari. Sous son règne l’Éthiopie a connu un vrai essor dans tous les domaines. Sortie d’une guerre civile dévastatrice et une famine inouïe, sous ses commandes le pays est devenu un état moderne avec une économie assez solide. Personne n’a contesté son régime à cause du fait qu’il était Tigréen, bien que sa communauté (les tigréens) ne représente que 5% de la population Ethiopienne.

L’Homme propose Dieu dispose, le Premier Ministre Zenawi a été remporté par la mort pendant l’exercice de son pouvoir, le 20 août 2012, Il a été remplacé par un autre Ethiopian- Hailéariam Desalegn Boshe, appartenant au groupe ethnique Wolaita du sud du pays. Une alternance logique et heureuse, par lequel le pouvoir passe du nord au sud.

Par une décision surprise, le successeur de Zenawi, le Premier Ministre Dessellai a décidé d’abandonner son poste de Premier ministre, en 2018, après seulement six ans de règne. La coalition au pouvoir, à savoir l’Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front (EPRDF) a choisi un homme qui incarne, vraiment, le multiculturalisme éthiopien. Un colonel de l’Armée Ethiopienne à la retraite, Aby Ahmed Ali, du Parti Démocratique d’Oromo (ODP). Aby Ahmed est d’un père Musulman (Ahmed Ali) de la communauté Oromo (la plus grande communauté) et d’une mère chrétienne, Tezeta Wolde appartenant au groupe ethnique Oromo, mais culturellement Amhara. Malgré le nom Musulman, Aby Ahmed lui-même est un chrétien pratiquant.

Apparemment, les Tigréens, dirigé par leur leader actuel, Debretsion Gebremichael, se sont rappelés leur ancien projet d’indépendance quand le leur n’est plus au pouvoir. Faut-il rappeler que le TPLF était le parti au pouvoir et membre du EPRDF mais il a quitté cette dernière après la mort de Zenawi. Les Tigréens sont tellement confus dans leurs choix stratégiques que quand ils ont commencé à avoir des victoires successives sur l’Armée fédérale ils ont décidé de marcher sur la capitale fédérale, en s’emparant sur leur route des régions telles qu’Amhara, Afar, etc. Donc, l‘objectif du TPLF n’est plus l’indépendance de la Tigrée mais conquérir le pouvoir central. Comme on s’attendait, c’est l’effet boomerang qui est entrain se produire sur le plan militaire après la descente du Premier Ministre Ahmed sur le terrain et l’entrée en scène des autres acteurs.

Par conséquent, les Tigréens doivent savoir ce qu’ils veulent exactement, car la différence entre sécession et changement de régime n’est pas une question de nuance sémantique mais plutôt un choix stratégique radical. Le sort d’une nation ne doit pas être l’objet d’une promiscuité pareille.

Les responsables Tigréens doivent avoir pitié de leur peuple qui n’a que trop souffert. Ils doivent s’accorder sur leur choix stratégique. L’ombre des puissances étrangères dans la montée en puissance de leur mouvement n’est qu’un secret de polichinelle mais le sort de leur people doit primer sur tout autre considération ou des visées hégémoniques des puissances régionales ou internationales. Le bienêtre de leur peuple doit les préoccuper profondément.

Dans un monde d’interdépendance accrue où même des Etats Nations déjà indépendantes depuis des siècles se voient obligées de former des blocs avec des autres états pour fonctionner normalement, je me demande : quel est l’avenir d’un « état » tigréen qui n’a visiblement aucune potentialité de viabilité. Il y a quand bien même une différence entre ce que l’on veut et ce qui est humainement possible. Promettre l’impossible est une démagogie idéaliste et sans avenir.

A mon humble avis, les Tigréens doivent réfléchir davantage sur le bienfondé même de leur lutte pour indépendance à issue très incertaine. S’ils nourrissent un sentiment d’injustice -ils ne sont, sans nul doute, pas seuls- il est tout à fait légitime qu’ils réclament une réparation et ce avec force, mais dans le cadre d’une Éthiopie unie et fédérale. L’expérience du sud-sundanais voisin est un exemple vivant d’une indépendance échouée.

Al-Amine Mohammed Abba Seid

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