Président de la chambre de commerce, d’industrie, d’agriculture, des mines et de l’artisanat du Tchad, le patron d’Owiya service et formation veut décomplexer ses compatriotes entrepreneurs et rassurer les investisseurs étrangers. De N’Djamena, à Bangui, en passant par Maurice, portrait d’un homme au parcours atypique.

Il est né un 1er janvier à Mao, dans le Kanem, premier d’une fratrie de vingt-deux enfants, et il fut, chaque année, le premier de sa classe… Ali Adji Mahamat Seid a toujours été un « leader ». C’est presque sans surprise qu’il a été élu, en septembre 2020, à la tête de la Chambre de commerce, d’industrie, d’agriculture, des mines et de l’artisanat (CCIAMA), où il succède à Amir Adoudou Artine, le patron du groupe Geyser.

« Mes parents ont divorcé quand j’étais enfant, et j’ai été élevé par ma grand-mère paternelle. Elle m’a tout donné, des valeurs surtout, à commencer par le bon sens et l’amour du travail bien fait, se souvient l’homme d’affaires. Elle voulait que je sois un homme bien… Aussi, elle a toujours mis la barre très haut. J’ai grandi comme ça, dans cette exigence. » Ali Adji Mahamat Seid apprend la vie dans les rues ensablées de Mao, à plus de 300 kilomètres au nord de N’Djamena.

La ville, située aux portes du Sahara, est célèbre pour son marché aux dromadaires. Le père d’Ali Adji Mahamat Seid exporte du bétail sur pied vers le Nigeria, dont il rapporte des denrées, qu’il revend à Mao. « À 10 ans, j’étais déjà un entrepreneur-commerçant, j’aidais mon père à ‘dispatcher’ ses produits dans les marchés. Je me débrouillais seul. On vendait de tout : du thé, des bonbons, du sucre, etc. À 15 ans, le soir, je soutenais mes frères et sœurs dans leurs études. Je viens d’une communauté où la responsabilité de l’aîné est très importante. Enfant, j’étais l’adjoint de mon père en quelque sorte. » Et être adjoint suppose généralement de devenir un jour le premier.

Ressources humaines

Numéro un, il le devient déjà en tant que gardien de but dans la petite équipe de football de Mao, où, pour mériter sa place de titulaire, il apprend à déjouer les attaques. Après des études secondaires au lycée Félix-Eboué de N’Djamena, où il obtient un bac scientifique, Ali Adji Mahamat Seid intègre l’université de Bangui, dont il sort avec un diplôme supérieur en gestion des entreprises, spécialisé en finance et comptabilité. Il se marie et s’envole avec sa nouvelle épouse vers une destination « inconnue » : l’île Maurice. Il découvre la mer, le farniente et s’y installe.

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En 2001, il passe avec brio son diplôme d’études professionnelles approfondies (Depa) en entrepreneuriat à l’Institut de la francophonie de Maurice, pour la validation duquel il présente un projet de structure pour valoriser les ressources humaines de N’Djamena. Il obtient également un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en création d’entreprise et gestion de projets innovants (reconnu par l’université Montesquieu de Bordeaux-IV en 2002). « L’île Maurice a confirmé mon goût pour l’entrepreneuriat, d’abord parce que les Mauriciens ont, comme les Tchadiens, le sens du commerce. Et puis je me suis retrouvé dans un environnement stimulant, avec des élèves brillants qui arrivaient des quatre coins de la planète. Je me suis fait des amis haïtiens, canadiens, français… Et un énorme réseau d’affaires ! »

Business plan, audit, formation…

Ali Adji Mahamat Seid revient à N’Djamena, où il est aussitôt employé par Esso, qui lui confie la mission suivante : « Moins d’études de marché, moins de blabla, plus de concret. » Il fait ses premières armes au sein du groupe pétrolier américain en proposant divers services, comme le recrutement de professeurs pour enseigner l’anglais aux employés. En 2003, il quitte Esso pour fonder son propre cabinet, Owiya Service et formation (Osef Consultant), spécialisé en montage de projet, business plan, conseil en passation de marché, audit, expertise comptable, formation et évaluation.

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Dans la foulée, l’entrepreneur crée Owiyana Agro-alimentaire. Dans son jardin, il plante des arbres fruitiers pour fabriquer du jus de fruit bio. C’est un tel succès que l’état-major militaire français lui propose un gros contrat pour fournir les bases militaires de toute la sous-région. Le marché est alléchant, le projet ambitieux, mais « un peu trop précoce » selon l’homme d’affaires, qui décline l’offre et décide d’arrêter temporairement la production de jus de fruits pour se concentrer sur ses activités de conseil en entrepreneuriat, bien plus porteuses et lucratives. Owiyana Agro-alimentaire poursuit ses activités d’exploitation agricole et d’élevage, et se diversifie dans la distribution d’intrants et de matériel agricole, sans oublier la formation, le conseil et les études techniques.

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Avec Osef, le consultant et expert-comptable agréé par la Cour d’Appel de N’Djamena gagne rapidement la confiance de grands clients, publics et privés. Il décroche notamment plusieurs marchés de formations et d’enquêtes auprès d’institutions et organisations internationales : Banque mondiale, Banque islamique de développement, Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (Maep)… Il est aussi le prestataire de Tigo Millicom (devenu Moov Africa Tchad depuis son rachat par Maroc Telecom en 2019), l’un des principaux opérateurs de téléphonie mobile du pays, pour lequel il est chargé, entre autres, du recrutement du personnel du centre d’appels et de sa gestion.

« Au Tchad, tout est possible »

Candidat de l’Alliance du consensus – plateforme d’opérateurs économiques tchadiens – à la présidence de la Chambre de commerce, d’industrie, d’agriculteurs, des mines et d’artisanat, Ali Adji Mahamat Seid est élu haut la main à la tête de l’institution consulaire. Depuis, « le président », comme on le surnomme, ne ménage pas ses efforts pour faire de la CCIAMA « un organisme qui fédère l’ensemble des opérateurs économiques du Tchad autour d’un projet commun d’expansion du secteur privé, et qui assure une interface crédible avec l’État ».

À 52 ans, il veut surtout mettre son expérience et ses réseaux au service de l’amélioration du climat des affaires au Tchad, sans oublier de fixer quelques perspectives. « La terre nourrit mieux que le pétrole », aime-t-il à répéter. « Ce qu’il faudrait, c’est faire du Tchad le grenier à blé de l’Afrique centrale, une sorte d’Ukraine de la sous-région, poursuit-il. Nous avons beaucoup de ressources, des terres, de l’eau, de la main-d’œuvre. On peut faire pousser ce que l’on veut ici. Je me suis moi-même lancé dans la production de sésame pour prouver à mes homologues entrepreneurs qu’au Tchad, tout est possible. »

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Motiver et décomplexer les entrepreneurs tchadiens, rassurer les investisseurs étrangers, telle est la délicate mission que s’est donnée celui qui n’hésite pas à voyager aux quatre coins du monde pour démontrer les atouts du Tchad. « C’est un pays enclavé, certes, mais qui peut devenir, avec la zone de libre-échange de la sous-région, un carrefour logistique de transmission entre États africains, explique Ali Adji Mahamat Seid avec enthousiasme. Nous sommes à la croisée des chemins entre la route de la soie et la route transsaharienne, nous avons beaucoup de terres et de bétail, nous avons de l’or et du pétrole, d’excellents artisans… Dieu nous a placés à côté d’un immense pays : le Nigeria… Investir au Tchad, c’est investir pour l’Afrique du futur ! »

Partisan d’un changement des mentalités et des pratiques dans les affaires, Ali Adji Mahamat Seid dit aussi soutenir les autorités de transition et le processus de dialogue inclusif. « Car seule la réconciliation nationale et des élections libres et transparentes apporteront sérénité et prospérité au pays », estime l’entrepreneur. Optimiste, il veut parier sur « ce que les hommes ont de meilleur ».

Jeune Afrique

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