Opposant et activiste politique exilé en France, Abakar Assileck Halata a accordé un entretien à Alwihda Info. L’opposant revient sur son récent séjour en Libye, évoque le multipartisme qui n’est pas synonyme de « jeu démocratie et d’alternance », sa vision du Tchad et les défis auxquels est confronté le pays. Réforme constitutionnelle ? Pour lui, ce n’est pas un problème de texte. Déplorant le non-respect de la concurrence pour permettre la vivacité de l’économie, il s’en prend à une « oligarchie militarisée plus riche que l’Etat ».

Monsieur Abakar Assileck Halata, vous êtes connu comme opposant et activiste politique qui milite en dehors du pays. Qu’est-ce qui vous freine aujourd’hui d’envisager un retour au Tchad étant donné que les partis politiques sont autorisés ? 

Ce n’est pas l’autorisation des partis politiques qui confirme que le jeu démocratique est accepté et que l’alternance est permise. L’exil n’est pas une fin en soi, mais un livre du combattant. Nous sommes sortis pour une cause et toujours en quête de celle-ci. Deby pense qu’il a apporté la démocratie, mais il refuse l’alternance à la tête de l’État par la voie démocratique. Il faut reconnaitre que malgré ses maigres ressources, l’opposition démocratique à battue à plate couture le président du MPS en 1996 et en 2016. 

Ce qui me freine est le non-respect des accords signés par le régime de N’Djamena avec les différents opposants. Personne n’a pu créer son parti et continuer la lutte pacifiquement. Au contraire, nombre de ceux qui ont signé des accords avec Deby ne sont plus de ce monde. J’ai en mémoire les défunts Laoukein Bardé, Abbas Koty, etc. Bien d’autres se sont vus humiliés, et leurs biens confisqués. 

En d’autres termes, pourquoi ne pas mener votre activisme politique au Tchad dans les règles de la démocratie à l’exemple de beaucoup d’autres ? 

Les mots ont leurs sens. Vous dites les règles de la démocratie ? Et moi je vous dis que les règles démocratiques ne sont pas respectées, la constitution est modifiée pour permettre à Monsieur Idriss Deby d’être président à vie, des élections truquées et qui n’ont respectées aucune équité. Par exemple, le parti au pouvoir MPS a utilisé les moyens de l’Etat, les chefs notables, mais aussi les administrateurs pour appuyer la candidature du président du MPS. 

Je pense que la règle du jeu n’est pas respectée quand le Parlement prolonge son mandat de façon non démocratique sans suffrage universel. Dites-moi qui, parmi ceux qui ont négocié et accepté de regagner le bercail, a pu créer son parti et continuer la lutte politique pacifiquement ? 

« La République est vidée de ses substances », 
Vous avez récemment effectué un voyage en Libye. Pour quelles raisons ? Qu’avez-vous fait sur place ? 

Ce n’est pas la première fois que je me rends en Libye. C’est un pays que je connais, où vivent amis, familles et camarades de lutte. J’ai profité de mon séjour pour rendre visite à mes frères d’armes et appeler à l’unité car sans cela aucune œuvre n’est possible. 

Avez-vous pris part directement ou indirectement à des activités notamment militaires ? 

Vous dites des activités militaires, je ne suis pas militaire à ce que je sache. Mais je ne m’empêcherai pas de prendre les armes si jamais le choix des urnes est obstrué, car notre constitution empêche aussi qu’on puisse confisquer le pouvoir par la force. 

Que dites-vous à ceux parmi les tchadiens qui disent être las des rébellions armées qui sont obsolètes ? 

Qui parmi les tchadiens ? ceux qui défendent leur « beef-steak » ou bien ceux qui se soucient de l’intérêt général ? 

Obsolète je ne dirais pas. Certes le contexte international a évolué, mais il faut reconnaitre qu’un régime comme celui d’Idriss Deby, militairement clanisé et où les richesses de ce pays sont entre les mains d’une oligarchie tribale, serait difficile, même impossible à vaincre par les urnes ou par un forum quelconque. Albert Einstein disait qu’il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre. Deby ne chantait pas tous les jours qu’il n’est pas venu avec un vol air-Afrique? 

Condamnez-vous l’attaque contre une patrouille de soldats tchadiens il y a quelques mois dans le nord du pays ? 

Je dois d’abord condamner les exécutions des onze (11) soldats de l’armée tchadienne abattus par d’autres soldats de l’armée tchadienne. Pour rappel, des prisonniers en transfèrement ont été tués de sang froid par les proches de Monsieur Idriss Deby. Je condamne tout conflit fratricide. Ce qui est arrivé au nord du pays est un combat entre des tchadiens, donc regrettable et condamnable. Mais je dois ajouter que ces même soldats traquent et tuent nos compatriotes orpailleurs dans le Tibesti et aux confins de la Libye. 

Beaucoup de tchadiens disent et pensent que si aujourd’hui des factions rebelles s’emparaient du pouvoir par la force, la situation serait pire et ce serait un retour en arrière avec des idées tribalistes. Qu’en pensez-vous ? 

Dernièrement, Idriss Deby lors d’un point de presse, après 27 ans de règne, a appelé les tchadiens à un retour aux années d’avant pétrole. Il a invité les tchadiens à investir dans le monde rural et à oublier le pétrole. Je ne partage pas cet avis, nous savons tous que les grands et puissants pays d’aujourd’hui ont payé des sacrifices pour arriver à ce résultat. Cette stabilité est un leurre, ce pétrole que Deby nous invite à oublier lui a permis de s’enrichir et d’enrichir ses proches au détriment du Tchad. 

Vous craignez les idées tribalistes que le changement pourrait engendrer ? Nous vivons dans un pays où l’armée est clanique, le tribalisme est devenu banal. Le changement est inéluctable, aucune option ne sera mise de côté. 

L’Etat n’est pas le seul acteur de développement du pays. Pensez-vous que la seule manière de contribuer au développement du pays est la magistrature suprême sachant que par exemple un acteur économique, ou même un citoyen qui construit contribue au développement du pays ? 

Ce n’est un secret pour personne que l’Etat n’est pas le seul acteur du développement. Vous savez mieux que moi que les opérateurs économiques de ce pays ne sont pas logés à la même enseigne. La concurrence n’est aucunement respectée, allez demander aux transitaires à Ngueli, ils vous diront comment Hadjé Haiga Deby la sœur du président est privilégiée, pour ne pas dire qu’elle est la présidente des transitaires. 

Allez demander à Abderahman Bedey, le neveu de Deby comment il a gagné les marchés de construction de l’hôpital de la mère et de l’enfant, et le marché de fabrique des cartes d’identité, passeports, patentes, etc. Je vous réponds sans appel d’offre, tout simplement par le gré à gré. Je peux dire que ce BEDEI se comporte comme le président des jeunes opérateurs économiques de ce pays. 

Allez demander à Monsieur Daoussa Deby comment a-t-il récupéré l’OFNAR (Office nationale des routes) qui a été muté en SNER et aujourd’hui SN (Société Nouvelle groupe), exonérée de la douane il y a quelques années. Daoussa est le propriétaire de presque toutes les stations de pompe à essence de N’Djamena. Il est également le seul à importer le sucre depuis le Soudan. Le grand frère Deby est le plus riche opérateur économique du pays. 

Par contre, des pauvres tchadiens se sont débrouillés pour avoir des détecteurs de métaux pour aller chercher de l’or dans leur propre pays. Monsieur Deby refuse de les laisser exploiter. Il les tue, brûle leurs engins, les traquent et installe des sociétés étrangères pour exploiter ce même or. Alors ses compatriotes sont contraints de se retrouver au Niger et en Libye pour explorer l’or. Il y a également l’autre frère d’Idriss Deby, l’homme aux 136 milliards de Francs CFA, Saley Deby avec ses stations, l’un de ses fils est chef d’agence à l’aéroport de N’Djamena. La liste est longue. 

Un important travail a été réalisé par le comité technique d’appui aux réformes institutionnelles. Que retenez-vous du rapport final ? 

Le net-activisme a révélé du plagiat dans le document final, ce qui a suscité une mise au point du comité technique. A mon sens, le choix de l’équipe a été imposé donc ipso facto, elle est mal placée pour opérer une réforme objective. Après plus de 27 ans au pouvoir sans partage de Déby, avec un bilan négatif comme l’atteste les différents rapports internationaux, la crédibilité du Tchad est entachée : fabrique des billets de Bahrein, saisie de la drogue sur un conseiller en Allemagne, fausse immatriculation d’avions, pots-de-vin de 2 millions de dollars qu’il a pu bénéficier d’une société chinoise. 

Le Tchad est listé noir pour abriter des terroristes et les tchadiens sont empêchés de se rendre aux USA. C’est en trainant toutes ces casseroles que le comité technique pense offrir à Deby une nouvelle chance. Son mandat expire en 2021, c’est là que le comité technique a pensé faire sauter la limite d’âge de 70 ans pour être candidat à l’élection présidentielle, figurant dans l’actuelle constitution. Ce passage disparait, remplacé par l’âge minimum de 35 ans pour se présenter à une élection présidentielle. Faisons un peu le calcul, à la fin de son mandat c’est-à-dire en 2021, Idriss aura fait 31 ans au pouvoir. Le comité technique pense à son rallongement en lui octroyant un septennat renouvelable une fois, soit 31+7×2 = 45 ans. 

Je retiens qu’il y a un conflit d’intérêt, les rédacteurs de ce document sont juges et parties. 

Les autorités ne cachent pas que la démocratie est fragile et que celle-ci a besoin d’être renforcée, d’où le but de la réforme en cours et de son objet « consolider la démocratie et renforcer l’efficacité de l’Etat ». Etes-vous de ce qui pensent que la réforme des institutions est un pas important pour la consolidation de la démocratie ? 

La défaillance de notre démocratie est de taille, ce n’est pas le nombre des partis ou celui des journaux partisans qui donneront du sens à une démocratie. Dans un pays où la constitution a été modifiée au profit du chef pour s’éterniser au pouvoir, où les libertés individuelles ne sont pas respectées, par exemple l’enlèvement et l’assassinat de feu Ibni Oumar Mahamat Saleh, les arrestations arbitraires, les séquestrations, les tortures, l’interdiction des manifestations pacifiques, etc, ce sont les qualités digne d’un parti unique. 

Le gouvernement a appelé l’ensemble des citoyens à proposer d’éventuelles idées dans le cadre de la réforme. Avez-vous une éventuelle suggestion ou proposition ? 

L’ensemble des tchadiens ont apprécié le travail abattu en 1993 lors de la conférence nationale souveraine, aboutissant à la constitution de la République du Tchad que Monsieur Deby a tripatouillé en se taillant sur mesure un mandat illimité. 

Justement, le problème du Tchad n’est pas lié aux textes, mais c’est un problème d’homme. Ce n’est pas le texte qui a empêché le chef de l’Etat d’être corrompu. 

Enfin, pourquoi n’acceptez-vous pas de répondre à la politique de la main tendue du Président Déby ? 

Je ne pense pas que Deby soit sincère et je ne pense pas qu’il soit un homme de parole. Il a violé autant de négociations de paix et il n’a jamais respecté ses engagements. Nous avons en mémoire le scénario de l’assassinat du colonel Abbas Koty Yacoub, du colonel Laoukein Barde, du colonel Adoum Acyl. 

S’agissant du récent ralliement des éléments du mouvement national (MN) de Mr Ahmat Hassaballah Soubiane et Moussa Tamboulet, leurs combattants ont été humiliés à Moussoro. A ce jour les accords sont vides. Mr Moussa Tamboulet a repris le chemin de la rébellion en octobre 2017. Citez-moi une personne qui a négocié avec ce régime et, a pu créer son parti et continuer sa lutte pacifiquement ? 

Cette oligarchie militarisée a fait du Tchad son butin de guerre, elle est devenue plus riche que l’Etat, c’est elle qui a l’autorité de l’Etat, la République est vidée de ses substances. Le pouvoir use, ce n’est pas pour rien que les occidentaux ne font pas plus de dix ans au pouvoir, même les prophètes de Dieu se succèdent, combien de fois un Deby ? 

Propos recueillis par Djimet Wiche et Djamil Ahmat.


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