Depuis le 3 janvier, le ballet quotidien d’un Fokker F50 rythme les journées des contrôleurs aériens du petit aéroport international de N’Djamena situé au nord-ouest de la ville. Affrété par RJM Aviation, le Fokker assure deux fois par jour une rotation particulièrement sensible vers la ville de Tessalit, au nord-Mali, ancien fief des groupes djihadistes. RJM est notamment chargé d’assurer, pour le compte de la Minusma, la relève des 1 500 casques bleus tchadiens. Sur le tarmac, ces trajets sont suivis de près par le patron de RJM Aviation, Thierry Miallier, dont le Land Cruiser blanc a sa place réservée sur le parking de l’aéroport. En l’espace de vingt ans à la tête du groupe d’aviation, cet ancien étudiant en médecine clermontois, aujourd’hui âgé de 69 ans, est devenu un acteur clé dans le ciel sahélien.

De la faculté de médecine de Clermont-Ferrand à la fratrie Feliciaggi

Etudiant en septième année de médecine à l’Université de Clermont-Ferrand, Thierry Miallier découvre l’Afrique en 1975 lors de son service militaire, qu’il effectue en République centrafricaine (RCA). Le pays est alors dirigé par le colonel Jean-Bedel Bokassa. A Bangui, chasse gardée des militaires français et du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) – ancêtre de la DGSE -, il assiste aux trois années de règne de Bokassa 1er jusqu’à sa destitution en 1979. Très vite, Thierry Miallier abandonne ses études de médecine et apprend à piloter de petits Cessna dans la brousse centrafricaine.

Au début des années 1980, il quitte « Bangui la coquette » pour Libreville où, après quelques mois, il rejoint le Congo. C’est à Brazzaville qu’il se lie d’amitié avec Robert Feliciaggi, dit « Bob l’Africain ». Natif du Cap, en Afrique du Sud, l’homme d’affaires corse est alors au sommet de son empire et possède avec Michel Tomi la quasi-totalité des cercles de jeux et PMU (Pari mutuel urbain) d’Afrique centrale. Alors, quand le Groupe Feliciaggi cherche à lancer le PMU au Tchad, « Bob » fait appel à son ami Thierry. Ce dernier rejoint N’Djamena en 1993, trois ans après le coup d’Etat contre Hissène Habré d’un jeune officier de l’armée de l’air tchadienne : Idriss Déby. Si l’aventure dans les jeux tourne court et que Thierry Miallier prend vite ses distances avec la fratrie Feliciaggi, il reste à N’Djamena où il se lance en 1996 dans le business des pièces détachées.

Rachat de RJM à un ancien pilote de l’armée de l’air française

Dans la capitale tchadienne, il côtoie le tout N’Djamena des années 1990 et passe ses samedis soir au Number One, la boîte de nuit qui est alors détenue par l’apporteur d’affaires Olivier Bazin et fréquentée par les nombreux militaires français du pays. En parallèle, il continue d’utiliser un petit Cessna 195 acheté à un ancien pilote de l’armée de l’air française installé au Tchad, René Jan Mary, à la tête d’une petite compagnie qui porte ses initiales : RJM. Installé au Tchad depuis les années 1970, RJM ne possède qu’un Cessna 402 qui effectue principalement des rotations de N’Djamena vers la ville de Sarh (anciennement Fort-Archambault), au sud du pays, à quelques kilomètres de la frontière centrafricaine.

Lorsque, en 1999, René Jan Mary décide de quitter le Tchad, Thierry Miallier propose de lui racheter RJM Aviation pour 100 millions de F CFA (150 000 €). L’ancien étudiant en médecine assure alors lui-même les vols vers la RCA, le Niger et le Cameroun pour le compte d’ONG, de touristes ou encore de journalistes. Mais la guerre du Darfour, qui débute en 2003, et l’arrivée massive de réfugiés le long de la frontière tchado-soudanaise obligent très vite Thierry Miallier à développer une petite flotte aérienne pour répondre à la demande exponentielle des bailleurs internationaux de se rendre dans la zone.

Agences de l’ONU, ONG et George Clooney

Thierry Miallier se dote à crédit de deux Embraer ainsi que d’un Beechcraft 200. Les aéronefs font alors surtout voler les fonctionnaires des principales agences de l’ONU vers les camps de réfugiés soudanais dans l’est du Tchad : Organisation internationale pour les migrations (OIM), Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), etc. Les affrontements entre le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) et les miliciens Janjaweed provoquent un important déplacement de populations civiles qui se réfugient au Tchad. Au milieu des années 2000, RJM est incontournable pour se rendre dans la région du Bahai, très difficile d’accès par la route depuis la capitale tchadienne.

Ainsi en 2007, lorsque l’acteur américain George Clooney – très engagé sur le dossier soudanais – souhaite se rendre dans un camp de réfugiés du Bahai avec son père journaliste, Nick Clooney, pour alerter le Département d’Etat sur la situation au Darfour, c’est à bord d’un Cessna de RJM Aviation qu’il décolle depuis N’Djamena. Thierry Miallier est aussi du voyage et accompagne durant trois jours la star hollywoodienne. En 2010, c’est Nicolas Hulot qui désire se rendre sur le plateau de l’Ennedi, au nord-est du Tchad, pour réaliser un épisode de l’émission Ushuaïa. Thierry Miallier organise un véritable pont aérien depuis N’Djamena pour transporter les équipes de TF1.

Associé au roi des Peuls tchadiens

Très connecté à N’Djamena, Thierry Miallier s’appuie dans le pays sur son principal associé, Amadou Ousmanou. Directeur adjoint de RJM Aviation et récemment rentré au capital de la société, ce dernier est le président de la fédération tchadienne de l’organisation peule Tabital Pulaaku et, à ce titre, est considéré comme le « roi des Peuls » dans le pays. L’ancien étudiant en médecine auvergnat est par ailleurs un familier du président Idriss Déby, qu’il côtoie depuis plus de vingt-cinq ans. Avant que la présidence tchadienne ne se dote de sa propre flotte, RJM a transporté durant de nombreuses années Idriss Déby dans son fief d’Amdjarass. Symbole de la proximité entre les deux hommes, Idriss Déby a même naturalisé Thierry Miallier en 2017. RJM Aviation est par ailleurs en contrat avec plusieurs ministères et assure régulièrement un appui logistique aux Forces armées tchadiennes (FAT), dont les capacités aériennes restent encore faibles. Mais c’est davantage avec le secteur privé que RJM réalise son chiffre d’affaires.

Le boom pétrolier, accélérateur de business

Le boom pétrolier des années 2010 au Tchad a considérablement boosté les activités de RJM. Alors que, au début de la décennie, le gouvernement tchadien distribue les permis d’exploration dans tout le pays à ExxonMobilChina National Petroleum Corp (CNPC) ou encore Caracal, ces firmes n’ont d’autre choix que de passer par les avions de la société de Thierry Miallier. Pour répondre à la demande croissante, le groupe se dote même d’un hélicoptère russe Mil Mi-8 très prisé des pétroliers, qui assure des rotations entre Sahr et Kybea. RJM est aujourd’hui en contrat avec les principaux groupes pétroliers du pays à l’instar de la CNPCIC (China National Petroleum Corp International Chad), premier producteur du pays, ou encore avec Esso Exploration and Production Chad, qui associe la major américaine ExxonMobil (40 %), la malaisienne Petronas (35 %) et la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT, 25 %).

Sous-traitant préféré de Barkhane à N’Djamena

Outre les pétroliers, les avions de RJM sont aussi très prisés des militaires français de l’opération Barkhane, régulièrement amenés à sous-traiter une partie de leurs vols. Ainsi, en avril dernier, c’est à bord d’un Twin Otter de RJM qu’une dizaine de soldats français se posent sur la piste sableuse et abandonnée de Wour, dans le nord du pays, à une centaine de kilomètres de la frontière libyenne, pour une opération de repérage. Alors que le Poste de commandement interarmées de théâtre (PCIAT) de Barkhane est installé à N’Djamena, RJM jouit d’une position idéale dans la capitale tchadienne afin d’effectuer des rotations pour le compte des autorités militaires françaises dans tout le Sahel.

RJM est par ailleurs en passe de s’imposer sur le secteur du fret, où il exploite un ATR 42 Cargo et est en capacité d’affréter un gros-porteur Iliouchine Il-76 ainsi qu’un Boeing 737. Face à une demande toujours croissante, le groupe est en train d’acquérir deux nouveaux ATR 42 ainsi que deux Beech 200 King Air, et construit un nouveau hangar à l’aéroport international de N’Djamena qui doit devenir à terme la base de maintenance de sa flotte.

Tchadanthropus-tribune avec la lettre du Continent

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