12 novembre 2024 #TCHAD #BAD : Le Tchadien Mahamat Abbas Tolli : « Je suis prêt à assumer la présidence de la BAD ».
L’ancien gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) est le candidat soutenu par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) à l’élection de mai 2025. Il compte incarner le renouvellement à la tête de l’institution panafricaine.
Mahamat Abbas Tolli est en campagne. Candidat unique adoubé en janvier par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), puis par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) en février, l’ancien gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) est le premier à être sorti du bois. Son ambition ? Succéder à Akinwumi Adesina à la tête de la Banque africaine de développement (BAD).
Cette candidature précoce et le soutien de près d’un cinquième des pays du continent sera-t-il suffisant ? Le cousin du président Mahamat Idriss Déby Itno y croit, même s’il a conscience que ce ne sera pas suffisant. Alors de Washington à Nairobi en passant par Malabo, il multiplie les rencontres. Et même si son mandat s’est achevé par une série de polémiques, il défend son bilan à la tête de la BEAC. De passage à Paris, Mahamat Abbas Tolli a dévoilé en exclusivité pour Jeune Afrique ses priorités, s’il était élu.
Jeune Afrique : Pourquoi êtes-vous candidat à la présidence de la BAD ?
Mahamat Abbas Tolli : Je crois en l’avenir prometteur de ce continent, je crois à la capacité des Africains à se réinventer, à innover et à inverser les dynamiques du sous-développement. Toutefois, il ne suffit pas d’avoir une vision, il est crucial d’apporter des solutions concrètes et pragmatiques au développement de notre continent.
J’ai occupé des postes à responsabilités, celui de ministre des Finances et de l’Économie et celui de ministre des Infrastructures. J’ai dirigé la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) et j’ai eu l’honneur d’être gouverneur de la BEAC. Je veux mettre cette expérience au service de la BAD.
J’aimerais poursuivre le combat du développement du continent au travers cette institution et apporter ma pierre à l’édifice. Je suis prêt, avec mes compétences et mes capacités, à assumer la direction de la BAD.
Au-delà de votre CV, quel est votre programme ?
Je me porte candidat avec l’objectif de consolider les acquis et de renforcer l’action de la BAD en faveur des pays africains. Je souhaite mettre l’accent sur le développement des infrastructures. Le déficit annuel d’investissement en infrastructures est évalué à 150 milliards de dollars, ce qui alourdit considérablement les coûts de production en Afrique. En remédiant à cette situation, nous pourrions stimuler les échanges commerciaux, en tirant également parti des accords de la Zlecaf [Zone de libre-échange continentale africaine], favoriser l’industrialisation. Cela permettrait de lutter contre le chômage et d’éviter que les jeunes Africains tentent de rejoindre l’Europe et périssent dans les flots de la Méditerranée. Pour cela, il faut vraiment créer des emplois en Afrique.
Une autre priorité : l’agriculture. La souveraineté alimentaire en Afrique n’est pas encore assurée car la sécurité alimentaire demeure précaire. Il est vital d’y remédier d’urgence pour garantir un avenir plus stable et prospère pour tous les Africains.
Il faut saluer par ailleurs le travail remarquable qui a été fait par le président Akinwumi Adesina et ses équipes ainsi que celui des présidents qui l’ont précédé. Le triple A attribué par les grandes agences de notation en est le reflet. Les contributions substantielles que la Banqueapporteaux pays dans les projets de financement du développement sont également à saluer.
La Banque vient d’élaborer sa stratégie décennale. C’est un diagnostic exhaustif des difficultés rencontrées par le continent. Ce dernier propose d’ailleurs des solutions concrètes. Chaque candidat a l’opportunité d’apporter sa touche personnelle et son style, en s’appuyant sur ses propres expériences et ses connaissances.
Après dix ans de mandat, l’Afrique est toujours à la traîne en matière d’intégration, de développement, d’industrialisation : 600 millions d’Africains n’ont toujours pas accès à l’électricité. En Afrique de l’Ouest et centrale, 55 millions de personnes sont toujours en situation d’insécurité alimentaire. Quel regard portez-vous sur le bilan d’Akinwumi Adesina ?
Je ne pense pas qu’on puisse parler d’échec. Dans ces domaines, de nombreux investissements ont été réalisés. Les deux mandats du président sortant ont été émaillés par des crises multiples. La crise du Covid-19, la chute des cours des matières premières, la guerre en Ukraine, sans compter les foyers de tensions sécuritaires. Dans ce contexte très difficile, la BAD a réussi à accroître les volumes de financement.
Il faut continuer à renforcer les fonds propres de la Banque africaine de développement.
Lesobjectifsne sont certes pas atteints, mais les efforts sont tout de même louables. Il faut assurer la sécurité alimentaire de l’Afrique dans un contexte de changement climatique. Il faut augmenter la résilience des États africains, améliorer leur capacité d’adaptation et leur accès à l’énergie. Cela nécessite des ressources conséquentes mais aussi un accompagnement technique. L’Afrique est un continent vaste, avec beaucoup de disparités. Les ressources seules de la BAD ne suffisent pas. Pour pouvoir faire plus, il faut créer les conditions afin de mobiliser les financements additionnels en provenance des institutions multilatérales, du privé et des marchés domestiques. Ce seront mes priorités une fois élu.
Il y a un fossé entre les besoins et les ressources disponibles, notamment en ce qui concerne la finance liée aux problématiques climatiques. Quelles sont vos recettes pour mobiliser les capitaux ?
L’Afrique a un potentiel de croissance énorme. Les opportunités existent, c’est un continent presque vierge pour les investissements. En ce qui concerne les financements climatiques, je pense qu’il faudrait plutôt avoir un regard positif sur les effortsaccomplis,d’autant plus que nous constatons un réel changement de paradigme sur le risque climatique et une prise de conscience au niveau mondial sur les enjeux climatiques. Cette question n’était pratiquement pas abordée il y a encore quelques années. Tous les projets d’investissements devraient intégrer un volet environnemental.
Le rôle de la BAD est de prendre des risques. Mais elle doit mener une politique prudente pour conserver son AAA. Comment concilier les deux ?
Il n’est pas d’œuvre humaine qui ne soit pas critiquable. Les équipes d’Akinwumi Adesina ont fait preuve d’innovation, notamment avec le recours au capital hybride, pour renforcer constamment l’assise financière de la Banque. Maintenir la crédibilité de cette dernière par le biais de la notation triple A est une très bonne chose et il faut continuer à maintenir ce niveau. Mais je pense qu’il faut aussi continuer à renforcer ses fonds propres, utiliser son bilan comme un levier.
Il conviendrait en outre de mettre en place un mécanisme de normalisation des instruments de garantie pour attirer le secteur privé, parce que les ressourcesseulesde la BAD ne suffiront pas. La BAD devrait prendre exemple sur la Miga [Agence multilatérale de garantie des investissements], la filiale de la Banque mondiale qui a mis en place une plateforme de garanties qui rationalise l’offre des produits financiers de plusieurs institutions, une sorte de guichet unique. Ce sera une de mes priorités car cela permettrait d’accroître les répercussions des financements et de réduire la perception du risque sur le continent.
La fin de votre mandat à la BEAC a étéentachée d’accusations de népotisme mais aussi de querelles intestines ou de polémiques. N’est-ce pas un handicap lorsque l’on est candidat à un tel poste ?
Je suis le seul gouverneur de la BEAC a n’avoir jamais recruté quelqu’un de sa famille. Je n’ai recruté ni enfant, ni neveu, ni cousin, ni épouse. Je suis aussi celui qui a décidé que le recrutement des directeurs centraux se ferait par concours alors quec’étaitune prérogative reconnue du gouverneur de la Banque centrale.
Lorsque cette affaire a éclaté, les organes de décisiondela Banque centrale – c’est-à-dire le conseil d’administration –, ont décidé de diligenter une enquête conduite par son comité d’audit. Aucune irrégularité de nature à entacher la crédibilité du concours n’a été détectée. Quelques difficultés liées à l’organisation pratique du concours dans certains centres ont néanmoins été relevées. Je n’ai rien à me reprocher, pas seulement à la BEAC mais durant toute ma carrière. Toute ma vie, j’ai servi avec honnêteté et intégrité.
Dans ce cas, comment expliquez-vous qu’un tel scandale ait éclaté ?
Pendant mon mandat, j’ai eu à mener des réformes très difficiles qui ont complètement transformé le cadre institutionnel de la politique monétaire. Nous avons significativement amélioré la gouvernance de la Banque centrale, assurant son indépendance et son autonomie.
Nous avons décidé de supprimer les facilités de trésorerie accordées aux États, ce qui a contribué à renforcer la solidité extérieure de notre monnaie. En effet, nous sommes passés d’un mois à sept mois de couverture des importations de biens et de services. Pour atteindre cet objectif, nous avons mis en place un nouveau dispositif de gestion de notre politique de change, permettant ainsi d’accroître la soutenabilité extérieure du franc CFA et d’assurer une transparence des flux financiers entrants et sortants.
J’ai commencé mon mandat avec un déficit de 50 milliards de F CFA et je l’ai terminé avec un bénéfice de 310 milliards de F CFA. Je quitte la Banque avec le sentiment du devoir accompli mais ces réformes n’ont pas été du goût de tous. Bien qu’elles aient renforcé et modernisé la Banque, elles ont également suscité de nombreuses résistances au changement et engendré des énergies régressives. Cela est tout à fait compréhensible compte tenu de l’ampleur de la réforme.
La Cemac est la zone la moins intégrée et la moins développée du continent. Que l’Afrique centrale vous soutienne est-il néanmoins un atout ?
Bien sûr que c’est un atout. La Cemac a elle-même des atouts immenses. C’est une région où le système financier est totalement intégré, c’est une zone qui partage une monnaie commune ; les personnes, les biens et les capitaux s’y déplacent sans contrainte. C’est une zone qui a desrichessesminières importantes. Le bassin du Congo est la deuxième réserve de biodiversité au monde et la première réserve de carbone. Je suis également soutenu par la CEEAC et avec la Cemac, cela représente 200 millions de personnes. Je suis très fier de porter les espoirs de l’Afrique centrale, c’est un avantage majeur pour ma campagne. Je suis néanmoins conscient que ce ne sera pas suffisant, mon projet doit être capable de convaincre les autres actionnaires.
Comment espérez-vous faire la différence avec les autres candidats ?
Je respecte les talents et les expériences de mes compétiteurs. J’ai fait toute ma carrière en Afrique, cela permet d’être au plus près des réalités du terrain, des problématiques vécues par les Africains. Leur réalité est aussi la mienne. Contrairement à certains de mes concurrents, je n’ai pas travaillé sous Monsieur Adesina. Je peux représenter un certain renouveau.
Parlez-vous l’anglais, la langue de travail de la plupart des actionnaires de la BAD ?
Je me débrouille. Je parle aussi bien l’anglais que le président Akinwumi Adesina parlelefrançais.