Sous le règne d’Idriss Déby, le Tchad s’est mué en acteur incontournable en Centrafrique voisine, où il avait tissé des liens privilégiés avec plusieurs groupes rebelles. Les faits et gestes du nouvel homme fort de N’Djamena, « Kaka », sont ainsi scrutés par Touadéra, qui s’inquiète des connexions centrafricaines du fils Déby. Enquête.

Faustin-Archange Touadéra avait laissé planer le suspense jusqu’à la dernière minute : il a finalement choisi l’apaisement en se rendant le 23 avril aux funérailles de son homologue tchadien, Idriss Déby, avec qui il entretenait des relations pour le moins compliquées.

Depuis décembre et l’offensive de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) à Bangui, les relations entre les deux capitales se sont particulièrement tendues. Côté tchadien, les récentes manœuvres des Forces armées centrafricaines (FACA), non loin de la frontière entre le Tchad et la Centrafrique, avaient crispé le pouvoir central à N’Djamena. En étroite collaboration avec l’appui de la Russie, l’armée centrafricaine s’est lancée dans une chasse visant le CPC, coordonnée par l’ancien président François Bozizé, régulièrement aperçu non loin de la frontière tchadienne.

Par ricochet, l’affaire avait même jeté un coup de froid sur les relations diplomatiques entre N’Djamena et Moscou fin mars : l’influent ambassadeur russe à Bangui, Vladimir Titorenko, avait regretté le 29 mars que « les forces de la CPC utilisent le Tchad comme base arrière ». Une sortie qui avait alimenté la colère du ministère tchadien des affaires étrangères. Ce dernier avait réagi le 3 avril par voie de communiqué pour condamner les propos du diplomate russe. Déjà, en décembre, les autorités de Bangui avaient dénoncé la présence de « combattants tchadiens » dans les rangs des rebelles du CPC, suscitant une pluie de démentis à N’Djamena.

Soucieux de jouer l’apaisement au lendemain du décès d’Idriss Déby, le conseiller spécial du président centrafricain à la sécurité nationale, le Russe Valery Zakharov, s’est empressé d’assurer sur son compte Twitter que les FACA n’entreraient d’aucune façon sur le territoire tchadien.

Les connexions centrafricaines de « Kaka »

De leur côté, plusieurs cadres du CPC misaient sur la fin des élections tchadiennes pour une hypothétique intermédiation de Déby entre Touadéra et Bozizé, après l’échec de la première initiative de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) au mois de février dernier.

Bien que le Tchad ait toujours nié toute implication avec la CPC, plusieurs gradés tchadiens cultivent des liens indirects avec des leaders de la coalition rebelle, suscitant la paranoïa de Bangui. Depuis l’arrivée, le 20 avril, du Conseil militaire de transition (CMT), les services centrafricains scrutent ainsi tout particulièrement le nouvel homme fort du Tchad, Mahamat Idriss Déby, dit « Kaka« . Et pour cause : ce dernier est marié à la fille du puissant porte-parole de la CPC, Abakar Sabone, un habitué des rébellions depuis vingt ans et sous le coup d’un mandat d’arrêt international.

Mahamat Idriss Déby est également un ami d’enfance de Danzoumi Yalo, compagnon de route de François Bozizé en 2003 et arrêté le 4 février par la police centrafricaine pour ses liens présumés avec la CPC. Son évasion, dans la nuit du 25 au 26 février, a défrayé la chronique à Bangui quant à d’éventuelles complicités extérieures. Le « colonel Daz », également accusé par la Guinée équatoriale d’avoir soutenu la tentative de coup d’Etat de 2017 contre Teodoro Obiang Nguema, est le frère cadet de Sani Yalo, homme d’affaires centrafricain et tout-puissant financier de Faustin-Archange Touadéra.

Relations d’affaires

Très actif entre 2003 et 2013 dans les affaires centrafricaines, Idriss Déby avait néanmoins, depuis 2014, pris ses distances avec la RCA. La même année, il avait même fait fermer son ambassade à Bangui pour deux ans après le renvoi du bataillon tchadien déployé au sein de la Misca, l’ancêtre de l’actuelle mission de l’ONU en Centrafrique, la Minusca.

Des liens d’affaires plus informels ont toutefois persisté avec les groupes armés, au premier rang desquels le Mouvement patriotique pour la Centrafrique (MPC) du Tchadien Mahamat al-Khatim, figure centrale des rébellions successives en 2003, 2013 et 2021. Le MPC est un acteur essentiel dans la gestion de la très lucrative transhumance des cheptels entre les deux pays, à laquelle participe activement l’élite politico-militaire tchadienne. Le Co leader du groupe rebelle Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC), Abdoulaye Hissène, détenteur d’un passeport tchadien, a lui aussi été dans les affaires à Ndjamena durant la dernière décennie. Dans la capitale tchadienne, il avait notamment ses entrées auprès de l’ancien ministre du pétrole Djerassem Le Bemadjiel.

Prisonniers

Le CMT aura plusieurs dossiers sensibles à gérer avec Bangui, à l’instar de celui du très actif chef rebelle du Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC), Martin Koumtamadji, alias Abdoulaye Miskine, détenu par la justice tchadienne depuis un an malgré les demandes d’extradition répétées de Bangui. La RCA pourrait donc profiter de l’arrivée des nouvelles autorités pour relancer le dossier.

Le cas de Mahamat Abdoul Kadré Oumar, plus connu sous le nom de Baba Laddé, qui fut à la tête de l’un des premiers groupes armés centrafricains, le feu Front populaire pour le redressement (FPR), de 2008 à 2012, devrait aussi être l’objet de toutes les attentions. Baba Laddé a été emprisonné au Tchad de 2012 à 2020 et Idriss Déby avait mis en scène leur réconciliation de manière spectaculaire lors d’un meeting de campagne, le 1er avril dernier, à Bongor. La scène avait fait grand bruit à Bangui, relançant les plus folles spéculations sur un retour du chef peul auprès de l’Union pour la Centrafrique (UPC), le puissant groupe fondé par l’ancien lieutenant de Baba Laddé, Ali Darass.

Tchadanthropus-tribune avec la Lettre du Continent

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