Dans son combat contre les groupes armés, le président centrafricain mise beaucoup sur son alliance avec Moscou, qui a dépêché des hommes de confiance à Bangui. Voici ces Russes qui forment sa garde rapprochée.

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Sur leurs capots fraîchement nettoyés, deux drapeaux : l’un russe, l’autre centrafricain. En ce 15 octobre à Bangui, le gouvernement de Faustin-Archange Touadéra (FAT) et celui de Vladimir Poutine entendent bien célébrer leur alliance, en exhibant les dix blindés réceptionnés le jour-même à l’aéroport de M’Poko.

Depuis plusieurs années, le président Touadéra s’est en effet tourné vers la Russie, froissant au passage, la France, l’ancien protecteur historique de la Centrafrique. Au palais présidentiel, des conseillers russes ont fait leur apparition, tandis que des mercenaires recrutés par l’entreprise de sécurité privée Wagner investissaient l’appareil sécuritaire.

À la veille du premier tour de la présidentielle, fin décembre 2020, ce sont ces mêmes combattants qui ont affronté les troupes de la Coalition des patriotes pour la Centrafrique (CPC, alliance des principaux groupes armés), aux côtés de l’armée centrafricaine, des militaires rwandais et des casques bleus de la Minusca.

Depuis, ceux-ci n’ont pas désarmé. Mi-février, les « instructeurs russes » ont encore combattu à Bambari, tandis que le conseiller moscovite de FAT, Valery Zakharov, affirmait le 11 février que le gouvernement contrôlerait « tout le territoire » de la « Centrafrique dans un proche avenir ».

Mais qui sont les Russes de Touadéra ? J.A. fait les présentations.

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Il est le véritable patron du dispositif russe à Bangui. Conseiller de FAT « pour la sécurité nationale », il dispose d’un bureau à la présidence et voit très régulièrement le chef de l’État. Ancien membre du service intérieur de sécurité russe (FSB, que Vladimir Poutine a dirigé sous Boris Eltsine), il est le patron des militaires russes affectés à la garde présidentielle de Touadéra et s’immisce également sur le terrain diplomatique. En 2018 et 2019, c’est notamment lui qui, parallèlement aux initiatives de l’UA, a négocié avec les leaders des groupes armés, notamment Noureddine Adam et Ali Darassa, en amont des accords de Khartoum.

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Selon nos informations, Valery Zakharov a rencontré à plusieurs reprises les actuels rebelles, notamment au Soudan. Lors de ces discussions, a été abordé le principe d’un partage des revenus miniers dans les zones échappant au contrôle du gouvernement. Le conseiller du président a également organisé et pris part à des tables rondes avec des autorités locales afin de plaider la cause des Forces armées centrafricaines et celle du chef de l’État.

Valery Zakharov, qui s’affiche volontiers dans les médias favorables au pouvoir centrafricain, serait également à l’origine de la création d’au moins deux sociétés de droit centrafricain : Lobaye Invest, active dans les mines et basée à Boda et Bakala (mais officiellement dirigée par un autre Russe, Evgenii Khodotov), et Séwa Sécurité, considérée comme filiale locale de Wagner, laquelle entreprise nie toute activité en Centrafrique.

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À Bangui, personne ne semble connaître son visage. Evgenii Khodotov apparaît pourtant sur les documents officiels centrafricains comme directeur-gérant de la société minière Lobaye Invest, notamment dans un arrêté signé par Léopold Mboli Fatran, le ministre des Mines, le 25 juillet 2018. Cette société, enregistrée à Bangui, avait alors obtenu une autorisation de reconnaissance minière dans la région de Pama pour une période de validité d’un an renouvelable, dans le but d’identifier d’éventuels gisements d’or et de diamant.

Cette même compagnie, où Khodotov travaillait en relation avec un autre Russe, Dmitry Sergeevich Sytii, avait déjà obtenu en juin 2018 un permis de recherche d’or à Yawa, pour trois ans renouvelables. Selon nos informations, elle était alors reliée à une autre entreprise enregistrée sous le nom de Khodotov : M-Finance. Créée en 2015, celle-ci, basée à Saint-Pétersbourg, avait pour objet l’extraction de pierres précieuses, de quartz, et de mica. Officiellement, Khodotov, ex-agent de la police de Saint-Pétersbourg, berceau du pouvoir de Poutine, aurait été remplacé mi-2018 par Elena Kochina à la tête de M-Finance.

Selon un document du département du Trésor américain, Evgenii Khodotov, né le 21 mars 1954 à Leningrad (redevenue depuis Saint-Pétersbourg), serait lié à Yevgeniy Viktorovich Prigozhin, homme d’affaires proche de Vladimir Poutine et considéré comme le dirigeant et financier officieux de la société Wagner. Selon les autorités américaines, Dmitry Sergeevich Sytii serait également en relation avec le même Prigozhin.

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À Bangui, certains le connaissent comme Dimitri Alexandrov. D’autres le nomment simplement Dimitri, depuis qu’il est arrivé à Bangui en 2017 au côté de Valery Zakharov, à qui il a officiellement fait office de traducteur. Né le 23 mars 1989 près de Saint-Pétersbourg, l’homme s’appelle en réalité Dmitry Sergeevich Sytii. Polyglotte francophone, il a reçu une formation universitaire à Saint-Pétersbourg (il est diplômé de la Faculté du commerce et des douanes en 2011), Barcelone (master en commerce international) et Paris (marketing).

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Selon des documents financiers obtenus par le journal russe Novaïa Gazeta, il est l’un des dirigeants de Lobaye Invest, au côté de Evgenii Khodotov. Il a également été en relation à Bangui avec Alexander Zalichev. Ce dernier, ancien champion de tir russe, s’est depuis reconverti dans la sécurité privée, en Ukraine et, donc, en Afrique. Il est considéré comme un formateur d’élite de l’entreprise Wagner et de ses filiales. Le rôle de Dmitry Sergeevich Sytii dépasse en effet ses fonctions officielles de traducteur.

Selon nos informations, le jeune homme, qui s’occupe de la stratégie médiatique des Russes à Bangui, a ainsi été en relation régulière avec un certain Bruno Lugon, lequel se présentait comme un conseiller de Faustin-Archange Touadéra à la présidence. Lugon (un pseudonyme pour l’Italien Elio CIolini, comme Jeune Afrique l’avait révélé), a fait l’objet d’une enquête des Nations unies, qui le soupçonnaient de faire partie d’un réseau cherchant à influencer la présidentielle centrafricaine.

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Il est désormais le visage de la présence militaire russe (officielle) en Centrafrique. Conseiller au ministère centrafricain de la Défense, que dirige Marie-Noëlle Koyara et où il pilote le bureau de coopération russe, cet ancien parachutiste s’affiche sur le terrain, aux côtés des troupes centrafricaines, notamment de l’exhibition de saisies d’armes aux combattants des groupes armés rebelles.

Ce haut-gradé de l’armée de l’air participe également, à la primature, aux fréquentes réunions de coordination présidées par le Premier ministre Firmin Ngrebada, aux côtés de Valery Zakharov et Dmitry Sergeevich Sytii. Ces conseils de défense réunissent également les cadres de la Minusca et les principaux chefs de l’armée centrafricaine et sont aujourd’hui destinés à organiser l’offensive conjointe contre les groupes armés alliés au sein de la Coalition des patriotes pour la Centrafrique.

Le général Oleg Polguev (ou Polguyev) a été le chef des services de renseignement des forces aéroportées russes. Il s’est également spécialisé dans la formation des forces spéciales de l’armée de l’air de Russie. En étroite relation avec Valery Zakharov, ce militaire de carrière travaille à Bangui (depuis son arrivée à la fin du mois d’août 2020) en contact, notamment, avec le général de division et chef d’état-major des forces armées centrafricaines Zéphirin Mamadou.

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Très expérimenté, ce diplomate russe a auparavant été en poste en Irak, en partie lors de la deuxième guerre du Golfe. Selon la CIA, Vladimir Titorenko avait à l’époque, en 2003, contribué à couvrir la récupération par les services de renseignement russes du FSB des archives secrètes de Saddam Hussein, que les Américains souhaitaient également récupérer. L’information n’a cependant jamais été confirmée. Spécialiste du Proche et du Moyen-Orient, il avait ensuite été nommé en Algérie, où il restera en poste jusqu’en 2007, avant d’être nommé au Qatar.

À Doha, ce diplomate formé à l’institut d’État des relations internationales de Moscou avait eu maille à partir avec les autorités locales, lesquelles avaient cherché à le forcer à leur ouvrir sa valise diplomatique. Après cette altercation, et sur fond de différend avec les Qataris au sujet de la crise syrienne, Moscou rappellera Titorenko au début de l’année 2012. L’arabophone, francophone et anglophone de 62 ans a été nommé à Bangui au début de l’année 2019, en remplacement de Sergueï Lobanov, en poste depuis 2011.

Proche du Premier ministre Firmin Ngrebada, Vladimir Titorenko dispose à l’ambassade de Russie à Bangui d’une équipe de communication particulièrement active auprès des médias centrafricains. En liaison avec le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, et son vice-ministre pour l’Afrique Mikhaïl Bogdanov, il est aussi impliqué, de façon plus officielle que Valery Zakharov, dans le domaine des affaires. Il fait notamment le lien avec le ministre russe de l’Énergie, Alexandre Novak.

Jeune Afrique

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