Le Conseil militaire de transition qui assure le pouvoir depuis la mort d’Idriss Déby s’inquiète de l’activisme de plusieurs groupes tchadiens toujours actifs dans le Fezzan libyen, d’où venaient les troupes du FACT dont l’offensive sur N’Djamena a été stoppée par l’armée fin avril. Le pays tente de renforcer en toute urgence ses capacités militaires et sollicite l’appui des voisins libyens et nigériens.

Si la colonne du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) qui menaçait N’Djamena le mois dernier a vu sa progression brutalement stoppée fin avril, plusieurs autres mouvements tchadiens envisagent de mettre à profit le flottement provoqué par la mort d’Idriss Déby pour tenter à leur tour un raid sur N’Djamena. Chacun de leur côté, le Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR), l’Union des forces de la résistance (UFR) procèdent à des regroupements sporadiques dans le Fezzan libyen où plusieurs dizaines de combattants du FACT ont également trouvé refuge ces derniers jours. Le groupe rebelle défait a longtemps eu une base arrière à Jufra depuis laquelle il a successivement été allié aux Gouvernement d’union nationale (GUN) puis à l’Armée nationale libyenne (ANL). Son chef Mahamat Mahdi Ali serait lui-même arrivé dans la ville libyenne de Sebha le 4 mai.

Face à une menace tenace qui pourrait s’inscrire dans le temps, le Conseil militaire de transition (CMT) présidé par Mahamat Idriss Déby dit « Kaka », fils d’Idriss Déby, a graduellement rapatrié les derniers hélicoptères Mi-24 et les avions SU-25 qui étaient encore en réparation au sein de l’usine Tbilaviamsheni (TAM), en Géorgie, à Tbilissi (Africa Intelligence du 20/04/21).

L’armée de l’air tchadienne, qui dispose également de trois MIG-29, est donc quasiment au complet pour faire face aux rebelles, mais ses opérations restent très largement handicapées par deux problèmes majeurs : le Tchad n’a aucune capacité de reconnaissance aérienne, et ses avions ne disposent que de munitions balistiques, qu’il s’agisse de bombes OFAB ou de roquettes S-5 et S-8. Contre des colonnes de pick-ups lancés à pleine vitesse dans le désert, avions et hélicoptères sont donc très largement démunis, ce d’autant plus que la portée des MI-24, les seuls à pouvoir effectivement engager les troupes rebelles, est très limitée et ne leur permet pas d’intervenir dans le nord du pays sans effectuer plusieurs escales. Lors de l’assaut des FACT, l’armée de l’air tchadienne est d’ailleurs restée largement inopérante et ce sont les troupes au sol qui ont stoppé l’avancée des rebelles, au prix de pertes importantes. Le FACT était par ailleurs particulièrement bien équipé et disposé de canons anti-aériens ZU-23 ainsi que des mortiers de 120 millimètres. Un arsenal acquis depuis 2018 dans le cadre d’un accord passé avec l’ANL de Khalifa Haftar.

Opération séduction à Tripoli

Anticipant d’autres assauts, les généraux tchadiens se sont également mis en quête du soutien des pays de la région pour limiter les capacités d’intervention des groupes rebelles positionnés dans le Fezzan libyen. Dès le 18 avril, un jet Hawker 900XP immatriculé « TTDAB » a ainsi emmené dans le plus grand secret plusieurs émissaires du Palais rose à Tripoli. Si l’appareil n’arbore pas de signe distinctif sur son fuselage, il est pourtant bien la propriété de la présidence tchadienne et est régulièrement utilisé par un petit carré d’officiels. Il est notamment exploité par un fidèle parmi les fidèles d’Idriss Déby, Aboud Hachim Bouder, maire de la ville d’Amdjarass, tout puissant fief de la famille Déby.

Si la délégation a parcouru le 18 avril les 2 300 kilomètres qui séparent la capitale tchadienne de Tripoli, c’est pour solliciter une plus « étroite collaboration » avec les autorités libyennes dans le Fezzan, alors que plusieurs centaines de combattants tchadiens restent très actifs dans le sud libyen. Les émissaires ont passé la nuit dans la capitale libyenne avant de regagner N’Djamena le lendemain. Bien que les autorités de Tripoli aient une influence toute relative sur le sud du pays, où les groupes armés tissent de très volatiles alliances, la délégation tchadienne aurait néanmoins obtenu plusieurs « gages » de leurs interlocuteurs libyens. L’excursion aurait également permis d’ouvrir de nouveaux canaux de communication entre l’Agence nationale de sécurité (ANS) tchadienne et les services libyens. Le sujet aurait également été évoqué par « Kaka » le 3 mai lors de son entrevue avec le n° 2 de l’ambassade de Turquie au Tchad, Seyfullah Semerci. Très investi en Libye voisine, Ankara possède un certain entregent auprès des autorités de Tripoli après avoir été le principal parrain de l’ancien premier ministre Fayez Sarraj. Le chef de la diplomatie turque était lui-même dans la capitale libyenne le 3 mai et pourrait prochainement se rendre au Tchad.

Un précédent positif

A l’hiver 2019, Tripoli avait déjà répondu favorablement aux appels du pied de N’Djamena et avait émis des mandats d’arrêt internationaux visant plusieurs rebelles tchadiens à l’instar du leader du FACT, Mahamat Mahdi Ali ou encore du patron de l’UFR, Timan Erdimi. En exil au Qatar, le neveu d’Idriss Déby fut en février 2019 l’un des principaux initiateurs de l’offensive rebelle qui avait fait route sur N’Djamena.

Initialement proche de Khalifa Haftar, Idriss Déby a néanmoins toujours pris soin de garder des canaux de discussions avec Fayez Sarraj et avait même pris ses distances avec Haftar dans la foulée de son offensive du printemps 2019 sur la capitale libyenne.

Outre l’appui de Tripoli, les autorités tchadiennes ont également sollicité l’aide de Niamey alors que plusieurs combattants du FACT auraient trouvé refuge au Niger.

Appui technique français

En cas de nouvelle incursion rebelle, le CMT compte également sur l’appui opérationnel de Paris. Si la diplomatie française a rappelé à plusieurs reprises que l’entrée en action de Mirage français n’est pas « automatique » (le dernier engagement de ces avions au Tchad remonte à février 2019), la France reste largement disposée à fournir un appui technique aux militaires tchadiens. Tout au long de l’offensive du FACT, Paris a fourni un soutien en carburant et en ravitaillement à l’armée tchadienne. Plus précieux encore, l’Hexagone a également fourni du renseignement en temps réel, notamment en imagerie, aux Forces armées tchadiennes (FAT). Cet appui avait notamment été sollicité par Idriss Déby lors d’un entretien téléphonique avec Emmanuel Macron mi-avril.

Au plus fort des affrontements d’avril, l’opération française Barkhane n’a ainsi pas hésité à engager des drones, qui font cruellement défaut à l’armée de l’air tchadienne, pour faire des vols de reconnaissance sur la colonne de rebelles descendant vers N’Djamena. L’armée française a dépêché des drones Reaper MQ9 depuis Niamey au-dessus des positions des combattants rebelles tchadiens. Mais cet appui – rarissime – n’a été que ponctuel en raison, là encore, de l’autonomie des appareils et de l’immensité du territoire tchadien. Les Reapers MQ9 n’ont qu’une autonomie de vingt-quatre heures, et la distance séparant Niamey du nord du Tchad suffit à elle seule à épuiser la moitié du réservoir des appareils.

Ouverture d’un dialogue avec certains rebelles ?

Soucieux de ne pas perdre la main dans le Tibesti (Nord), « Kaka » cherche également activement des interlocuteurs au sein de la communauté Toubou, installée à cheval entre la Libye et le nord du Tchad. Objectif : éviter toute résurgence de revendications indépendantistes et d’éventuelles alliances avec les groupes rebelles tchadiens présents en Libye, comme cela a déjà été le cas ces dernières années.

Si le CMT s’est jusqu’à présent fermement opposé à toutes négociations avec les groupes rebelles, le profil du nouveau ministre de la « réconciliation nationale » du gouvernement de la transition nommé le 2 mai, Acheikh ibn Oumar, est un signal à peine voilé en direction des mouvements combattants. Lui-même ancien rebelle, Acheikh ibn Oumar est un familier des principaux leaders des groupes armés tchadiens et connaît personnellement depuis plus de trente ans Mahamat Mahdi Ali, le leader du FACT. Les deux hommes ont longtemps vécu à Reims, en France, avant que Acheikh ibn Oumar ne rallie Idriss Déby en 2018.

Dans les années 1990, Acheikh ibn Oumar avait successivement milité au sein l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) de Mahamat Nouri, puis l’UFR de Timan Erdimi. Négociateur hors-pair avec ses anciens opposants, Idriss Déby avait notamment fait des ralliements des anciens chefs rebelles un des principaux relais de l’assise de son pouvoir.

Tchadanthropus-tribune avec la Lettre du continent.

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