Un expert associé de la Chaire de recherche Raoul Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) s’est prononcé sur la question de l’alternance politique au Tchad. Daniel Eizenga est aussi chargé de la recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique, à Washington DC.

Nous avons saisi l’occasion des tensions politiques actuelles dans ce pays du centre de l’Afrique pour recueillir l’avis de cet expert qui s’intéresse aussi à l’extrémisme radical au sahel.

Il est important d’observer que la République du Tchad est une ancienne colonie française. Elle a pour voisins au Nord la Libye, à l’ouest le Niger, et au sud-ouest le Nigéria. C’est donc un pays qui doit composer avec l’islamisme radical et les mouvements terroristes très actifs au sahel. Avec son allié français, N’Djamena tente tant bien que mal de calmer les ardeurs de ces mouvements qui demeurent cependant actifs, malgré un affaiblissement considérable de leurs moyens d’opération.

Les tensions internes actuelles prennent leur source dans la longévité du président Idriss Déby aux affaires. Celui-ci est au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle et il ne lésine sur aucun moyen pour modifier la Loi constitutionnelle et briguer un nouveau mandat.

Cet exercice a réussi à l’ancien militaire de 69 ans qui a pu ainsi briguer un troisième mandat en 2006, puis un quatrième en 2011. Bien qu’il ait pu à nouveau modifier la constitution en 2018 en vue de participer plus librement aux élections d’avril 2021, la voie vers un cinquième mandat est parsemée d’embuches.

Les limites de mandats présidentiels ont été supprimées par référendum en 2005, un an avant les élections de 2006. Mais, on assiste à une forte mobilisation de l’opposition décidée à en découdre avec cette pratique jugée antidémocratique.

Le porte-étendard de cette opposition est un économiste de 37 ans, docteur en sciences économiques, à la tête du mouvement Les transformateurs.

Porté par une diaspora animée par le même désir ardent de transformer leur pays pour le bien des 16 millions de Tchadiens, Succès Masra est déterminé à renverser le système. Cela se fera bien sûr par les urnes, mais Les transformateurs disent compter sur l’appui de la communauté internationale.

Il y a eu des manifestations de soutien récemment devant le bureau du premier ministre du Canada à Montréal. Mais, les manifestants se disent déçus du silence des autorités canadiennes face à leurs revendications. Ils souhaitent qu’Ottawa défende avec la même ferveur qu’au Myanmar, en Chine et en Syrie, les idéaux démocratiques dans leur pays d’origine.

Y a-t-il réellement un silence canadien autour de cette question au Tchad ?

« Non », répond l’expert Daniel Eizenga.

« Je suis sûr que les responsables canadiens travaillent dur pour faire pression sur le gouvernement tchadien en faveur des réformes démocratiques et pour faire respecter les droits de la personne où et quand ils le peuvent », a-t-il argumenté.

Les questions de bonne gouvernance et de respect des droits de la personne sont au cœur de la politique étrangère du Canada. Elles constituent le socle de ses relations avec les pays d’Afrique et d’autres continents.

Le second et le troisième mandat du président Déby ont été marqués par un engagement à combattre la pauvreté et à œuvrer à l’instauration d’une véritable démocratie axée du l’État de droit, la stabilité et le développement de ce pays. Mais au fil des ans, les multiples révisions constitutionnelles et la pauvreté galopante dans ce pays, en plus d’une image internationale de la gouvernance négative en raison de la corruption et des atteintes aux libertés fondamentales, ont fini par causer une régression de la démocratie.

Si le Canada ne dit rien jusqu’à présent, ce serait parce que le Tchad n’est pas un partenaire proche. Par ailleurs, ce serait aussi lié au fait que les Canadiens connaissent peu ce pays ouvert sur le lac Tchad, explique l’expert Eizenga.

« On peut —ainsi—comprendre pourquoi les responsables n’ont pas offert une réponse plus ferme à la gouvernance de plus en plus autoritaire de Déby. Je pense que malheureusement, un pays comme le Tchad ne reçoit tout simplement pas le degré d’attention qu’il mérite et qu’il faut souvent un événement extrême comme le coup d’État militaire au Myanmar pour le faire passer au premier plan de l’attention de tous » – Daniel Eizenga.

La République du Tchad est située au centre de l’Afrique. Crédit : Istock

Faut-il pour autant penser que le Canada ait oublié le Tchad et toute l’Afrique subsaharienne ?

Une de plus, « non », répond l’expert.

Ottawa s’est distinguée au fil des ans par sa politique d’immigration généreuse et une ouverture quasi illimitée à l’accueil des demandeurs d’asile et autres personnes fuyant l’oppression politique à travers le monde.

  1. Eizenga recommande néanmoins aux autorités canadiennes de réévaluer plus souvent les partenariats avec les pays africains et de se montrer plus vigilantes sur les questions en lien avec les idéaux démocratiques et les droits de la personne.

Comment interagir avec ces pays sans donner l’impression de s’ingérer dans leurs affaires internes ? La question se pose, car dans bien des pays francophones d’Afrique, les leaders et autres porte-parole de la société civile ont souvent reproché à la France un interventionnisme dans le seul but de satisfaire ses propres intérêts.

L’expert mentionne à ce sujet qu’il existe des « façons de s’engager avec les pays africains qui n’interfèrent pas avec leurs affaires internes ». Il met de l’avant le partenariat qui, selon les théories en relations internationales, est crucial.

« Il existe de nombreuses possibilités d’établir un partenariat solide entre les différents pays africains et le Canada. Cela est dû en partie à ce que le Canada a à offrir. Mais, cela se présentera différemment selon les pays. » – Daniel Eizenga.

Le Tchad fait partie des 54 pays du continent africain où les progrès démocratiques sont généralement mitigés, constate l’expert.

« Il y a certainement des pays qui ont connu une restauration d’un régime autoritaire après avoir organisé des élections multipartis comme le Tchad. Et dans de nombreux cas, les dirigeants ou leurs familles restent au pouvoir pendant de nombreuses décennies […] Mais il y a aussi des exemples où on voit une consolidation démocratique aussi. Le Ghana et le Sénégal sont deux de ces exemples, où il y a de multiples moments d’alternance, à la suite d’élections libres, équitables et de plus en plus compétitives ». Daniel Eizenga.

Il considère que l’Afrique est un continent diversifié avec de nombreux partenaires potentiels différents.

« Je pense que le défi pour Ottawa est d’identifier les meilleurs partenaires pour le Canada et de travailler à l’approfondissement de ses relations sur le continent », a -t-il mentionné, soulignant du même coup que les principes démocratiques devraient pouvoir fonctionner partout dans le monde.

« Si nous définissons la démocratie comme un type de régime présentant des caractéristiques essentielles : des élections régulières, libres et équitables, des droits politiques et civils qui garantissent que les élections sont représentatives en plus d’être libres et équitables, y compris le suffrage universel des adultes, et une autorité gouvernementale des élus, alors je pense que la démocratie peut fonctionner dans tous les États du monde entier », a-t-il conclu.

Par Alice Chantal Tchandem Kamgang | 
francais@rcinet.ca

Publié le vendredi 26 février 2021 à 13:25
Mis à jour le samedi 27 février 2021 à 09:36

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