Grâce à des finances publiques à l’équilibre, l’heure est aux grands travaux et à la diversification. L’exécutif tchadien semble avoir toutes les cartes en main pour que le rythme de croissance économique s’accélère. Et celui du développement humain aussi.

Trottoirs repeints, tapis rouge et dromadaires. Le 23 mai dernier, N’Djamena a revêtu ses plus beaux atours pour l’investiture du général Mahamat Idriss Déby Itno. Toque blanche sur la tête, écharpe jaune en travers du torse, le premier président de la Vᵉ République du Tchad, élu avec plus de 61 % des suffrages exprimés à l’issue du premier tour, le 6 mai, rappelle ses promesses de campagne devant la plupart des dignitaires du pays et des chefs d’États de la région ayant fait le déplacement.

Des soins gratuits pour la mère et l’enfant, l’augmentation des dépenses sociales, l’amélioration de l’accès à l’électricité, le doublement du nombre de routes bitumées… Si les engagements du président se concrétisent, le Tchad pourrait vite ressembler à un vaste chantier. À la hauteur des immenses besoins du pays.

L’un des IDH les plus faibles au monde

Car si le Tchad est le deuxième pays le plus peuplé de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac), après le Cameroun, il n’est que la troisième économie de la sous-région et affiche l’un des indices du développement humain les plus faibles au monde, n’émargeant qu’à la 189ᵉ place sur 193 pays classés par le Pnud dans son rapport 2023-2024. Selon la Banque mondiale, en 2022, 42,3 % des Tchadiens vivaient au-dessous du seuil national de pauvreté. De mauvaises récoltes et l’inflation mondiale ont même aggravé le phénomène, et le taux d’extrême pauvreté est passé de 31,2 % de la population en 2018 à 35,4 % en 2023. Néanmoins, quelques bonnes nouvelles affleurent en dépit de ce sombre tableau.

En 2023, malgré la crise humanitaire déclenchée dans l’est du Tchad par la guerre au Soudan – le Tchad accueille plus de 1 million de réfugiés –, l’économie nationale a enregistré sa plus forte performance depuis 2014, avec une croissance du PIB estimée supérieure à 4 %. Une amélioration à mettre au crédit des investissements publics et des subventions débloquées pour lutter contre l’insécurité alimentaire, mais aussi de la hausse de la production de pétrole.

Le pays reste très dépendant des hydrocarbures depuis l’entrée en production, en 2003, des champs pétrolifères de Doba, dans le Logone-Oriental (Sud). Le pétrole est exporté, via un oléoduc traversant le Cameroun, jusqu’à la côte Atlantique. Le revenu des hydrocarbures a permis au Tchad de connaître une croissance rapide pendant dix ans et, aujourd’hui, le secteur pétrolier représente toujours 30 % du PIB, 86 % des revenus d’exportation et 62 % des recettes budgétaires du pays.

L’élevage, moteur de la diversification

En 2024, selon les projections du FMI, la croissance devrait décélérer à 2,9 %. « L’économie continue d’évoluer positivement, estime néanmoins Tahir Hamid Nguilin, le ministre tchadien de l’Économie et des Finances, interrogé par Jeune Afrique. La plupart des grandes entreprises du pays font des bénéfices, le taux de recouvrement des recettes publiques est satisfaisant, et les grands travaux ont commencé. Après cette phase de transition, qui s’est déroulée dans la quiétude malgré les pronostics des Cassandre, nous nous tournons résolument vers l’avenir. »

Lentement, mais sûrement, le Tchad entame sa diversification économique. Le secteur primaire hors pétrole concerne principalement l’élevage, deuxième poste d’exportation du pays. « Nous sommes un grand pays de bétail, rappelle le ministre. Nous voulons vraiment mettre l’accent sur la chaîne de valeur de la viande. » Le Tchad possède en effet l’un des cheptels les plus importants du continent, estimé à 110 millions de têtes, et le secteur emploie 40 % de la population du pays, qui exporte plus de 1 million de bovins par an.

Jusqu’à présent, la quasi-totalité des bêtes était expédiée sur pied et sans transformation. Mais la situation est en train d’évoluer depuis la création, en 2022, de Laham Tchad, une société de projet détenue à 65 % par Arise IIP et à 35 % par l’État tchadien. Désormais, dans l’abattoir de Moundou, capitale économique et deuxième ville du pays, des centaines de carcasses sont déjà transformées chaque jour. L’objectif, à terme, est de reproduire ce modèle dans d’autres régions tchadiennes.

La réussite du tandem Olam-CotonTchad SN

Le secteur cotonnier connaît également une réelle embellie depuis la reprise par le groupe singapourien Olam, en 2018, de l’entreprise publique CotonTchad – devenue CotonTchad Société nouvelle (SN). « Nous sommes très optimistes, le secteur est en train de prendre son envol », assure Tahir Hamid Nguilin. CotonTchad SN détient le monopole d’achat de coton-graine.

Selon l’entreprise, le pays affichait une récolte de 110 000 tonnes de coton-graine pour la campagne 2023-2024 (une quantité en hausse de 9,9 % sur un an) et « pour la campagne 2024-2025 [qui a débuté à la fin juillet], CotonTchad SN anticipe une croissance de 36 % de la production nationale, à 150 000 tonnes ». Une évolution qui touche aussi l’aval de la filière puisque, en février 2023, un nouveau complexe industriel a été inauguré à Gounou-Gaya, dans l’est du pays, qui regroupe usines d’égrainage et de délintage, ainsi qu’une huilerie-savonnerie.

Outre le coton, la production agricole – mil, maïs, arachide, riz, sésame… –, qui représente 60 % du PIB, soutient la croissance grâce à de meilleures conditions météorologiques, après une année 2022 marquée par de violentes inondations. Selon la Banque mondiale, le secteur agricole a contribué à la croissance à hauteur de 1,6 point de pourcentage en 2023.

Douze chantiers prioritaires

Fort de ces perspectives positives, le nouveau Premier ministre, Allamaye Halina, a présenté sa déclaration de politique générale le 13 juin et a annoncé un programme de douze chantiers prioritaires. « Ces douze chantiers seront l’épine dorsale du Plan national de développement [PND] qui sera présenté en novembre », explique Tahir Hamid Nguilin. Conscient de l’ampleur de la tâche, le ministre de l’Économie et des Finances estime que le défi, « c’est de continuer à réformer, améliorer le climat des affaires ». De fait, la corruption est encore endémique au Tchad : le pays est classé 162e sur 180 dans le classement de l’indice de perception de la corruption 2023, publié en janvier par Transparency International.

Les autorités ont cependant désormais les coudées franches pour réformer et avancer. Depuis l’accord de restructuration de la dette publique extérieure du pays avec ses principaux créanciers, en novembre 2022, le poids de la dette publique rapportée au PIB baisse progressivement. « Cela nous donne l’opportunité d’investir. Nous en avons les moyens, notre pays est l’un des moins endettés du continent, avec une dette autour de 30 % du PIB », s’enthousiasme, le ministre Tahir Hamid Nguilin. Les autorités tchadiennes ont dorénavant toutes les cartes en main.

 

JA3140_GF_REPERES_TCHAD
JA3140_GF_REPERES_TCHAD

Jeune Afrique

201 Vues

Il n'y a pas encore de commentaire pour cet article
Vous devez vous connectez pour pouvoir ajouter un commentaire