Communiqué de presse de l’écrivain et doyen, Antoine Bangui, homme politique tchadien des années 70.

Depuis la mort du président Idriss Déby Itno, la situation du Tchad, déjà préoccupante, devient alarmante. Le passage en force d’une succession autoproclamée par le CMT, Conseil militaire de transition, dans le mépris et le déni des textes constitutionnels, laisse le pays sous le choc et l’incertitude. Cette manœuvre grotesque, visant à pérenniser un pouvoir militaire clanique, a néanmoins le mérite de mobiliser toutes les composantes du peuple tchadien qui ensemble réclament un consensus constructif permettant l’avènement d’un pouvoir démocratique.

Loin d’écouter cette juste revendication, le CMT tente de l’intimider, de la réprimer, au besoin par les armes. Devant le tollé soulevé par les morts et les blessés de la manifestation du 27 avril 2021, dont des jeunes et des enfants, il a ensuite cherché à la noyauter en formant hâtivement un gouvernement qui ne répond pas aux attentes mais a pour unique objectif de concrétiser ce pouvoir usurpé.

Qu’est devenue la promesse d’Idriss Déby Itno dès son arrivée dans notre capitale le 1er décembre 1990, après la dictature sanglante de Hissein Habré ? Nous entendons encore son discours :

 » Je ne vous apporte ni or ni argent mais la démocratie ! »

D’évidence le peuple tchadien n’a vu ni l’or noir du pétrole, ni la démocratie promise. La multiplicité des partis furent des leurres pour donner le change. Dans les faits, le dé-tricotage systématique des résolutions de la Conférence nationale souveraine tenue en 1993, les remaniements de la constitution, la succession des élections truquées donnant l’illusion de la démocratie, ont permis à Idriss Déby Itno, en dernier ressort s’octroyant le titre de maréchal, de rester à la tête du pays pendant trente ans, sans alternance possible.

Pourtant, quelle que soit notre amertume, nous partageons la douleur de la famille éprouvée par la mort tragique de son chef. Cela ne nous empêche pas de demander que soient élucidées les circonstances réelles de la mort du président tchadien Idriss Déby Itno car personne n’est dupe du communiqué publié par le CMT qui pose davantage de questions qu’il n’en résout.

Le Tchad n’est plus celui du début des indépendances africaines, sous la tutelle occulte et manœuvrière de ce qu’on appelle la Françafrique ! En ce début du XXIème siècle, le pays a changé, sa population dont les jeunes représentent plus de 60%, aspire à une liberté qui ne dépende plus du bon vouloir d’un pouvoir omnipotent et prédateur, conforté par des puissances étrangères, voisines ou occidentales. La période flamboyante du colonialisme et du néocolonialisme est terminée, les médias soumis au pouvoir n’ont plus le monopole d’une information qui actuellement se propage à la minute près dans les zones des plus reculées de notre vaste pays et partout sur la planète. Notre jeunesse, formée dans les universités d’Afrique, d’Europe, d’Amérique et d’Asie, capable d’analyser les données politiques, économiques, sociales, environnementales, a compris l’utilisation pacifique de ces nouvelles formes de communication qui n’ont pas de frontières. Consciente que l’État tchadien érigé en République fait d’elle des citoyens responsables, elle s’insurge face aux récents événements qui nous laissent à tous, doutes, inquiétudes, colère, incompréhension quant à l’implication à sens unique de la France. Je veux ici saluer la mobilisation de notre jeunesse, revendiquant les droits qui sont la base de tout État démocratique, ceux de s’exprimer et de manifester librement, celui d’avoir une justice indépendante du pouvoir. A ce propos, il nous faut malheureusement rappeler que l’armée est destinée à défendre nos frontières, non à tirer sur le peuple qu’elle devrait protéger de l’ennemi !

Ne sombrons pas dans l’illusion que notre champ politique peut s’exclure du dynamisme et des idées réformatrices de nos jeunes. En reproduisant un passif sans innovations, sans réels changements, on abandonne l’espoir d’un avenir meilleur, on abandonne nos parents à leur misère, on reste dans la survie et la dépendance. Demandons-nous pourquoi, en soixante ans d’indépendance, le Tchad, malgré le courage de son peuple, son potentiel économique et son pétrole, est classé sur l’échelle du développement humain au 187ème rang sur les 189 pays que compte les membres des Nations Unies ? Tous nous en connaissons les raisons : mauvaise gouvernance de ceux qui détiennent le pouvoir, appropriation des richesses sans retombées sur les populations, népotisme, corruption, pruderie de nos politiques plus aptes à se servir qu’à servir le pays ?

J’ai vécu assez longtemps pour voir disparaître de nombreux présidents africains et en particulier ceux d’Afrique centrale : Mobutu Sese Seko du Zaïre, Léon Mba et Omar Bongo du Gabon ; Fulbert Youlou de la République du Congo ; Barthélémy Boganda et Bokassa de la République centrafricaine, Ahmadou Ahidjo de la République du Cameroun et le premier président du Tchad, N’Garta Tombalbaye qui crut bon de m’emprisonner pendant trois ans. Aucun d’eux n’a emporté dans la tombe ni le pouvoir, ni leurs biens plus ou moins mal acquis. En revanche les pays qu’ils ont laissés derrière eux connaissent tous un cruel déficit en matière de liberté, de justice, de développement.

Nous sommes à un tournant de notre histoire. Ne laissons pas un quarteron de généraux, fussent-ils quinze, décider du sort de tout un peuple. L’histoire jugera, comme pour le Rwanda, l’ancienne puissance colonisatrice, qui en adoubant ouvertement ce putsch militaire, renie les droits de l’homme dont elle se dit l’inspiratrice et le défenseur. Pourquoi le peuple tchadien est à ce point méprisé qu’on admet et soutient ce qu’en d’autres pays, on aurait condamné, on avait condamné ? Pourquoi deux poids, deux mesures, une telle discrimination ?

C’est aux Tchadiens de décider de leur sort, de leur gouvernance. Je pense, je crois, j’ose espérer que tous, Tchadiens de l’intérieur comme de la diaspora, pouvons-nous réunir pour en débattre ensemble dans l’enceinte d’une conférence nationale inclusive qui pourrait rapidement avoir lieu avec le concours neutre, j’insiste sur cette neutralité, de puissances étrangères qui doivent comprendre qu’à ce stade tout peut basculer, que notre pays le Tchad, dont ils connaissent l’importance sur le plan stratégique, risque de devenir une poudrière imprévisible, vite incontrôlable, si l’on persiste à mettre le couvercle sur ses aspirations légitimes. Si l’on veut y ramener démocratie et paix par un consensus reconnu, à cette conférence devraient être invités les délégués représentatifs de la société civile, des partis politiques, des syndicats, de la diaspora, de la rébellion militarisée, de l’armée au même titre que les autres participants, sans que les membres du CMT puissent se prévaloir de leur pouvoir usurpé ou exercer une quelconque autorité. Cette conférence, consciente des erreurs faites par celle de 1993, devrait émettre des résolutions librement débattues et votées non plus à bras armés ou levés, mais dans le secret des urnes, sous le contrôle d’observateurs, je le répète neutres, dépourvus d’intérêts personnels. Il devrait en sortir une nouvelle constitution qui ne concentre plus les décisions engageant le pays entre les mains d’un seul individu, fut-il un président élu, mais redonne au peuple une véritable voix se faisant entendre par l’intermédiaire de ses parlementaires élus, dans une assemblée représentative de tous les citoyens. Il me paraît alors juste de penser que cela exige un autre découpage électoral pour que le nombre de députés de chaque secteur ne soit plus.

Arbitraire mais proportionnel à celui des électeurs. Enfin, il faudrait prévoir des garde-fous assez solides pour que la constitution et les résolutions adoptées par consensus soient respectées dans la durée, sans remaniements qui les videraient de leur sens et permettraient les dérives que nous connaissons depuis notre indépendance en 1960.

Dans cette perspective, il est hautement souhaitable que l’Union européenne, les Nations Unies, l’Union africaine se chargent du financement et de l’organisation de ces assises nationales de manière à éviter les manœuvres occultes bilatérales susceptibles d’annihiler à plus ou moins brèves échéances les décisions prises

J’ai mis un certain temps avant de m’exprimer car j’avais l’espoir d’un changement qui se ferait après une courte transition, le temps de mettre en place des élections. Hélas ! J’ai dû me résigner à comprendre que sans réaction des uns et des autres, nous reviendrons sous la coupe d’un pouvoir autoritaire et discriminatoire, sans assises légales pour un temps si long que je ne connaîtrais jamais mon pays devenir indépendant et démocratique et qu’il en sera de même pour la génération suivante et peut-être encore pour les autres à venir.

Je suis trop âgé pour briguer quoique ce soit ! C’est à chacun de faire sa part, je tenais seulement à faire la mienne.

Le 9 mai 2021

Antoine Bangui Rombaye.

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