L’interpellation le 21 février de quatre militaires français a fait encore monter d’un cran les tensions entre Bangui et Paris. Le Quai d’Orsay, qui a fait passer plusieurs messages à la présidence centrafricaine, a discrètement suspendu le 22 février la délivrance de visas vers la France.

L’escalade des tensions entre Bangui et Paris devient spectaculaire. Le 21 février, quatre casques bleus français de la mission de maintien de la paix des Nations unies en Centrafrique, la Minusca, ont été arrêtés par les Forces de sécurité intérieure à l’aéroport de Bangui. Ils accompagnaient le chef d’état-major de la mission, Stéphane Marchenoir, qui prenait son avion pour Paris. Il leur est reproché de s’être trouvés dans un véhicule banalisé aux abords du pavillon présidentiel, au moment où le président Faustin-Archange Touadéra atterrissait de Bruxelles, revenant du sommet Union européenneUnion africaine. Dès son arrivée à l’aéroport, le chef de l’Etat a été exfiltré par la garde présidentielle et des éléments des paramilitaires russes de Wagner.

Au 23 février au soir, les quatre militaires français étaient toujours retenus dans les locaux de la Section de recherche et d’investigation centrafricaine. Ils ont été informés qu’ils étaient poursuivis pour « atteinte à la sûreté de l’Etat », mais les procès-verbaux d’audition n’avaient pas encore été transmis hier matin au procureur de la République, Laurent Lengande, qui a ouvert une enquête. La première période de garde à vue, de 72 heures, devrait prendre fin ce jeudi soir.

L’ONU en première ligne, la France mobilisée

Mardi, la représentante spéciale ajointe Lizbeth Cullityet le commandant de la mission, le Burkinabé Daniel Sidiki Traoré se sont rendus auprès de Touadéra pour plaider la libération des casques bleus. La délégation a fait observer au chef de l’Etat que leur détention était « illégale » et constituait une violation des accords signés entre les Nations unies et la Centrafrique. Le président centrafricain a, de son côté, botté en touche, se rangeant derrière « l’indépendance de la justice » et la décision du procureur de la République, Laurent Lengande, d’ouvrir une enquête. Le 23 février, le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres a appelé à la libération immédiate des quatre militaires.

Si officiellement l’affaire regarde en premier lieu l’ONU, la diplomatie française est discrètement mobilisée depuis le soir du 21 février. En coulisses, l’ambassadeur à Bangui Jean-Marc Grosgurin a ainsi fait parvenir des messages particulièrement explicites à la présidence centrafricaine, afin d’appeler à la libération des soldats.

Dans le même temps, Paris a, selon les informations d’Africa Intelligence, suspendu – officiellement pour des raisons techniques – la délivrance de tous les visas (ordinaires, de service et diplomatiques). Si l’hypothèse d’un rétablissement des visas ordinaires est envisagée pour les semaines à venir, les visas diplomatiques et de service attribués à des officiels centrafricains pourraient, eux, rester suspendus. Des mesures de renforcement des contrôles des passagers en provenance de Bangui sont également à l’étude.

L’argument du légionnaire

Si les autorités centrafricaines restent floues au sujet des accusations visant les casques bleus, le principal élément de leurs investigations repose sur le véhicule de location utilisé par les militaires. Pour Paris, il ne fait aucun doute que l’ombre de Wagner plane sur cette arrestation. Cette dernière aurait été préparée depuis plusieurs semaines et la diffusion d’images de l’interpellation aurait été coordonnée en amont. La séquence rappelle l’arrestation en mai dernier d’un ancien militaire français à Bangui, Juan Rémy Quignolot, pour tentative de coup d’Etat. Dans les faits, la société paramilitaire russe travaille étroitement avec les services de renseignement centrafricains, dirigés par l’ancien ministre d’intérieur Henri Wanzet Linguissara.

De son côté, Bangui a particulièrement appuyé sur le fait que les militaires arrêtés appartenaient à la « légion étrangère ». Un élément mis en exergue dans le communiqué du parquet centrafricain, qui évoque des militaires français « d’origines bulgare, italienne et roumaine. » Une précision loin d’être anodine : dans la guerre médiatique que se livrent Paris et Moscou, plusieurs relais russes en Afrique accusent régulièrement les légionnaires français d’être un « corps de mercenaires ». Une réponse directe aux nombreuses allégations visant les hommes de Wagner.

Un froid diplomatique prégnant

Les tensions franco-centrafricaines étaient déjà montées d’un cran lors du sommet UE-UA de Bruxelles. Malgré plusieurs demandes, Touadéra n’a pu y rencontrer aucun officiel français, et n’est pas parvenu à faire avancer le déblocage de l’appui budgétaire européen, gelé depuis quatre mois.

Africa Intelligence

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