Les frères ennemis libyens, le chef du gouvernement de Tripoli Fayez al-Sarraj et l’homme fort de l’est Khalifa Haftar, se rencontrent ce mardi 25 juillet près de Paris sous l’égide du président français Emmanuel Macron, qui espère obtenir leur engagement à sortir le pays du chaos.

La présidence française a reconnu que la réunion de ce mardi ne réglerait pas le conflit, mais espère, au minimum, leur faire signer une déclaration conjointe pour définir les principes de sortie de crise. Ce qui, au vu des résultats de leur dernière rencontre en mai dernier, constituerait déjà un progrès. Avant la rencontre, l’Elysée a même dévoilé par erreur un communiqué révélant que les deux hommes s’engageaient à « un cessez-le-feu », et à des élections « dès que possible », dans la lignée de celles proposées par al-Sarraj pour mars 2018.

Pour autant, l’affaire est loin d’être jouée, alors que tout oppose les deux protagonistes. D’un côté, al-Sarraj, l’homme politique, qui ne doit sa position qu’à l’appui de la communauté internationale. De l’autre, Haftar, l’homme du terrain, qui jouit d’une vraie popularité dans une grande partie du pays.

L’homme des textes….

C’est son nom qui ressort lorsqu’on en vient à chercher un « chef » à l’Etat libyen: Fayez al-Sarraj, Président du Conseil Présidentiel du Gouvernement d’Union National (GNA) et Premier Ministre n’est pourtant arrivé que récemment sur la scène politique nationale, après avoir réussi dans le secteur public.

Si son père Mostafa a été l’un des pères fondateurs de la Libye indépendante en 1951, Fayez al-Sarraj n’a lui rejoint la politique qu’en juin 2014, en étant élu au Parlement. Ses vrais débuts politiques ont toutefois lieu en mars 2016, quand il arrive à Tripoli comme chef du GNA, avec une certaine audace et malgré l’opposition des autorités alors en place.

Pourtant, depuis cette démonstration de force, al-Sarraj peine à asseoir son autorité. En effet, depuis plus d’un an et demi, le principal succès de cet homme de 57 ans a été la reprise de Syrte aux djihadistes de Daech grâce à des forces ralliées au GNA. Un succès militaire qui cache mal plusieurs échecs, dont la perte de terminaux pétroliers au profit de forces pro-Haftar ou l’incapacité à alléger les difficultés quotidiennes des Tripolitains. Preuve de son impopularité? Le 20 janvier 2017, un convoi transportant le Premier Ministre a été touché par des tirs à Tripoli, sans que l’on sache précisément s’il s’agissait de tirs ciblés ou d’affrontements entre milices rivales.

…contre l’homme de terrain

Lui est un habitué du paysage politique libyen. En 1969, ce soldat formé dans l’ancienne Union soviétique participe au Coup d’Etat qui porte Khadafi au pouvoir. Il le servira pendant de longues années, avant d’être brutalement lâché par l’ancien dictateur. Vingt ans d’exil aux Etats-Unis et il revient en Libye, où il participe à la révolution de 2011 contre son ancien dirigeant. Depuis, il n’a de cesse de tenter de s’imposer comme l’un des hommes forts du pays. Et il y a en partie réussi aujourd’hui.

Comment? En renonçant à la Capitale et (a  la politique au sens législatif), pour se concentrer sur l’Est du pays et la lutte contre le terrorisme. Un choix stratégique qui lui permettra de gagner l’estime des militaires, mais aussi de la population et enfin de la communauté internationale.

En 2011, peu de temps après son retour à Benghazi, grande ville de l’est libyen, il est ainsi fait chef d’état-major par 150 officiers. En septembre 2016, il devient le premier maréchal de l’histoire de la Libye, grâce au Parlement élu de Tobrouk, reconnu par la communauté internationale. Mais son succès le plus notoire -et qui le remettra définitivement dans les bonnes grâces de la France- le général Haftar l’obtient le 6 juillet 2017 lorsqu’il annonce la « libération totale » de la ville de Benghazi des djihadistes, après plus de trois ans de combats meurtriers.

Après cette annonce, le Quai d’Orsay salue « toutes les avancées  dans la lutte contre le terrorisme, comme celles actuellement enregistrées par les forces du général Haftar contre les groupes terroristes présents à Benghazi »…Pour que ces succès soient durables, il faut qu’une armée libyenne régulière sous l’autorité du pouvoir civil puisse être constituée afin de contrôler l’ensemble du territoire libyen et ses frontières », ajoute alors la porte-parole de la diplomatie française, qui affirme aujourd’hui publiquement que le général Haftar « fait partie de la solution » en Libye.

Objectifs communs, mais une absence de consensus

Le texte publié par erreur par l’Elysée a, à première vue, l’air prometteur: un « nous » rassembleur, « un cessez-le-feu » qui marquerait la fin des affrontements entre milices rivales, des élections « dès que possible »…. Tout est-il gagné pour autant? Rien n’est moins sûr.

Car cette unité de façade n’est pas sans rappeler les déclarations qui avaient suivi la rencontre à Abou Dhabi. Les deux adversaires affichaient déjà un objectif commun: « Unifier les efforts pour lutter contre le terrorisme et mettre fin aux souffrances des Libyens ».

Mais c’était également le but de l’accord de Skhirat, qui a acté la désignation de Faeyz al-Sarraj comme Président du Conseil présidentiel. Or, Khalifa Haftar, qui s’est auto-proclamé chef de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) n’a jamais reconnu l’autorité de al-Sarraj, tout comme le parlement de Tobrouk qui a depuis toujours refusé de voter le confiance au Président.

Les raisons d’une telle défiance? Officiellement, le gouvernement de Tobrouk reproche son « inefficacité » au GNA. Mais le vrai motif de discorde concerne surtout la place de l’armée dans la politique libyenne. Ou plutôt la place de Khalifa Haftar, qui entend bien jouer un rôle important dans la Libye à reconstruire.

Les deux communiqués qui étaient ressortis de la rencontre en mai sont particulièrement révélateurs. Celui de Fayez-al-Sarraj affirmait ainsi qu’un accord avec le maréchal Haftar avait été trouvé afin de « mettre en place une stratégie (…) pour former une armée libyenne unifiée » sous « une autorité civile ». Le clan opposé affirmait que l’accent a été mis sur la nécessité « de permettre à l’institution militaire (loyale à Haftar) d’assurer pleinement son rôle dans la lutte contre le terrorisme ».

« L’équilibre des forces sur le terrain a basculé en faveur d’Haftar: il a sécurisé plusieurs bases dans le sud du pays, a conquis la base stratégique d’Al Joufra dans le centre et pourrait se diriger vers Syrte (ouest) dans les prochaines semaines », résume Mattia Toaldo, spécialiste de la Libye à l’ECFR. Mais nombre d’observateurs indépendants s’interrogent sur les ambitions et la volonté du chef de l’armée de se soumettre à une autorité civile. Car après les années Khadafi, le spectre du retour d’une dictature militaire plane toujours.

Deux visions de la Libye vont donc se faire face ce mardi, sous l’égide d’Emmanuel Macron et en présence du nouvel émissaire de l’ONU pour la Libye, Ghassan Salame, qui prend ses fonctions cette semaine. Pour parvenir à un résultat qui ne se limitera pas à un bout de papier, le Président français va donc ménager les susceptibilités. Selon des sources diplomatiques, la déclaration répéterait qu’il n’y a pas de solution militaire possible pour la Libye (et donc calmerait les ambitions floues de Haftar), tout en reconnaissant la légitimité politique de Fayez al-Sarraj mais également militaire de Khalifa Haftar. Pas sûr que le véritable homme fort de l’armée libyenne s’en contente. Et surtout, encore moins sur que la paix revienne de sitôt en Libye.

 

Tchadanthropus-tribune avec Zoomtchad

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