Entre la France et l’Afrique, le nouveau président français Emmanuel Macron et son équipe promettent d’opérer une « mue idéologique ». Rien de moins. Qu’en pensent les mouvements de la société civile qui luttent depuis plusieurs années contre la Françafrique ? En France, Yanis Thomas est le porte-parole de l’association Survie. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Yanis Thomas, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen est-ce que vous avez eu une préférence dimanche dernier ?

Yanis Thomas : Nous nous sommes notamment positionnés, concernant la candidature de Madame Marine Le Pen, puisqu’elle avait proposé dans son tract de campagne une photo d’elle, l’a montrant aux côtés d’Idriss Déby, qui est un des dictateurs du continent, et donc nous avons tenu à réagir à cette insulte aux militants de la société civile qui sont enfermés en ce moment même dans les geôles de Ndjamena. Donc véritablement notre posture était bien évidemment de contrer cette candidature.

Donc Survie a appelé à voter Macron ?

Nous n’avons appelé à voter personne puisque nous sommes politiques, mais non partisans. Nous avons juste tenu à signaler les éléments extrêmement dangereux qu’il comportait, selon nous, – et le discours de Monsieur Macron ¬– et le discours de Madame Le Pen.

Quand vous entendez des chefs d’Etat africains, comme le guinéen Alpha Condé et le malien Ibrahim Boubacar Keïta, dire qu’ils sont rassurés par l’élection d’Emmanuel Macron, comment vous réagissez ?

Eh bien effectivement déjà il est normal qu’ils soient rassurés puisque la politique de Marine Le Pen vis-à-vis du continent africain aurait pu être extrêmement violente, notamment vis-à-vis de la diaspora africaine présente en France. Et donc il est tout à fait entendable qu’ils soient rassurés qu’un candidat républicain arrive à la tête de la France.

Et vous-même ?

Effectivement, nous préférons la candidature de Monsieur Emmanuel Macron à celle de Marine Le Pen, comme bien d’autres. Mais nous sommes extrêmement attentifs sur ce qui va être réellement fait par le nouveau président français.

Quand Marine le Pen dit – et elle le dit depuis plusieurs années – qu’elle veut rompre avec la Françafrique de François Hollande et de Nicolas Sarkozy, est-ce qu’elle ne rejoint pas votre discours ?

Pas du tout puisqu’elle s’affiche dans ses relations internationales avec notamment Idriss Deby, qui est un pilier de ce système ! Il y a un véritable double discours du Front national sur les questions africaines qui est beaucoup plus opportuniste, notamment sur le Congo Brazzaville, par exemple. Mais si on prend le programme en lui-même, on voit bien qu’il y a une totale continuité, notamment en ce qui concerne le maintien de bases militaires, le maintien des coopérations policières et sécuritaires avec des dictatures.

Vous parlez du Congo Brazzaville. Quand le Front national de Marine Le Pen et de Louis Alliot dénonce ce qu’ils appellent les élections truquées au Congo Brazzaville et au Gabon, est-ce qu’ils ne rejoignent pas votre point de vue ?

Pour le coup, je vous rappelle que c’est complètement opportuniste puisqu’il y a des liens forts entre notamment des membres du Front national et certains membres de l’opposition congolaise. Donc on est véritablement là juste dans une posture conjoncturelle, au coup par coup, selon les amis qu’on a sur place.

Dans son livre « Révolution » et dans ses discours, le nouveau président Macron promet avec l’Afrique une relation fondée sur le respect et le pragmatisme. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Que l’on jugera sur les actes. François Hollande avait aussi, durant sa campagne, annoncé une politique ambitieuse sur l’Afrique. On a bien vu qu’il n’était absolument pas sorti du principe de la Françafrique. Donc nous ne nous arrêterons pas aux mots.

Sur ce qu’il appelle « l’institution de routes de la liberté et de la responsabilité », est-ce qu’il n’y a pas des points de convergence avec vous ?

Là encore, on est dans du déclamatoire. Ce sont des grandes phrases. Il y a fort à parier que, hormis pousser encore plus la diplomatie économique mise en place sous l’ère de François Hollande, on se retrouve dans les mêmes canaux. Il faut quand même se souvenir qu’un des piliers de l’équipe de Monsieur Emmanuel Macron est Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense de François Hollande, qui est un pilier de la Françafrique. Donc nous ne pensons pas qu’il y ait une révolution, pour le coup, des relations franco-africaines du fait de l’arrivée au pouvoir de Monsieur Emmanuel Macron.

Alors en effet, Emmanuel Macron annonce que le déploiement militaire français au Sahel sera maintenu et qu’il ira d’ailleurs visiter les troupes françaises sur place. Est-ce que ça vous choque ?

On est dans une véritable continuité. Je tiens à rappeler que cette opération qui est l’opération Barkhane, n’a toujours pas été validée par le Parlement français, donc elle est toujours anticonstitutionnelle. Pour le coup, nous sommes vraiment dans une continuité entre le mandat de Hollande et le mandat potentiel de Monsieur Emmanuel Macron.

Sur le plan économique, Emmanuel Macron promet des relations d’égal à égal

Oui, ce qui risque d’être le cas c’est surtout une politique commerciale extrêmement agressive de soutien aux entreprises françaises qui peut avoir des effets délétères sur le tissu économique des pays africains concernés.

Qu’est-ce qui vous fait penser cela ? Son passé comme ministre de l’Economie ?

Absolument. Il se base sur les idées néolibérales qui ont notamment pu faire des ravages en Afrique dans les années 90 avec les plans d’ajustement structurels du FMI, par exemple. Le «tout entreprise» n’est pas un gage de réussite.

Mais quand il était ministre de l’Economie – vous vous souvenez – Emmanuel Macron est allé inaugurer une usine Renault en Algérie, à Oran et une usine Peugeot au Maroc, à Kenitra !

Oui, absolument. Qu’il aille couper des rubans en Afrique ne m’étonne pas, mais il y a tout le reste de la Françafrique. Il y a le soutien aux dictatures qui peut être la présence de bases militaires françaises, de soldats sur le territoire africain, et qui est le maintien aussi du franc Cfa.

Mais cette délocalisation de deux grands groupes français sur le continent africain ça ne va pas dans le bon sens, à votre avis ?

Ce sont des localisations d’entreprises puisqu’il existe des marchés algériens et marocains. Mais notre association se positionne sur tout ce qui est soutien aux dictatures, soutien à des régimes corrompus en Afrique. Sur cet aspect purement d’accompagnement économique des entreprises françaises, je ne me positionnerais pas dans le débat. C’est une pure décision privée avec un accompagnement public.

Quand il est allé à Alger au mois de février le candidat Macron a qualifié la colonisation française de crime contre l’humanité. Comment avez-vous réagi à ce moment-là ?

Effectivement, c’était pour le coup une décision courageuse que tous ne font pas et il est effectivement nécessaire de rappeler les horreurs de ce qu’a été la colonisation française, cette phase noire de notre histoire.

Donc ça pour vous, ça c’est un point positif ?

C’est un point positif, effectivement.

 

RFI

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