Les négociations entre la junte malienne et Wagner se sont encore accélérées ces derniers jours, obligeant Paris à mettre sur la table ses dernières cartes pour bloquer l’arrivée des paramilitaires russes à Bamako. Emmanuel Macron a par ailleurs personnellement mis en garde Vladimir Poutine lors d’un appel téléphonique mi-octobre. Dans le même temps, l’UE vient de suspendre son appui budgétaire à Bamako, emboîtant le pas à la France.

Officiellement, l’entretien téléphonique du 11 octobre entre Angela MerkelEmmanuel Macron et Vladimir Poutine portait sur l’Ukraine et les accords de Minsk de 2019. Mais officieusement, un autre dossier a très vite été mis sur la table à l’initiative du chef de l’Etat français : le Mali. Emmanuel Macron a tenté de se montrer ferme en expliquant à son homologue russe que l’arrivée du groupe paramilitaire Wagner au Mali serait considérée par la France ni plus ni moins qu’une « agression caractérisée« . Un avertissement qui a été renouvelé quelques jours plus tard par une délégation du ministère français des armées en visite à Moscou dans le cadre d’un point d’étape sur la relation bilatérale entre les deux pays. Le patron Afrique du Quai d’Orsay, Christophe Bigot, s’était lui-même rendu dans la capitale russe début septembre pour évoquer le sujet avec le vice-ministre des affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov (AI du 06/10/21).

A chacun de ces échanges, Macron comme ses diplomates ont reçu de leurs interlocuteurs une réponse bien rodée depuis 2018 : « Wagner est une société de droit privé n’ayant aucun lien avec l’Etat russe« . Une affirmation largement contestée par Paris, qui souligne les nombreuses passerelles entre la société de paramilitaires et les services de sécurité russes.

Un coût important

A ce jour, les multiples pressions exercées sur l’Etat malien n’ont rien fait pour ralentir le rythme de ses discussions avec le groupe paramilitaire russe, qui se sont même accélérées fin octobre. Une équipe de Wagner était ainsi à Bamako à la fin du mois dernier pour rencontrer plusieurs cadres de la junte. Mais la conclusion d’un accord définitif bute encore sur plusieurs points, notamment le coût des services que propose la société à Bamako. Comme l’a révélé Reuters, le groupe Wagner a fait cet été une première offre à 9,1 millions d’euros par mois, soit un coût annuel estimé à un peu moins de 120 millions d’euros. Une somme encore jugée « beaucoup trop importante » par la junte. Elle correspond néanmoins aux « tarifs » appliqués par le groupe paramilitaire sur d’autres théâtres d’opération. A titre de comparaison, Wagner facture ses services à l’homme fort de l’est libyen, Khalifa Haftar, 200 millions de dollars par an. Avant de s’engager contractuellement, la junte malienne négocie pied à pied dans l’espoir de faire baisser la facture de 10 à 20 %.

Autre point qui fait l’objet de vives discussions : les mines. Dans le contrat initial, Wagner demandait que trois permis d’exploitation de minerais lui reviennent afin de sanctuariser des sources de revenus indépendantes du budget malien, comme le groupe l’a fait en Centrafrique. Or les principaux sites miniers du pays sont aujourd’hui déjà gérés par des opérateurs internationaux, et les seuls permis disponibles sont des zones d’exploration qui nécessitent développements et investissements avant d’être, éventuellement, rentables. Ce point d’achoppement rend l’arrivée de Wagner au Mali encore très conditionnelle, même si une équipe de la société a mené tout au long du mois d’octobre une série de prospections et de repérages sur des sites miniers aurifères et de magnésium. Elle a également phosphoré sur les scénarios de son déploiement dans le pays.

Où sera déployé Wagner ?

A ce jour, le rôle qui pourrait éventuellement être dévolu à la société russe n’a pas été complètement arrêté par la junte. Dans leurs échanges avec la société, les militaires n’ont en effet pas demandé que les paramilitaires russes se déploient dans le nord du pays, à rebours des déclarations publiques des dirigeants maliens depuis deux mois : « Face au retrait [de Barkhane], nous avons l’obligation de chercher des solutions« , avait ainsi tonné le chef du gouvernement Choguel Kokalla Maïga à la tribune de l’ONU le 25 septembre.

Les scénarios de déploiement actuellement étudiés par Wagner portent uniquement sur la « sécurisation » des zones préalablement identifiées où la menace djihadiste reste contenue. Certaines d’entre elles se situent même à moins d’une cinquantaine de kilomètres de Bamako, la capitale. Un déploiement loin des zones de crises risque cependant de susciter une levée de boucliers au sein de la population, qui voit dans l’arrivée d’un contingent russe un rempart supplémentaire contre l’activisme des groupes djihadistes et mettrait à mal le narratif officiel de Bamako. Pour ne pas décevoir les attentes qu’ils ont eux-mêmes suscitées, les dirigeants maliens songent à dépêcher une partie du contingent russe dans le Nord, au risque, s’inquiètent plusieurs des capitales occidentales, d’encore un peu plus déstabiliser une zone à l’équilibre plus que fragile.

L’UE suspend son appui budgétaire

Sans attendre l’issue de ces discussions entre la junte et Wagner, l’Union européenne (UE) a, selon les informations d’Africa Intelligence, d’ores et déjà suspendu son appui budgétaire direct (70 millions d’euros) à Bamako. Elle emboîte ainsi le pas à la France qui a, elle aussi, gelé à l’automne ses lignes de crédits directs à destination de l’État malien. L’appui budgétaire annuel de la France en faveur du Mali s’élevait à 40 millions d’euros. Les capitales européennes souhaitent en effet taper « vite et fort« . Cette suspension est aussi le prélude à de possibles sanctions individuelles de l’UE contre plusieurs responsables politiques maliens accusés notamment « d’obstruction » dans la bonne tenue de l’élection présidentielle fixée au mois de février (AI du 18/10/21). Les ministres des affaires étrangères de l’UE doivent de nouveau se réunir mi-novembre pour évoquer le sujet. Paradoxalement, ce regain de tensions entre les capitales européennes et Bamako intervient au moment où la coopération militaire sur le terrain entre BarkhaneTakuba et les Forces armées maliennes (FAMA) se déroule, depuis cet automne, pour le mieux.

Ce régime de sanctions européennes viendrait appuyer celui sur lequel réfléchit de son côté la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Outre des sanctions individuelles, l’organisation régionale travaille désormais – après quelques résistances internes – sur des sanctions économiques contre le Mali. Des discussions sont en cours au niveau de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Les chefs d’État de la CEDEAO évoqueront de nouveau le sujet lors d’un sommet extraordinaire qui se tiendra le 7 novembre.

Tchadanthropus-tribune avec Africa intelligence

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