Bonjour Mahamat,

J’animais un journal en ligne dans les années 2000 à Montréal et parmi les sujets faisant l’objet de mes réflexions mensuelles, il y a cette question de notre relation avec l’Etat hébreu. J’étais parmi ceux qui pensaient que le Tchad devait reprendre ses relations diplomatiques avec Israël et j’avais mes raisons. Publié en juillet 2003 mon opinion s’inscrit aujourd’hui en droite ligne de ce vœu de voir le Tchad rétablir des relations diplomatiques avec Israël. Au fait c’était un appel que j’avais lancé depuis 15 ans (en 2003 donc) à l’endroit du gouvernement de mon pays pour renouer la relation diplomatique avec l’Etat hébreu. En 2016, quand des tractations informelles ont été entreprises pour un rapprochement avec Israël, le journal La Voix a reproduit mon opinion de 2003 que je vous envoie en attache pour votre lecture.

Meilleures salutations

Moustapha Abakar Malloumi

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Auteur d’un livre intitulé « les conditions d’une émergence au Tchad », Moustapha Abakar Malloumi se réjouit de la visite du Chef de l’Etat Idriss Deby itno en Israél ce 25 novembre 2018. Cette visite du président de la république sonne comme une réponse à l’appel qu’il a lancé, il y a 15 ans, dans ce sens dans le cadre d’une rubrique dénommée « Coup d’œil », sur le site « Tchadien.com » qu’il animait pendant son séjour au Canada. Voici in extenso son article publiée le 26 juillet 2003 à ce sujet.

Le premier ministre palestinien est arrivé ce jeudi 25 juillet à Washington pour un entretien avec les hautes autorités américaines.
Près d’un mois après les sommets de Charm el-Cheikh et d’Aqaba qui ont marqué le lancement officiel de l’application de la Feuille de route du Quartette (Etats-Unis, Union européenne, Russie et Nations unies), ce voyage aux États-Unis se veut un signe de plus pour Mahmoud Abbas pour accréditer sa volonté de mener à bon port l’application de la Road Map. Ce plan de paix international qui doit conduire à la création d’un État palestinien d’ici 2005, prévoit entre autres étapes, le rétablissement des relations entre tous les pays arabes et l’État d’Israël. C’est l’aspiration non seulement des États impliqués dans la question mais aussi de tous les pays épris de paix.

Voir un jour, cette paix élire domicile dans ce coin du Proche-orient s’apparente fort bien à renvoyer un évènement aux calendes Romaines. Et en cela, appelle au discrédit de toute approche fondée sur le radicalisme et la violence. Le radicalisme, reconnu pour sa vision étriquée de la vie, en déphasage avec une réalité d’un monde progressiste, trouve malheureusement encore son compte dans bien d’esprits humains de notre époque. Pis, on sent son expression empoisonner encore bien des rapports entre les nations, mettant ainsi à mal les politiques internationales.

Si les attitudes de la plupart des pays africains ayant conduit par le passé, à une rupture de relations diplomatiques avec Israël, avaient trouvé une explication valable dans la guerre de Kippour, d’octobre 1973, – parce qu’il s’agissait d’une agression contre un pays africain- celles-ci ne sauraient se permettre une embarcation pour l’éternité. Et cela beaucoup d’Africains ont compris, en privilégiant l’intérêt supérieur aux détriments des sentiments personnels. Parce qu’à leurs yeux, un État n’a pas de sentiments mais des intérêts ! Ainsi, l’on a assisté progressivement au réchauffement des relations entre beaucoup des pays de notre continent et l’État hébreu. Pour ces Africains, un État du 21e siècle doit faire montre d’une ouverture aux autres, se mettre sur la même longueur d’onde que le courant d’un certain village planétaire.

L’intérêt national d’abord !

Très exigeantes, les conditionnalités de ce mouvement de globalisation sont aussi valables pour notre pays. Or le Tchad semble traîner les pas malgré l’urgence de se mettre au diapason avec un siècle enclin à l’interdépendance entre les pays. Autrement dit, élargir encore davantage sa liste des pays amis ne pourrait être qu’utile, sinon bénéfique pour ses populations. Alors, à quand la réanimation de cette partie de notre politique étrangère, longtemps brillée par sa léthargie face au Proche-orient ? De toutes les façons, on ne peut continuer ainsi à emprisonner la souveraineté de notre pays dont l’économie à l’heure du pétrole exige un recadrage de notre politique étrangère. L’or noir tchadien pourrait être servi comme un appât de taille pour nous attirer des amitiés de par le monde. Et l’Etat d’Israël ne pourra faire exception ! Alors, continuons-nous, toujours, de lui fermer la porte au nom de notre ancienne position de solidarité envers l’Égypte ? Dans ce cas, beaucoup de pays africains et au premier chef l’État concerné lui-même, ont déjà enfreint la règle ! Ou en agissant de la sorte, nous voulons manifester notre solidarité à l’égard d’un peuple arabe sous occupation ? Là encore, on ne peut que se désoler devant une explication qui n’aide pas à une compréhension raisonnée. D’abord, le Tchad ne fait pas partie des 22 pays de la Ligue arabe. Qui plus est, des ponts ont fini par se jeter entre certaine partie du monde arabe et l’État hébreu. Il s’agit notamment de la Jordanie, du Qatar, de l’Égypte, de la Mauritanie, d’Oman, ainsi que du Maroc avant de geler ses contacts avec Israël en 2000, à la suite des évènements ayant provoqué l’Intifada. Même l’obsession de voir en un juif, un personnage dangereux commence à s’éroder et à ne plus convaincre personne. Car les différentes associations arabo-juives pour la promotion de la paix est une preuve probante pour les esprits les plus incrédules. Alors, où pourrait-on trouver une justification à cette réticence de notre politique étrangère ? Puisqu’elle ne saurait non plus être religieuse, le Tchad n’étant pas un pays islamique. De plus, la voir sous cet angle, reviendrait à frapper d’apostasie les croyants de tous ces pays arabes qui sont en bon terme avec Israël.

Notre pays qui entre dans une ère nouvelle de sa vie doit être capable de rebâtir une politique internationale, peut-être plus en phase avec les vraies aspirations de la population. On ne peut longtemps faire arrimer notre politique extérieure sur le goût de l’humeur d’un tiers État. On doit pouvoir, à un moment donné, dominer notre pusillanimité et laisser libre cours à la volonté des Tchadiens de voir leur pays se prendre en main. Un pays qui arrivera enfin à leur assurer de meilleures conditions de vie. Ces intérêts collectifs auraient dû nous guider dans le choix de nos partenaires. Et à ce titre, l’on pourra s’interroger sur la nécessité de tourner encore aujourd’hui le dos à un pays comme Israël. Pourtant des États comme le Kenya bénéficient depuis des décennies des retombées de leur coopération avec l’État hébreu. Des coopérations essentiellement axées sur l’agriculture, la santé publique, le tourisme et les infrastructures. Des domaines, à n’en point douter, indispensables pour servir d’appui à notre économie de se relever. À cela, faut-il ajouter les fruits des transactions commerciales qui pourraient consolider nos marchés. Celles-ci se montent actuellement au Kenya à quelque cinquante millions de dollars par an.

Au-delà de cet aspect économique, le pays de Mwai Kibaki a su habilement osciller sa diplomatie entre les pays arabes et Israël. C’est ce qu’il faut pour notre pays. Pour y arriver, ça nous prendrait des esprits capables d’une lecture au premier degré du monde d’aujourd’hui. Un monde en perpétuelle mutation. Seuls seront de mise des esprits attentifs et capables de gérer les rythmes de l’évolution de relations internationales actuelles. Et les hommes et femmes qui peuvent s’atteler en ce sens ne manquent pas. Ils pourront justement y arriver pour peu qu’ils daignent élever l’intérêt national au-dessus de toute autre considération. Et j’ai beaucoup d’espoir que l’on ait confié au niveau de la Primature, cette mission à Moussa Dago, à la fois internationaliste et journaliste. Le peuple a l’œil sur vous, Monsieur. Bonne chance !

Moustapha Abakar Malloumi

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  • Bravo pour cette vision stratégique précoce. A vrai dire, nous ne pouvons pas être plus royalistes que le roi. Nous ne pouvons pas continuer à nous accrocher aux cornes de la vache- même maigre- pour que les autres l’allaitent, tranquillement, à leur propre profit.

    Notre solidarité sans faille avec le peuple palestinien reste intacte, cependant, elle ne doit pas être une entrave pour l’évolution de nos relations avec d’autres pays, pourvu que cette ouverture n’est pas incompatible avec cette position traditionnelle de longue date en faveur de ce people meurtrit, d’autant plus que nous ne sommes pas le pionnier dans ce domaine. En effet, beaucoup de pays Musulmans et arabes ont déjà des relations diplomatiques de longue date avec l’État hébreu.

    Commentaire par Al-Amine le 5 décembre 2018 à 8 h 36 min
  • Bonne analyse!

    Commentaire par Mamadou le 5 décembre 2018 à 12 h 09 min
  • C’est un exercice intellectuel. Et peut être que cela. Sur le plan stratégique, c’est quand même malhonnête de faire croire aux gens que l’économie tchadienne, où l’agriculture tchadienne, n’attendait qu’Israël pour partir de l’avant. Les retombées seront plus controversées à l’image de l’arrivée du peesident en Israël. La Coton tchad est en agonie parce qu’il manquait l’expertise israélienne ? Soyons sérieux !

    Commentaire par Tal Clair Abou Ousmane le 5 décembre 2018 à 21 h 16 min
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