Comment empêcher le Sud libyen de devenir un sanctuaire de jihadistes ? Lieu de passage de tous les trafics, riche en pétrole, cette région échappant totalement au contrôle des autorités, est devenu un véritable casse-tête pour la communauté internationale.

Pour Goukouni Weddeye, ancien président du Tchad (1979-1982) et ex-chef rebelle longtemps actif dans cette région aux frontières mouvantes, il faut miser sur les tribus locales comme rempart contre l’implantation de jihadistes plutôt que sur une intervention militaire occidentale.


« Sans les Toubous et les Touaregs, on ne pourra pas contrôler les routes du Sahara. Une fois réconciliés et avec leur concours, on pourra à ce moment chercher à identifier où sont les terroristes et agir efficacement pour les débusquer », estime Weddeye.


Dans un pays où règne le chaos depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, le Fezzan, étendue désertique du sud libyen, est ouvert aux trafics en tous genres (drogue, armes, migrants) et aux groupes islamistes du Mali à l’Algérie en passant par le Niger et la Tunisie, qui voudraient en faire leur base arrière pour des camps d’entrainements et se réapprovisionner en armes.


Dans ce contexte, Paris, mais aussi les pays du Sahel (notamment le Tchad et le Niger voisins de la Libye), ont dans un premier temps appelé à une intervention militaire, avant de rétropédaler devant l’hostilité de Tripoli.


« Si on a ramené la paix au Mali pour laisser la Libye prendre feu, on a rien résolu. Les voisins de Libye et les pays occidentaux dont la France doivent se coaliser pour ramener la paix totale dans cette région »
, M. Weddeye, 71 ans, qui se dit toutefois « réticent à l’idée d’une intervention militaire immédiate, qui n’épargnerait personne ».


« Il faut se demander qui est terroriste, qui ne l’est pas, et sur qui on peut s’appuyer pour mener une opération d’une grande envergure »
, affirme-t-il.


Le Fezzan, qui s’étend sur environ 2.000 km, est divisé en territoires contrôlés par différentes tribus, notamment arabes, Touaregs et Toubous (tribu présente en Libye, au Tchad et au Niger).


Ce n’est pas un hasard si Goukouni Weddeye, figure historique des Toubous, a été désigné pour représenter la médiation tchadienne soutenue par le Niger et l’Algérie pour ramener la paix au Fezzan, théâtre d’affrontements récurrents. Dans les années 1970, il dirigea dans le nord du Tchad les Forces armées populaires (FAP), rébellion opposée au régime de Tombalbaye, avant de prendre le pouvoir à N’Djamena avec le soutien de Kadhafi.


Pour l’actuel président tchadien Idriss Déby, dont l’armée a combattu les islamistes aux côtés de la France au Mali, le risque est désormais de voir le sud libyen tomber aux mains du même groupe. 
Sans le Tchad, « la France aurait eu beaucoup de mal à chasser les islamistes » du Mali. « Les Tchadiens ont apporté une grande contribution et, les islamistes ne l’oublieront jamais. Le Tchad est sur le qui-vive, tout ce qui se passe à la frontière nous touche. Il faut empêcher les extrémistes de se répandre chez nous », affirme Weddeye.

« Avenir dans l’unité »

En l’absence d’autorité étatique, ces tribus tiennent les frontières libyennes (les Toubous sont surtout présents dans le sud-est tandis que les Touaregs opèrent dans le sud-ouest) et entretiennent parfois des liens flous avec les jihadistes. Or, depuis la chute du colonel Kadhafi, des conflits éclatent régulièrement entre ces groupes ethniques jadis opposés à son régime, qui cherchent à prendre le contrôle des ressources en pétrole et en eau, mais aussi et surtout des routes caravanières commerciales du Sahara. Les combats sont d’autant plus meurtriers que tous ces groupes « ont récupéré de grandes quantités d’armes » de Kadhafi, explique M. Weddeye.


Depuis 2011, plusieurs affrontements ont opposé les Toubous aux tribus arabes des Zoueya dans la région de Koufra (sud-est, riche en eau) et des Ouled Souleimane dans la grande ville du sud-ouest, Sebha.


Un autre conflit, entre Toubous et Touaregs, est venu se greffer ces derniers mois. Les deux tribus se battent autour d’Oubari, le principal fief touareg (sud-ouest).

« Les violences ont fait beaucoup de morts. Il est difficile d’évaluer leur nombre », explique Weddeye.


Il dénonce l’« instrumentalisation » du conflit par les deux gouvernements rivaux de Tripoli, sous la coupe de milices, et de Tobrouk, (est de la Libye), reconnu par la communauté internationale. Il accuse aussi les islamistes de « chercher à noyauter » Toubous et Touaregs.


« Ils maintiennent le contact économique avec les Touaregs et les Toubous car ce sont eux qui tiennent les frontières et savent se diriger dans le désert, mais tentent parallèlement de les diviser »
, assure-t-il.


« Leur avenir (Toubous et Touaregs) est dans l’unité; s’ils s’unissent, ils se renforcent. Le contraire est leur affaiblissement voire leur disparition »
, conclut-il


Source AFP

 

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