Un nouveau rapport d’Amnesty International dénonce l’intensification de la répression des droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association faite par les autorités du Tchad. Ce que conteste vigoureusement le gouvernement.

 

Basé sur plus de 80 entretiens et de nombreuses vidéos, un rapport d’Amnesty International rendu public le 13 septembre recense des informations sur plus d’une centaine de cas de répressions, parfois brutales, des défenseurs des droits humains, des membres de mouvements citoyens, des syndicalistes et des journalistes au Tchad. Ceux-ci auraient eu lieu entre 2015 et 2017 à N’Djaména, la capitale, et Moundou, une ville du sud du pays. Contacté par Le Point Afrique, Ahmat Mahamat Hassan, le ministre de la Justice, rejette en bloc ces accusations : « Nous réfutons totalement son contenu. Il y a encore une psychose par rapport à la dictature d’Hissein Habré. La page est pourtant tournée. »

 

Pour l’organisation internationale, les autorités tchadiennes utiliseraient des lois répressives et l’Agence nationale de sécurité (ANS) pour museler les dissidents et entraver leurs activités. Les moyens employés et décrits par les victimes seraient divers, allant de l’interdiction de manifester, l’intimation, l’arrestation arbitraire, la détention au secret et, pour certains, la torture. Rien que pour l’année 2016, treize décrets ministériels interdisant les manifestations ont été publiés et plus de dix sites internet ont été bloqués, selon le rapport.

 

Un espace de liberté qui se réduit

 

« À chaque rumeur d’attaque sur la capitale ou mécontentement de la population comme c’est le cas actuellement avec la crise économique, le gouvernement répond par la répression. Depuis 2015, nous constatons donc que l’espace d’expression des défenseurs se réduit au fur et à mesure. Nous ne souhaitons pas que la situation des années 1980 se reproduise », a expliqué Balkissa Ide Siddo, chercheuse au sein du programme Afrique de l’Ouest et Afrique centrale à Amnesty International. L’experte rappelle également que le président Idriss Déby Itno s’était engagé à mettre en place « une démocratie réelle, pluraliste, garantissant toutes les libertés individuelles ».

 

Et de poursuivre : « Il y a un climat de peur. Les défenseurs des droits humains et autres activistes sont régulièrement harcelés, intimidés. Ils reçoivent par exemple des coups de téléphone menaçants d’anonymes et d’agents des renseignements, ou encore des voitures suspectes sont garées devant chez eux et des écoutes téléphoniques sont effectuées. » En total désaccord, le ministre Ahmat Mahamat Hassan rétorque : « Beaucoup d’informations ont été recueillies auprès des défenseurs des droits et des activistes. Les chercheurs ont manqué de beaucoup d’autres informations. Nous aurions aimé dialoguer avant que le rapport ne soit rédigé. »

 

« Des lois archaïques »

 

Dans l’arsenal répressif prêté aux autorités tchadiennes, Amnesty International pointe la législation en vigueur. « Pour justifier la violation des libertés d’expression, les autorités brandissent des textes de loi. Mais ils sont archaïques, datant des années 1960. Ils ne sont pas en accord aussi bien avec la Constitution qu’avec les engagements pris au niveau régional et international de défense des droits humains », analyse l’experte. « En tant que partenaire et bailleur, l’Union européenne doit pouvoir rappeler au Tchad les engagements pris », a-t-elle poursuivi.

 

Un constat que concède du bout des lèvres le ministre de la Justice en confiant au Point Afrique que « des commissions étaient en train de travailler sur ces questions » et précisant que son équipe « n’a pas attendu ce rapport pour amorcer des réformes ». « Il y a, d’un côté, un processus de changement des lois qui est en cours et, de l’autre, une forte volonté politique de mener ces changements profonds », a poursuivi Ahmat Mahamat Hassan.

 

Le mandat de l’ANS en question

 

Autre dysfonctionnement pointé par Amnesty International : le cadre juridique de l’Agence nationale de sécurité (ANS). En janvier, le mandat de cet organe a été élargi : ses agents ne se limitent plus à la surveillance, ils peuvent désormais arrêter des citoyens pour des motifs liés à la sécurité nationale. Pour Balkissa Ide Siddo, l’ANS procéderait à des détentions abusives, citant le cas de Nadjo Kaïna. Le coordinateur de la coalition citoyenne Tournons la page Tchad a été détenu au secret, puis condamné à six mois de prison avec sursis pour « tentative de complot et incitation à un attroupement » en avril.

 

« On était hors cadre juridique. Il n’a fait qu’appeler des jeunes à manifester ? S’agit-il dans ce cas d’une activité d’espionnage, de subversion et de déstabilisation ? Les agents ont peut-être d’autres informations que les nôtres. Dans tous les cas, Nadjo Kaïna a été placé en détention par l’ANS qui n’est pas mandatée pour le faire », détaille la chercheuse au sein du programme Afrique de l’Ouest et Afrique centrale à Amnesty International. Avant de conclure : « Ce pouvoir d’arrestation doit être avoir un cadre juridique clairement défini. Encore une fois, il est urgent qu’un travail législatif soit fait sur ces questions de liberté d’expression au Tchad. »

 

PAR 
 Le Point Afrique
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