Alors que le report des élections du 24 décembre est quasi-acté, les chefs d’État-major de l’ouest et de l’est libyen multiplient les contacts. Objectif : maintenir le cessez-le-feu… et faire bloc face à la réhabilitation des anciens du régime Kadhafi, qui malmenait l’institution militaire.

Rappelée au front libyen pour tâcher de sauver le processus politique qu’elle avait initié en tant que cheffe de la mission des Nations unies en Libye, l’UNSMIL, la nouvelle conseillère spéciale du secrétaire général des Nations unies Antonio GuterresStephanie Williams, se tourne d’abord vers… les militaires. Avant même de revenir à Tripoli le 12 décembre, où elle a rencontré le président Mohamed el-Menfi, elle a pris attache dès le 10 décembre avec le Comité militaire conjoint, dit « 5+5 », et réunissant cinq représentants de l’État-major de Tripoli et autant de l’Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar. Un vrai retour à la case départ : alors que son intérim à la tête de l’UNSMIL prenait fin, la diplomate onusienne avait opportunément repris à son compte le dialogue 5+5, réunissant le comité à Genève pour signer le cessez-le-feu d’octobre 2020, sous la houlette de l’ONU (AI du 29/10/20). La manœuvre lui avait permis d’obtenir dans la foulée la constitution du gouvernement transitoire d’Abdelhamid Dabaiba, et la fixation des élections législatives et présidentielle le 24 décembre, calendrier qui s’est enlisé par la suite.

Négociations serrées, d’Istanbul à Moscou

Le 10 décembre, Stéphanie Williams s’est entretenue avec les membres du 5+5 alors que ceux-ci étaient réunis à Moscou, après s’être rencontrés à Tunis puis Istanbul les jours précédents. Ces négociations-fleuve portent sur les moyens de préserver le cessez-le-feu, en dépit du report des échéances électorales, désormais quasi-acté. Plusieurs des mesures de désescalade prévues par l’accord d’octobre 2020 – échanges de prisonniers, réouverture de la route côtière, etc. – ont déjà été mises en œuvre. Mais les principales sont restées en suspens, à commencer par le retrait des mercenaires et forces étrangères engagées de part et d’autre : mercenaires syriens et militaires turcs du côté des autorités tripolitaines, force paramilitaire russe Wagner et supplétifs africains pour l’ANL.

Ce retrait dépend principalement du bon-vouloir des principaux parrains étrangers des deux camps. La Turquie de Recep Tayyip Erdogan considère que ses militaires installés à Tripoli, Misurata et sur la base de Wattiya, ne sont pas concernés, ayant été déployés dans le cadre d’un accord de défense bilatéral. La Russie de Vladimir Poutine conditionne, quant à elle, le retrait de Wagner au désarmement effectif des milices de l’Ouest, une autre clause de l’accord dont la perspective reste très lointaine. Ankara comme Moscou veulent toutefois préserver l’actuel modus vivendi, qui a mis fin aux combats gelant le front militaire sur l’axe Syrte-Jufra.

Les chefs d’État-major réunis… contre Saif

Parallèlement aux travaux du 5+5, les chefs d’État-major des deux armées libyennes, Mohammed al-Haddad pour Tripoli et Abderrazak Nadhouri pour l’ANL, se sont rencontrés pour la première fois le 11 décembre à Syrte, s’engageant à amorcer la réunification des forces armées. Celle-ci est négociée depuis 2017, un processus enclenché à l’origine par Le Caire (AI du 21/09/17) et qui a, indirectement, débouché sur la création du 5+5.

Mais le contexte politique a poussé al-Haddad et Abderrazak Nadhouri à précipiter leur rencontre. Tous deux ont observé avec inquiétude la réapparition de Saif el-Islam Kadhafi, fils de Mouammar Kadhafi et candidat à l’élection présidentielle. Or, ces deux militaires de carrière n’ont pas oublié à quel point l’armée régulière était malmenée du temps du « colonel », qui s’appuyait plus volontiers sur les comités populaires et les gardes prétoriennes dirigées par son premier cercle familial. Ce calcul semble être partagé par Haftar lui-même, sans l’aval duquel Abderrazak Nadhouri ne se serait sans doute pas aventuré à rencontrer son homologue de l’Ouest. L’homme fort de l’est libyen, qui n’a abandonné le commandement de l’ANL que pour se porter lui-même candidat à la présidentielle, est, lui aussi, concurrencé par « Saif », même s’il n’a pu s’opposer à son retour (AI du 18/11/21).

Tchadanthropus-tribune avec Africa Intelligence

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