Lors du dernier sommet de Berlin, la communauté internationale a exigé que les quelque 20 000 mercenaires présents sur le territoire libyen quittent le pays. Mais qui sont ces combattants, d’où viennent-ils, qui les finance ?

« Toutes les forces étrangères et les mercenaires doivent être retirés de la Libye sans délai. » Les pays réunis à Berlin sous l’égide de l’ONU ont été unanimes. La nouvelle conférence du mercredi 23 juin sur la crise qui déchire le pays depuis 2011 avait pour objectif de régler la question des mercenaires présents sur le territoire libyen.

« Nous espérons que, dans les jours à venir, les mercenaires se seront retirés des deux côtés », a ainsi déclaré Najla Mangouch, la ministre libyenne des Affaires étrangères. Déjà, le 23 mars, à l’occasion de sa rencontre avec le président libyen Mohamed el-Menfi à l’Élysée, Emmanuel Macron avait appelé les mercenaires turcs et russes à « quitter le sol libyen au plus vite ». Mais les effets de ces appels, aussi fermes soient-ils, risquent d’être limités.

Déjà, en janvier 2020, le premier sommet de Berlin prévoyait le départ des mercenaires étrangers et, en mars, le Conseil de sécurité de l’ONU avait réclamé leur retrait sans que cela n’ait de réelle incidence sur le terrain, alors que l’ONU estime à plus de 20 000 le nombre de combattants étrangers présents en Libye, dont 13 000 Syriens et 11 000 Soudanais, tant au service du gouvernement de Tripoli, qu’à celui du maréchal Haftar. Quelles forces sont aujourd’hui présentes en Libye ? Pour qui combattent-elles ? Jeune Afrique fait le point.

Les chiffres utilisés sont ceux du rapport des experts de l’ONU datant de 2019, mis à jour avec les données du rapport publié en 2021.

• Les forces rebelles du Darfour

De nombreux mercenaires du Darfour – embourbé dans un conflit inter-éthnique depuis 2003 – sont présents sur le théâtre libyen. Il s’agit de combattants soudanais (plus de 11 000 selon l’ONU) et tchadiens. Leurs allégeances sont mouvantes et ne répondent pas nécessairement à une logique politique. Dans son rapport publié en 2019, le groupe onusien d’experts sur la Libye, organe du Conseil de sécurité, localisait majoritairement ces forces, notamment les factions de l’Armée de libération du Soudan (ALS), dans la zone d’influence du maréchal Haftar.

La promesse de suspension des sanctions pousse les rebelles soudanais à quitter la Libye

Mais l’accord de Juba pour la paix au Soudan, signé le 3 octobre 2020, entre le gouvernement de transition soudanais et une coalition de groupes armés, pourrait changer la donne. Il prévoit notamment l’amnistie des membres de groupes d’opposition ainsi que l’intégration de leurs chefs au processus de transition politique. La perspective de voir les sanctions suspendues pousse les rebelles soudanais à rentrer au pays. Déjà, une cinquantaine de véhicules ont traversé les quelque 1 400 km de frontières qui séparent la Libye du Tchad et du Soudan. Le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), de son côté, a tour à tour combattu pour Haftar et contre lui. C’est ce groupe qui est à l’origine de la mort de l’ex-président tchadien Idriss Déby.

• Le groupe armé russe Wagner

Des forces russes sont présentes sur le territoire libyen à travers le groupe armé privé Wagner, créé en 2013 par un ancien militaire et aujourd’hui dirigé par un très proche de Poutine : Evgueni Prigojine. Après être intervenu en Syrie, aux côtés de Bachar al-Assad, en Ukraine, en Centrafrique, au Soudan, au Mozambique ou encore à Madagascar, il est présent en Libye depuis octobre 2018, selon l’ONU, et notamment sur la base aérienne d’Al Jufra, dans le centre du pays.

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Interrogé sur la présence de forces armées russes en Libye en janvier 2020, Vladimir Poutine a affirmé que Moscou n’avait pas payé de mercenaires. L’ONU estime néanmoins qu’entre 800 et 1200 membres du groupe Wagner apportent leur soutien aux forces du maréchal Haftar. Ce chiffre s’élèverait même à 2000 selon Africom, le Commandement américain pour l’Afrique. Le rapport onusien indique que « malgré l’accord de cessez-le-feu du 25 octobre 2020, rien n’indique que le groupe Wagner se soit retiré de Libye ».

• Les combattants syriens

Des combattants syriens sont présents tant dans le camp Haftar que dans celui du gouvernement d’unité nationale. De 4000 en décembre 2019, leur nombre est passé à 13 000 aujourd’hui selon l’ONU, et 18 000 selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Beaucoup sont issus de l’Armée nationale syrienne (ANS), ensemble de groupes rebelles défiant l’autorité de Bachar el Assad et soutenus par la Turquie. Contre la promesse – pas toujours tenue – d’un salaire de 2 000 dollars par mois et de l’octroi de la nationalité turque, ces Syriens ont accepté de quitter le réduit rebelle dans le Nord-Est de la Syrie pour gagner la Libye après l’offensive du maréchal Haftar.

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La Turquie, avec qui le gouvernement de Tripoli a signé un accord d’entraide militaire en novembre 2019, emploie également en Libye des combattants de la division Sultan Murad, un groupe turkmène qu’elle finance et qui a combattu contre Bachar al-Assad. Le groupe turc Sadat International Défense Consultancy, qui a formé des militaires libyens combattant pour le gouvernement de Tripoli, s’occupe de superviser et de payer près de 5 000 combattants syriens, selon l’ONU. L’OSDH rapporte par ailleurs qu’Ankara a envoyé 380 combattants syriens supplémentaires pour renforcer les rangs de Abdelhamid Dabaiba, le Premier ministre libyen, en avril 2021.

Le nombre de syriens soutenant les opérations du maréchal Haftar est de moins de 2 000.

Le dernier rapport du groupe d’experts onusien indique que les Russes recrutent aussi des soldats en Syrie. « Selon des sources sur le terrain, le nombre de combattants syriens étrangers soutenant les opérations du maréchal Haftar est de moins de 2 000 », nuance-t-il. Dans les colonnes du média russophone Meduza, Marat Gabidoulline, un ancien membre du groupe Wagner, a déclaré qu’il lui avait été demandé d’envoyer des Syriens pour la première fois en Libye en 2019.

Tchadanthropus-tribune avec Jeune Afrique

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