Le 20 août, le président de la Commission de l’UA a tenu un discours très pessimiste et dénué de toute autocritique sur la situation du Tchad. Une intervention qui est mal passée dans l’entourage du chef de l’État, Mahamat Idriss Déby Itno…

« En tant que fils, je demande pardon au nom de mon père et des anciens présidents… » Si cette phrase du discours prononcé le samedi 20 août par le président du Conseil militaire de transition (PCMT), Mahamat Idriss Déby Itno, à l’ouverture du « Dialogue national inclusif et souverain » (DNIS) a marqué les esprits, c’est une autre allocution, celle du président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, qui a été le plus commentée par les observateurs. Et a suscité une évidente crispation du côté de l’entourage de l’actuel chef de l’État.

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Jouant habilement de sa double casquette d’ancien responsable tchadien et de haut fonctionnaire panafricain, qui lui permet selon ses propres convenances de s’adresser aux délégués en usant du « nous » et du « vous », celui qui fut tour à tour directeur de cabinet, ministre, Premier ministre puis de nouveau ministre d’Idriss Déby Itno pendant seize ans s’est livré le 20 août à un cours magistral exempt de toute autocritique. Au point de donner la nette impression d’utiliser la tribune du DNIS pour revenir sur la scène politique tchadienne et prendre date pour la future élection présidentielle.

Critique ad hominem

Quand Moussa Faki Mahamat appelle à « stopper la préférence de la force comme voie archaïque d’accès au pouvoir » ainsi qu’à « un changement de notre gouvernance » ; quand il estime « profondément regrettable » que trois décennies après la conférence nationale souveraine de 1993, le Tchad en soit, selon lui, « revenu à la case départ », dans des conditions encore « pires de tension et de recours à la force et à la violence » ; quand il fustige « la résurrection du communautarisme » et conclut qu’ »aucune entité, quelle que soit sa force, ses ambitions, ses atouts actuels ou potentiels, ne peut prétendre gouverner seul », il est difficile, il est vrai, pour le président du CMT de ne pas prendre cette charge pour une critique ad hominem, d’autant plus mal venue qu’elle émane d’une personnalité qui, contrairement à lui, a longtemps exercé le pouvoir politique au service de son père.

SOIT TU REVIENS DANS LE JUSTE CHEMIN, SOIT TU SERAS DESTITUÉ…

Voire pour un avertissement quand, dans la partie de son discours prononcée en arabe, le président de la Commission de l’UA cite cette phrase menaçante du calife Omar Ibn Abdelaziz adressée à l’un de ses gouverneurs : « Les plaintes envers vous ont augmenté et les remerciements ont diminué. Soit tu reviens dans le juste chemin, soit tu seras destitué… »

Celui qui a soigneusement pris soin de s’exonérer de tout responsabilité dans ce qu’il appelle « votre sempiternelle crise », tout en rendant un hommage remarqué à son ex-patron Idriss Déby Itno et à son « aversion pour le sang et la guerre » – un exercice de grand écart qui n’a que très modérément convaincu son auditoire –, sera-t-il candidat à l’élection présidentielle censée marquer la fin de la période de transition ? Réélu en février 2021 à la tête de la Commission de l’UA pour un mandat de quatre ans qui s’achèvera au début de 2025, il lui faudrait, si le scrutin a lieu auparavant, comme beaucoup le pensent, démissionner de ses fonctions.

Le groupe des soutiens

Présent le 20 août au Palais du 15 janvier pour l’ouverture du Dialogue, le groupe des principaux soutiens à Faki Mahamat, qui forment avec lui ce que l’on surnomme à N’Djamena le « G5 », ne cachait pas son souhait de voir leur champion transformer bientôt l’essai. Figurent dans ce groupe Mahamat Zene Bada, secrétaire général de l’ex-parti au pouvoir MPS jusqu’en juin 2021, Abdoulaye Sabre Fadoul, éphémère directeur de cabinet civil de Mahamat Idriss Déby Itno, Ahmat Mahamat Bachir, ancien ministre de la Sécurité d’Idriss Déby Itno et Adoum Younousmi. (Ce dernier n’a jamais été en exil)

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Ce dernier, qui fut lui aussi ministre sous Déby père, s’était « exilé » à Niamey, au Niger, dont son épouse est originaire, après son limogeage en mai 2018. Proche de Mohamed Bazoum, Younousmi est rentré à N’Djamena à l’occasion de la visite officielle au Tchad du chef de l’État nigérien, le 12 juillet dernier. Il était par ailleurs à la table présidentielle lors du dîner qui a suivi. Le lendemain, Mahamat Idriss Déby Itno le nommait ministre d’État, conseiller à la présidence. « Un geste de bonne volonté apparemment peu suivi d’effet », commente un proche du PCMT.

Signe d’une quasi-rupture entre le président du CMT et celui de la Commission de l’UA : le docteur Hassan Mahamat Hassan, médecin personnel du chef de l’État et frère de Moussa Faki Mahamat, a été démis de ses fonctions par décret le 22 août.

Jeune Afrique

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