Les services de renseignement tchadiens s’inquiètent de la possible formation d’une rébellion basée dans le nord de la Centrafrique. Destinée à renverser le président de la transition, elle pourrait s’appuyer sur les mercenaires du groupe privé russe. Révélations.

Le dossier a déjà été évoqué à deux reprises au moins entre les présidents tchadien, Mahamat Idriss Déby Itno, et centrafricain, Faustin-Archange Touadéra.

Selon nos informations, l’Agence nationale de sécurité (ANS, le renseignement tchadien) détient des informations selon lesquelles une nouvelle rébellion serait en formation depuis quelques semaines dans le nord de la Centrafrique.

Un discret intermédiaire avec Wagner

D’après les sécurocrates de N’Djamena, plus d’un millier de Tchadiens ont en effet traversé la frontière – particulièrement poreuse – depuis les régions des deux Logone, de Mandoul et du Moyen-Chari pour se regrouper en terres centrafricaines, au nord de la ville de Paoua, dans l’Ouham-Pendé. Cette information a été confirmée à Jeune Afrique par une source proche du gouvernement centrafricain, qui évoque des regroupements d’aspirants combattants tchadiens dans la zone de Bemal.

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Selon un proche de la présidence, Mahamat Idriss Déby Itno a d’ores et déjà décidé de renforcer la surveillance de la frontière et a partagé une partie des renseignements de l’ANS avec Faustin-Archange Touadéra, espérant que ce dernier pourrait empêcher la nouvelle rébellion de voir le jour. Mais celle-ci pourrait disposer à Paoua d’un appui local pour assurer son développement et sa formation.

Elle est ainsi en relation avec le député de l’Ouham-Pendé Lucien Mbaïgoto, selon nos informations. Ce dernier, qui a un temps combattu au côté du dissident tchadien Moïse Nodji Ketté, fait aujourd’hui office d’intermédiaire entre les néo-rebelles et les mercenaires du groupe Wagner. Le parlementaire centrafricain a notamment pris contact avec Vitali Perfilev, lieutenant d’Evgueni Prigojine à Bangui.

Craintes d’ingérence russe…

Objectif de la rébellion en gestation : obtenir du groupe de mercenariat qu’il assure la formation des recrues venues du sud du Tchad, lesquelles ambitionnent de renverser Mahamat Idriss Déby Itno, par ailleurs considéré comme proche des intérêts français dans la région. D’après un proche des Russes à Bangui, ceux-ci n’auraient cependant pas encore accepté de participer à l’aventure.

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De même source, Hassan Bouba, ministre de l’Élevage et de la Santé animale et intime de Vitali Perfilev dans la capitale centrafricaine, aurait dissuadé ce dernier de s’immiscer dans les querelles tchadiennes. Depuis plusieurs mois, N’Djamena et Bangui tentent de soigner leurs relations. Les deux autorités se sont d’ailleurs accordées sur un autre épineux dossier, celui de l’ancien président François Bozizé, qui pourrait rapidement quitter le Tchad.

MAHAMAT IDRISS DÉBY ITNO s’inquiète d’une implication de Wagner au Tchad

Mais Mahamat Idriss Déby Itno ne s’inquiète pas moins pour autant de la possible implication de Wagner dans les affaires tchadiennes. Au-delà des recrutements dans le sud du pays – sur lesquels son gouvernement croit voir planer l’ombre de l’opposant Succès Masra, qui dément vigoureusement –, le chef de l’État s’intéresse ainsi tout particulièrement aux activités, plus au nord, du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT).

… et de connivence avec le FACT

N’Djamena estime ainsi que le FACT, rébellion responsable de la mort d’Idriss Déby Itno en avril 2021, pourrait lui aussi recevoir le soutien occasionnel des mercenaires de Wagner, cette fois depuis le sud de la Libye, où les Russes maintiennent quelques troupes. Une affirmation démentie par le groupe armé et par son président, Mahamat Mahdi Ali.

Contacté par Jeune Afrique, le leader du FACT affirme que son mouvement n’entretient « aucune relation avec Wagner ». « Ce groupe de mercenaires n’a jamais aidé une rébellion et ne traite qu’avec les États, comme on le voit au Soudan, en Centrafrique ou en Syrie. Ce sont des accusations gratuites qui visent à nous diaboliser en se servant des Russes », ajoute-t-il.

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« Le FACT tente de se restructurer depuis le sud de la Libye, dans une zone où Wagner est présent et qui est globalement contrôlée par Khalifa Haftar », assure toutefois une source gouvernementale à N’Djamena. En outre, le Front a tenu ces derniers mois plusieurs réunions avec des groupes armés non-signataires des accords de Doha de 2022, ce qui n’a pas manqué d’alimenter les soupçons du gouvernement tchadien.

« Mahamat Idriss Déby Itno craint une alliance entre le FACT et une nouvelle rébellion du Sud, à laquelle Wagner pourrait choisir d’apporter son soutien par intérêt anti-français », glisse un proche de la présidence. Un cadre du groupe de Mahamat Mahdi Ali a qualifié ce scénario de « délire », refusant de commenter davantage ces accusations à JA. Le FACT déclare toujours donner la priorité au « dialogue pacifique ».

Jeune Afrique

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