Le clivage nord-sud connait un regain d’intérêt ce dernier temps, avec comme point d’orgue des appels pressants de certains activistes pour une partition du sud en une République autonome. Loin d’être un rêve utopique pour les tenants du sécessionnisme, cette idée fait son bonhomme de chemin jusqu’à exacerber les tensions déjà existantes.

Poussant le bouchon très loin, un activiste demande tout simplement à toute la population allogène, c’est-à-dire celle « qui n’est pas issue du Sud », de quitter cette partie du pays sous peine d’être chassée de force, la formule utilisée étant de choisir entre « la valise ou le cercueil ».

Le projet sécessionniste inclut donc pour ses tenants, un pogrom anti-musulman, un déplacement massif de populations non issues de cette zone, une spoliation de leurs biens. Funeste projet !

D’une part, entre l’exigence légitime d’une juste répartition des richesses du pays entre tout le monde, l’égalité de chance entre tous, le droit sacré et inaliénable à la terre ancestrale, et la surenchère sécessionniste d’autre part avec comme finalité un funeste projet d’extermination, il y a de quoi s’inquiéter.

Mais la question qui se pose est de savoir ce que le « chez soi » ou « qui n’est pas chez lui » ?

La géographie du Tchad a fait que le Nord est une zone aride et désertique, donc peu propice à l’agriculture et à l’élevage. Les populations issues de cette zone ont migré massivement vers le sud du pays, où le climat est semi-tropical et où la pluviométrie est abondante. Donc propice à toute activité humaine. Depuis, des générations de nordistes ont élu domicile dans cette partie du pays, rappelons qu’il y a autant de nordistes au sud du Tchad que de nordistes au Nord. En quoi cette génération, née et grandie là-bas, ne connaissant pas le village de ses parents, ignorant tout d’eux, est moins sudiste que le sudiste lui-même ? La notion du « chez soi » est toute relative ici. Et le nordiste est autant chez lui que le sudiste au Nord.

Mais pour étayer les faits, il faut souvent convoquer l’histoire des autres nations.

– Au sortir de l’indépendance, L’Inde à majorité indoue et le Pakistan à majorité musulmane ne faisait qu’un seul pays, mais devant l’impossibilité de vivre ensemble, les Indiens ont expulsé les Pakistanais de l’actuelle Inde, ce fut la plus grande migration humaine, avec dans son sillage des millions de morts.

– L’Allemagne Nazie, au nom d’une prétendue supériorité raciale et ayant considéré que les juifs étant l’origine du mal allemand, si ce n’est de l’humanité, ont ostracisé cette population jusqu’à vouloir l’exterminer.

– En Afrique, et plus précisément au Rwanda, l’intolérance et la bêtise humaine ont conduit au pire génocide du 20e siècle.

Le mal du Tchad, ce n’est pas uniquement une partie de sa population, ce n’est pas une région ni une religion quelconque. Le problème est plutôt la faillite d’un État, et de ses hommes politiques, un problème de gouvernance. Et la problématique n’est plus entre le Nord et le Sud, mais entre le Tchad des privilégiés et celui de tous les autres. L’exemple du BET est le plus éloquent.

Le BET à lui seul a donné quatre des six Présidents qu’a eus ce pays, et cumule en tout plus de quarante ans de pouvoirs sans discontinuer. Et à tour de rôle, les trois présidents sont issus des trois différentes parties que compte la région, Goukouni Weddeye pour Tibesti, Hissein Habré pour le Borkou et Idriss Deby pour l’Ennedi. Mais le BET est l’une des régions les plus pauvres du Tchad si ce n’est la plus pauvre, les services sociaux de base sont quasi-inexistants, là-bas il y a moins de 15 kilomètres de routes bitumées dans toute la région. Si les nordistes ont tout comme le prétendent certains, il n’y aurait pas cette migration massive vers le Sud. Mais faut-il les dédouaner pour autant pour le mal vivre tchadien ? Non.

Le conflit agriculteurs-éleveurs par exemple est un conflit entretenu par certains contre les sudistes.

L’élevage que nous voyons aujourd’hui n’est plus cet élevage de subsistance, qui ravitaillait les grandes agglomérations en produits laitiers et en viande, c’est devenu un élevage intensif, industriel. Et l’éleveur n’est non plus le « Bororo » solitaire à la tête d’une dizaine de bœufs qui jadis cohabitait avec les autochtones, mais plutôt un homme lourdement armé à la tête d’une centaine de bêtes voraces qui réduisent à néant les efforts de toute une saison de culture.

Mais l’issue à ce conflit relève de la volonté politique de nos dirigeants, son règlement est une des conditions pour apaiser les tensions et permettre le vivre ensemble.

C’est pourquoi la légitimité ou la justesse d’un combat politique ne doit pas occulter le droit de chacun à vivre là où il veut. La sécession ne doit pas non plus servir d’épouvantail pour l’organisation d’un pogrom contre une partie de la population. Et fort heureusement, les sécessionnistes ne sont pas représentatifs de toutes les populations du sud qui sont dans leur grande majorité hospitalière et bienveillantes à l’égard des autres communautés.

Car les plus grands crimes que l’humanité a connus sont d’abord partis de la catégorisation des populations d’un même pays.

MAHAMAT SALEH AHMAT NOKOUR

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