N’Djamena s’inquiète des rébellions qui s’agitent à nouveau aux frontières du Tchad où depuis plusieurs mois, des groupes politico-militaires au sud de la Libye et à l’ouest du Soudan tentent de se fédérer pour renverser le président Idriss Déby Itno. Officiellement, tout va bien: le ministre de la Défense tchadien contacté par l’AFP assure n’avoir mis en place aucun renforcement militaire spécifique ces derniers mois, et que l’armée tchadienne continue ses efforts aux frontières. « Pour ne pas paniquer la population, le pouvoir fait semblant. Mais tout le monde au Tchad sait que la situation n’est pas bonne, même au sein du pouvoir », reconnaît pourtant un officiel sous couvert d’anonymat.

Arrivé au pouvoir par les armes en 1990, Déby garde en tête la guerre de 2005-2010 dans les confins de l’est, et surtout le raid rebelle de février 2008, quand une colonne armée venue là encore de l’est avait atteint les faubourgs de N’Djamena et manqué de le renverser. « Il n’y a jamais eu de changement de régime sans armes » au Tchad, rappelle la chercheuse et spécialiste du Tchad Marielle Debos, qui souligne la faiblesse persistante de l’opposition civile non armée, malgré une récente montée en puissance des mouvements citoyens.

« Les rébellions d’aujourd’hui doivent être comprises dans une histoire longue d’insurrections et de répressions qui remontent aux années 1960 avec la création du Frolinat », mouvement rebelle arrivé au pouvoir en 1979 face au régime sudiste.

Héritage de l’antagonisme Nord-Sud, avec un nord nomade et islamisé, et un Sud majoritairement chrétien/animiste et sédentaire, ce groupe rebelle a marqué de son empreinte la scène politico-militaire du pays.

Comme pour le Frolinat, les groupes armés qui ont défrayé la chronique au Tchad ces trente dernières années sont issues pour l’essentiel des tribus du nord (minoritaires): Toubous-Gorane, Zaghawa et Bideyat. Et toutes ont pris racine dans les pays voisins.

   -‘Poil de la bête’?

Les factions rebelles qui s’activent de nouveau aujourd’hui aux frontières nord et est du pays sont pour la plupart issues de la coalition de l’Union des forces de la résistance (UFR), selon des sources concordantes. A l’origine du raid de 2008, l’UFR est toujours dirigée par Timan Erdimi, neveu du chef de l’Etat, et Zaghawa comme lui. Erdimi vit au Qatar, pays avec lequel N’Djamena a rompu en août dernier ses relations diplomatiques pour « tentative de déstabilisation du Tchad à partir de la Libye ».

L’UFR « semble avoir repris du poil de la bête et menace de reprendre les hostilités », s’alarmait fin octobre un titre de la presse tchadienne. Le groupe veut « rassembler l’opposition (armée) dans une plateforme politique », sans exclure « un dialogue politique sous égide internationale avec le régime de Déby », a commenté à l’AFP son porte-parole en exil, Youssouf Hamid. « L’objectif est de se rassembler le plus largement possible », résume-t-il, assurant que « c’est Déby qui oblige les gens à faire la guerre ». Plus faible qu’en 2008, l’UFR n’est pas actuellement en mesure de repartir à l’offensive, selon une source proche de l’opposition armée. Mais d’autres mouvements basés en Libye et au Darfour, issus pour la plupart de l’UFR, tentent de reformer des alliances, a appris l’AFP de sources proches de ces groupes.

Il y a l’Union des Forces pour la Démocratie et le Développement (UFDD) du général Mahamat Nouri.

Le Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (FACT) est basé en Libye où il a convenu d’un accord de non agression avec le
maréchal Haftar.

Ou encore le Conseil de Commandement Militaire pour le Salut de la République (CCMSR), dissident du FACT, qui vient cependant de subir un coup dur avec la récente arrestation au Niger de son chef.

En Libye encore s’active le Front pour le Salut de la République (FSR).
Un des enjeux majeurs des discussions en cours: l’implication de ces groupes dans le conflit libyen, en particulier les alliances au coeur du désert avec les factions islamistes locales, alliances que certains rebelles tchadiens affirment rejeter.

Au sud-est, plusieurs petits groupes armés sillonnent la zone de Tissi (au carrefour Tchad-Centrafrique-Soudan) propice à de nombreux trafics, indiquent encore des sources sécuritaires tchadiennes.

Malgré les tentatives de rapprochement, une nouvelle rébellion similaire à 2008 n’est pourtant pas à craindre « dans l’immédiat », estime le chercheur Jérôme Tubiana, spécialiste du Tchad et du Soudan. Pour trois raisons, analyse-t-il: « la nébuleuse rebelle reste extrêmement fragmentée ». L’armée tchadienne est aussi « certainement mieux équipée et mieux préparée », malgré quelques « défections qui peuvent profiter aux rebelles ».

Enfin, « Tchad et Soudan maintiennent de bonnes relations » aujourd’hui, contrairement à 2008 où le Soudan avait apporté son soutien aux rébellions tchadiennes sur son territoire, ajoute le chercheur.

Par Caroline CHAUVET à Libreville, Stéphane YAS à N’Djamena (AFP)

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