Au Tchad, les plus hautes autorités sont habituées à tenir de beaux discours souvent sans lendemain. Et pourtant, elles ne s’en privent pas et font preuve d’un tel déni des réalités endurées par le peuple qu’elles se permettent de raconter tout et n’importe quoi sans courir le moindre risque de se faire sanction sauf à être rattrapées un jour par l’histoire. Mais c’est vite oublier le célèbre proverbe antique d’origine latine : «Les paroles s’envolent, mais les écrits restent». Le premier ministre tchadien Albert Pahimi Padacké a-t-il oublié ce proverbe mondialement connu ? Vraisemblablement non. Seulement comme le stipule cette citation : « Le ridicule ne tue pas ». L’occasion nous est donnée de la vérifier à travers le discours fleuve du premier ministre prononcé le vendredi 23  février 2018 devant les médias à l’attention des partenaires sociaux et du peuple tchadien en lien avec la crise socio-économique et financière. Non seulement il était ridicule dans son effort de jouer le jeu de son patron Idriss Deby Itno en se montrant droit dans ses bottes, mais plus graves sont les conséquences dramatiques de ses décisions injustes et cyniques imposées aux travailleurs du secteur public et par extension au peuple tchadien. Comment faire confiance à des tels dirigeants politiques qui assassinent volontairement la démocratie, la justice sociale et le dialogue national, et qui gouvernent le pays par la terreur et la tyrannie. Bien qu’à l’entame de son discours, il commence par les civilités, très vite il s’attèle à démontrer les efforts déployés par son gouvernement pour tenter de résorber la crise : «Mesdames et messieurs, Je voudrais vous remercier d’avoir bien voulu accepter notre invitation à la rencontre de ce matin ; rencontre qui s’inscrit dans le cadre du dialogue nécessaire et voulu entre le Gouvernement et les représentants des travailleurs. En effet, le 10 janvier 2018, je rencontrais dans cette salle les partenaires sociaux dans le cadre de la dynamique permanente de Dialogue instaurée par le Gouvernement. Cette rencontre visait à parvenir à des mesures consensuelles d’économie de trente milliards (30.000.000.000) Fcfa sur la masse salariale annuelle des agents publics. Je rappelais à cette occasion les facteurs conjugués qui ont contribué à ruiner la capacité de l’Etat à honorer ses obligations. Un diagnostic clair et franc de l’Etat de notre économie et de nos finances publiques, de même que les conséquences sociales douloureuses qui en découlent, a été également fait, afin de susciter une synergie étroite entre le gouvernement et les partenaires sociaux, face à la crise économique et financière que traverse le pays. Pour pallier de manière durable cette situation, j’observais à juste titre que la lucidité doit nous animer pour reconnaitre que les engagements ne peuvent tenir que réalistes et fondés sur les limites objectives des moyens de l’Etat. C’est ce qui nous a déterminés dans l’Arbitrage rendu à cette occasion par rapport aux divergences constatées au sein du Comité Technique Tripartite, pour donner suite à sa contestation des scenarios d’abattement proposés par le Ministre des Finances et du Budget. J’en appelais à une prise de conscience partagée sur les enjeux et l’acceptation responsable des contraintes que nous impose la crise».

Comment peut-on vouloir rechercher la paix sociale en optant pour une solution si radicale sans concertation au préalable. Pourtant, lui Albert Pahimi Padacké tel un enfant de chœur et fidèle serviteur d’Idriss Deby Itno considère sans aucun remords qu’il s’agit d’une décision incontournable mais il se garde bien de dire que c’est l’unique solution : «Je revoyais les parties prenantes au sein du Cadre National de Dialogue Social (CNDS) dans le cadre du Comité Technique Tripartite à continuer la discussion sur le scenarios consensuel devant nous permettre de réaliser une économie de trente milliards (30.000.000.000) Fcfa sur la masse salariale des agents publics, non sans inviter le Ministère des Finances et du Budget à l’application intégrale du Décret n°687, dans son esprit et de sa lettre en attendant que les parties conviennent un schéma consensuel qui dégage l’économie recherchée. Il s’agissait d’un arbitrage qui rendait transitoire l’application intégrale dudit Décret pour compter du salaire du mois de janvier échu. Cette décision incontournable du reste, a suscité la réprobation légitime des partenaires sociaux mais, sans une contreproposition crédible en face. Depuis lors, une grève générale des agents publics s’en est suivie, impactant négativement le fonctionnement des services publics. La grève, malheureusement, quelles que soient les explications n’apportera pas de ressources supplémentaires pour résoudre cette équation. Bien au contraire».

Il continue son discours creux et vide de sens. Au lieu de mettre une vraie solution alternative sur la table pour ramener les partenaires sociaux à de meilleurs sentiments en vue de créer les conditions favorables d’un dénouement heureux de la crise, il s’essaie à un exercice compliqué et improbable de pédagogie pour convaincre les grévistes à reprendre sans condition le travail : «Je voudrais dire avec forte conviction que le gouvernement attend toujours avec impatience du Comité Technique Tripartite les propositions consensuelles alternatives pour l’économie de trente milliard (30.000.000.000) Fcfa sur la masse salariale annuelle des agents publics. Chacun doit se résoudre à admettre que sans un engagement collectif responsable et pleinement assumé, sans une convergence des efforts de tous les segments de notre économie, le défi de sortie de crise qui nous interpelle tous ne peut être relevé. Il nous faut taire nos divergences, nos égoïsmes et nous réunir sur l’essentiel. Rien ne peut justifier le raidissement et les crispations négatives qui n’accentueront que davantage les souffrances de nos populations et nous éloigneront de la réalisation de nos espérances individuelles et collectives en tant que nation. L’option du Gouvernement de régler de manière durable cette crise requiert des efforts, certes impopulaires et douloureux, mais incontournables pour définir et mettre en place les règles d’une nouvelles Gouvernance de la chose publique. Le gouvernement inscrit son action dans le respect d’un équilibre entre l’équité et l’efficacité. Equité car nous devons nous soucier du sort de l’ensemble des Tchadiens et non uniquement de ceux qui sont employés par l’Etat. Efficacité car nous devons veiller à ce que les mesures décidées produisent les bénéfices attendus au profit de nos populations. Partant de cet axiome, en même temps que les indemnités et autres primes des agents de l’Etat sont sensiblement reconsidérés, le Gouvernement a pris d’autres mesures pour accélérer le processus engagé de sortie de la crise qui frappe de plein fouet notre pays ».

Et puis, sans vergogne, il se prend pour le vendeur d’illusions en égrenant quelques mesurettes censées favoriser les travailleurs. Comme tout homme politique, il poursuit avec son discours démagogique en espérant convaincre quelques naïfs qui se laissent encore entuber par ce régime malhonnête d’Idriss Deby Itno :«Sans être exhaustif, je puis citer quelques leviers actionnés pour aussi bien répondre aux revendications catégorielles, qu’à la demande sociale, ainsi que pour faire redémarrer notre économie entrée dans une profonde léthargie. C’est dans cette optique que le Gouvernement a : accru les efforts de prohibition des dépenses non prioritaires en privilégiant l’affectation des ressources aux urgences identifiées comme incompressibles. Procédé à une restructuration rationnelle de structures et organes pour plus d’économie, de cohérence et d’efficacité ; la réduction de la taille du Gouvernement et la suppression des postes de Secrétaires Généraux et la réduction à un seul poste de Directeur général dans chaque ministère participent de cette logique. Engagé des actions tous azimuts inédits pour une meilleure mobilisation et sécurisation des recettes ; l’atteinte de nos objectifs de recouvrement des recettes fiscales en fin d’exercice 2017, en est une preuve, certes insuffisante mais éloquente. L’informatisation engagée des régies, des recettes et notamment de la Douane contribuera à court terme à cet objectif ; adopté en Conseil de Cabinet le Décret portant réglementation du concours d’entrée à la Fonction Publique pour plus d’équité et d’égalité de chance aux candidats. Lancé l’audit des diplômes des fonctionnaires et contractuels de l’Etat dont les résultats sont attendus à la fin du premier semestre 2018 ; lancé le recensement des maîtres communautaires en vue de leur paiement et de leur prise en charge maitrisée. Préparé une vaste opération de recensement physique des agents de l’Etat qui va démarrer incessamment, suivi d’un recensement biométrique des agents avec délivrance des cartes à puce qui mettra définitivement fin à la question de faux agents et de doublons. Enclenché le processus de relecture de la Loi n°032/PR/2016 portant modification de la Loi n° 008/PR/2007 relative à la règlementation du Droit de grève dans les services publics au Tchad. Cette relecture se fera en lien avec les observations du Bureau International du Travail (BIT). Le Comité Technique Tripartite est invité à s’y pencher sans délais. En attendant cette relecture, son application comme Loi de la République n’est pas une question d’option mais une obligation pour le Gouvernement qui ne saurait s’y déroger. Toutes ces actions citées parmi tant d’autres ont en commun de participer à la maitrise des dépenses publiques qui ne se limitent pas aux seules charges salariales comme d’aucuns voudraient bien faire croire. Elles attestent de la volonté constante du gouvernement de parvenir in fine à des solutions pertinentes de sortie de crise afin de nous donner les moyens permettant la pleine réalisation des nobles ambitions du Chef de l’Etat pour notre vaillant peuple».

Albert Pahimi Padacké en tant que prisonnier volontaire du Mouvement Patriotique du Salut et d’Idriss Deby Itno veut pour sa part rendre les Tchadiens ses propres prisonniers. Il a tenté ici comme on dit en RDC : «un serviteur emploie un serviteur». Et, il essaie désespérément de vendre du vent au peuple : «Mesdames et messieurs, en dépit de la marge de manœuvre particulièrement étroite, le Gouvernement a entrepris d’autres initiatives tendant à donner une bouffée d’oxygène à l’économie dont le redémarrage et la diversification sont une condition sine qua non de sortie de crise. C’est ainsi qu’il a été décidé de l’apurement immédiat de l’ensemble des impayés des « biens et services » en instance au trésor public. Plus d’une douzaine de milliards de nos francs sont immobilisé à cet effet. Dans le même ordre d’idée, en attendant le lancement d’un ambitieux programme de règlement des autres types d’impayés qui, eux-mêmes méritent vérification, le Gouvernement a pris des dispositions en ce début d’exercice 2018, pour relancer les travaux des projets concourant à l’objectif de la diversification de notre économie. C’est ainsi que la construction de l’Abattoir de Moundou ainsi que celui de Djarmaya, du Complexe laitier de Mandalia et de l’Usine Textile de Sarh a été relancée grâce au blocage d’un montant de plus de 17 milliards de Fcfa. Ces efforts seront amplifiés dans les semaines et mois à venir, afin de mettre en marche la machine économique. Sur le plan social, le Gouvernement a intégralement soldé les arriérés de bourses des étudiants grâce aux économies réalisées sur la masse salariale du mois de janvier. L’effort portera désormais sur les œuvres universitaires en vue de l’amélioration des conditions d’étude pour le plus grand nombre possible. Soucieux de la nécessité d’atténuer les charges sociales, notamment celles des ménages et en vue de renforcer la nécessaire protection de notre couvert végétal, j’ai le plaisir d’annoncer à cette occasion que le gouvernement a décidé d’une baisse notable du prix du Gaz. Désormais, les prix du Gaz sont respectivement ramenés à 1000 Fcfa pour le gaz de 3 Kg et à 2500 Fcfa pour le gaz de 6Kg, 5000 Fcfa, le gaz de 12Kg, 11 000 Fcfa, celui de 25Kg et 14 500 Fcfa, celui de 32 Kg. Il s’agit de toucher tous les ménages et non seulement ceux des travailleurs. Mieux, d’autres solutions sont mises en perspectives dont celles relatives aux réponses au mémorandum du Collectif des Transporteurs pour lequel les Ministres concernés ont reçu des orientations pour les négociations prévues dans les tous prochains jours. D’ores et déjà, je puis vous annoncer la levée immédiate de toutes les barrières anarchiques ainsi que la prise imminente d’un acte encadrant l’implication et le fonctionnement des barrières de contrôle sur les différents tronçons en vue de la conciliation de l’impératif sécurité avec celui de la fluidité des transports sans tracasserie aucune, ni faux frais légitiment dénoncés par les transporteurs. Dans le même registre, une initiative novatrice est en cours pour agir sur les couts des denrées de grandes consommations. Dans les jours avenir, des actes concrets seront présentés et mis en œuvre afin de réduire substantiellement les prix des denrées de première nécessité sur le marché. Toutes ces actions sont conduites par le Gouvernement concomitamment à la mobilisation des ressources nécessaires au bon fonctionnement des services publics, notamment la sécurité de notre pays, entouré par un océan de tension. A cette occasion, je voudrais présenter mes condoléances les plus sincères aux familles de nos deux compatriotes tombés sous les balles de la secte terroriste Boko Haram il y a deux jours dans la Région du Lac-Tchad. Que nos forces de défense et de sécurité reçoivent ici, l’expression de soutien du Gouvernement et notre peuple».

Surtout on constate que monsieur Albert Pahimi Padacké est un hypocrite qui fait semblant de verser des larmes de crocodiles pour compatir avec les travailleurs qui sont dépecés telle une proie, financièrement par un gouvernement insoucieux et insensible : « Mesdames et messieurs, la situation du Pays mérite-t-il un effort de la part de chacun et de tous. Je partage aisément l’amertume des 92 000 travailleurs civils du secteur public. Cette amertume est celle de la langue, des palettes qui, dans la bouche, ressentent le gout amer de la pilule. Mais au lieu de la rejeter, l’on doit faire l’effort de l’avaler pour la guérison de tout le corps social, à savoir près de 15 millions de nos concitoyens qui ne peuvent être ignorés sans conséquence pour tous. En effet, pour l’exercice budgétaire qui vient de s’achever, nous avons payé une masse salariale globale de plus de 375 milliards pour des recettes fiscales totales de 348 milliards ; plus de 100% alors que la norme communautaire exige que la masse salariale représente 35% de nos recettes propres. Pouvons-nous, devons-nous continuer sur cette lancée ? Et pour quel avenir ? Si nous les 92 000 salariés publics, soit moins de 1% de la population tchadienne devant continuer à nous disputer et partager entre nous quelle que soit la grille retenue, 100% des ressources nationales comme c’est le cas aujourd’hui, que réservons-nous aux 99% de ces sans voix ? Doivent-ils être ignorés parce que simplement non syndiqués ? Oui, ceux-là qui, dans leur village et ferricks, ne demandent que de l’eau potable, des soins de santé, l’école pour leurs enfants, ceux dont l’avis de tous les jours dépend plus de la générosité de la nature que de l’Etat… Je voulais dire de la pluie. Pensons-nous un seul instant à cette femme, cette jeune fille qui continue à tirer du fond d’un puits profond de l’eau de mauvaise qualité pour la consommation domestique ? Avons-nous pensé un seul instant au triste sort de ces 51 000 jeunes qui attendent depuis des années aux portes de la Fonction Publique ? Devons-nous leur ouvrir ces portes ou augmenter le salaire de ceux qui sont déjà dedans ? Pour se dire franchement les choses entre compatriotes, rien ne peut justifier l’abandon des malades, des écoliers et des élèves dans le contexte actuel de notre pays».

Malgré qu’il tende vers la fin de son discours, le premier ministre tchadien verse dans l’autosatisfaction en saluant son patron pour la signature de l’accord entre le Tchad et Glencore. Lui en réalité, pourrait croire qu’il joue le beau rôle sans savoir qu’il est attendu au tournant tant que la grève perdure : « Mesdames et messieurs, vous avez suivi le communiqué du Ministre des Finances et du Budget relatif à la restructuration conclue de la dette Glencore. C’est le lieu ici de saluer encore une fois, la clairvoyance de Monsieur le Président de la République qui a permis au Gouvernement de parvenir à ce résultat. Je voudrais également saluer la représentation nationale dont la confiance dans le Gouvernement de la République a permis l’adoption de la loi de Finances 2018, basée sur des hypothèses macroéconomiques liées à des discussions non encore abouties avec le partenaire sur cette restructuration de la dette au moment des débats parlementaires. Même si la restructuration de la dette Glencore ne dégage pas de ressources nouvelles immédiates parce que ces ressources sont déjà prises en compte dans le budget en exécution, elle ouvre cependant une perspective économique nouvelle en termes de financement du budget de l’Etat, du programme économique triennal et pour la soutenabilité de notre service de la dette, permettant une meilleure chance de financement de notre économie par le retour de la confiance de la communauté des bailleurs. D’où la nécessité de poursuivre nos efforts d’ajustement nécessaire à la relance.

Comme dit ce proverbe français de 1855 : «on connait le courage de l’homme face au péril». Entre l’intersyndicale en grève et le discours démagogique d’un premier ministre en service commandé vers qui se penche le sens de ce proverbe. Malgré l’optimisme affiché de monsieur Albert Pahimi Padacké, l’Homme vaut ce que vaut sa parole : « Mesdames et messieurs, nous voyons tous que les efforts consentis ensemble arrivent à maturation et que l’exercice 2018 consacrera pas mal de résultats de nos efforts communs. C’est pourquoi, tout en assumant de manière responsable sa mission, le Gouvernement demeure convaincu que seule une synergie étroite avec les partenaires sociaux et l’ensemble des forces vives du pays est le meilleur gage de sortie de crise pour notre pays. Il nous faut cependant éviter la surenchère et les dérives qui sapent inutilement l’unité nationale et la cohésion sociale alors que nous sommes si proches du but. J’appelle les partenaires sociaux au sein du Comité Technique Tripartite pour des Solutions Consensuelles à la grève du Secteur Public qui n’a que trop duré. Plus généralement, j’en appelle à un sursaut national au côté du Chef de l’Etat et aux côtés du Gouvernement pour faire face au défi de la crise économique et financière qui affecte notre pays. Crise économique et financière qui sera bientôt pour nous un mauvais souvenir pour peu que chacun consente le sacrifice nécessaire que commande la situation de notre Cher pays. Pour terminer, je voudrais vous assurer de ma volonté à veiller à la régularité de ces types de rencontres destinés à vous informer et à mettre en perspective l’action du Gouvernement ».

Choix et commentaire de Ahmat Zéïdane Bichara / Moussa T. Yowanga 

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