Candidat à la présidentielle face à Idriss Déby Itno, dont il fut plusieurs fois ministre et même Premier ministre, Albert Pahimi Padacké a été désigné à la tête du gouvernement de transition par le CMT, dirigé par Mahamat Idriss Déby.

« L’après-Déby, c’est demain et c’est inéluctable », déclarait Albert Pahimi Padacké, début avril à Jeune Afrique. Moins de dix jours plus tard, cette phrase aux airs de slogan électoral prend un sens tout particulier. Idriss Déby Itno (IDI) est décédé le 18 avril. Padacké vient, lui, d’être désigné Premier ministre par le Conseil militaire de transition (CMT), organe dirigé par Mahamat Idriss Déby, le fils du maréchal défunt.

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Après la mort d’IDI, celui qui fut son dernier chef du gouvernement avant que le poste ne soit supprimé, en 2018, avait fait partie des nombreuses personnalités reçues par les nouveaux maîtres de N’Djamena. Arrivé en deuxième position à la présidentielle du 11 avril, à l’issue de laquelle il a obtenu 10,32 % des suffrages, le candidat du Rassemblement national pour la démocratie au Tchad (RBDT-le Réveil) a rencontré Mahamat Idriss Déby à trois reprises pour échanger sur l’avenir du pays. Il s’est ensuite vu officiellement proposer le poste de Premier ministre, dans l’après-midi du 25 avril.

Exigences de l’histoire

« J’ai accepté cette nomination car dans la vie, il y a des moments où il faut s’élever à la hauteur des exigences de l’histoire. La situation nous appelle à taire nos divergences pour sauver notre pays », explique l’intéressé à JA.

Albert Pahimi Padacké, 54 ans, est un habitué de la politique tchadienne et des va-et-vient entre l’opposition et le gouvernement. Originaire, comme l’opposant Saleh Kebzabo, du Mayo-Kebbi Ouest, dans le sud du pays, il a plusieurs fois été ministre depuis les années 1990. D’abord des Finances, puis du Commerce, avant d’être limogé en novembre 1997. En 2001, il devint secrétaire d’État aux Finances puis ministre des Mines, de l’Énergie et du Pétrole, avant d’être élu député du RNDT-Le Réveil en avril 2002.

En 2006, il se présente à l’élection présidentielle et obtient 7,82 % des voix lors d’un scrutin boycotté par les principaux partis d’opposition. Il intègre ensuite le gouvernement comme ministre de la Justice puis des Postes et de la Communication. Il est une nouvelle fois candidat à la présidentielle de 2011. Puis en février 2016, il devient Premier ministre en remplacement de Kalzeubé Pahimi Deubet, qui était aux affaires depuis novembre 2013.

Albert Pahimi Padacké a fait la connaissance de Mahamat Idriss Déby lors de ce passage à la primature. Ce dernier était alors à la tête de la Direction générale de service de sécurité des institutions de l’État (DGSSIE), dont fait partie la garde présidentielle.

La nomination de Padacké a été décidée par le CMT après de larges consultations. Le 21 avril, à la veille des funérailles du chef de l’État, son fils avait reçu des responsables de partis, des présidents d’institution, d’anciens Premiers ministres (Delwa Kassiré Coumakoye, Haroun Kabadi, Emmanuel Nadingar, Kalzeube Pahimi Deubet) ou encore l’ex-président Goukouni Weddeye. « Son nom circulait depuis le début des tractations qui ont débuté au moment des obsèques », rapporte un opposant.

« Il ne faisait pas partie des favoris. Il a effectué un intense lobbying auprès du CMT pour obtenir le poste », précise une source au fait des négociations.

Consultations

Le nouveau Premier ministre va à son tour lancer une série de consultations afin de former au plus vite un gouvernement. « Dans ma tête, il faut former un gouvernement d’union nationale le plus ouvert possible », confie-t-il. Pense-t-il avoir suffisamment de marge de manœuvre ? Ne craint-il pas d’être instrumentalisé par les militaires, de n’être que leur caution civile de la junte ? « Je n’aurais pas accepté si je pensais le contraire », assure-t-il.

Il devra cependant batailler pour convaincre de ses bonnes intentions. Sa candidature à la dernière présidentielle avait été critiquée par une partie de l’opposition, qui l’accusait d’être instrumentalisé par le Mouvement patriotique du salut (MPS, au pouvoir). Cette même opposition ne reconnaît aujourd’hui aucune légitimité au CMT, estimant que l’ordre constitutionnel n’a pas été respecté et dénonce « un coup d’État institutionnel ».

IL SAURA FAIRE PREUVE DE FLEXIBILITÉ. LE PAYS TRAVERSE UNE SITUATION EXCEPTIONNELLE

« Le président de l’Assemblée nationale a lui-même expliqué qu’il avait refusé d’occuper l’intérim. Dans un contexte aussi volatile, le vide aurait conduit le Tchad à la catastrophe. Les militaires n’avaient d’autre choix que de prendre les choses en main », justifie Padacké. « Je crois que c’est le bon choix. Il est jeune mais a suffisamment d’expérience pour comprendre les enjeux. Il saura faire preuve de flexibilité. Le pays traverse une situation exceptionnelle. C’est une opportunité unique de nous rassembler et de tenir ce dialogue que Déby a toujours refusé », estime de son côté l’opposant historique Saleh Kebzabo.

« Le choix de Padacké est décevant. C’était une chance inédite de renouveler les hommes, de revoir les méthodes et de mettre en place une transition qui tranche avec les anciennes habitudes. À la place, on préserve un système. Mahamat Idriss Déby risque maintenant de concentrer toute la haine et l’opposition envers son père », juge un observateur de la vie politique tchadienne.

Alors qu’il appelait de ses vœux au départ d’Idriss Déby Itno il y a encore quelques semaines, Albert Pahimi Padacké juge aujourd’hui que son décès soudain plonge le Tchad dans l’inconnu. « J’ai toujours appelé à un changement de régime dans les urnes, par la voie démocratique. Ce qui arrive est totalement différent, insiste-t-il. Le contexte est instable. C’est une rébellion qui a conduit à la mort du président. »

Tchadanthropus-tribune avec Jeune Afrique

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