En amont du dialogue national, dont les délais d’ouverture ne cessent de s’étendre, le président du Conseil militaire de transition Mahamat Idriss Déby a discrètement pris langue avec plusieurs des plus virulents opposants au régime de son père. Dans le même temps, il s’est rapproché du président de la Commission de l’Union africaine avec lequel ses relations étaient exécrables.

Quand aura lieu le dialogue national tchadien ? Officiellement, le président du Conseil militaire de transition Mahamat Idriss Déby vient de le reporter une première fois. Prévu pour se tenir en février, celui-ci a été décalé au mois de mai. La raison avancée : permettre la tenue d’un pré-dialogue avec les groupes armés, à Doha au Qatar, prévu à la date du 27 février.

En coulisses, les autorités tchadiennes ont en réalité d’ores et déjà décidé de prolonger cette période, sans donner de date précise pour une future tenue de ce dialogue. Si la rencontre prévue à Doha devait ne pas avoir lieu avant le ramadan, qui s’étend cette année du 2 avril au 2 mai, l’ouverture de la concertation nationale en mai paraît compromise et devrait par ricochet étendre encore un peu plus la durée de la transition.

Discussions en coulisses

Dans le plus grand secret, N’Djamena est néanmoins en contact depuis plusieurs semaines avec Mahamat Mahdi, patron du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), responsable de la chute d’Idriss Déby, décédé en avril 2021. Si les autorités tchadiennes ont bon espoir de voir Mahdi entrer dans ce pré-dialogue, de nombreuses embûches logistiques pourraient parasiter sa participation, à commencer par la question de son passeport.

Ces dernières semaines, les autorités qataries ont tenté de faire parvenir à l’ambassadeur de France à Doha, Jean-Baptiste Faivre, son titre de séjour en tant que « réfugié », dont il avait bénéficié lors de son asile en France. Mais ce dernier est périmé depuis plusieurs années. Surtout, Paris n’est pas favorable au fait de fournir un tel document : depuis son entrée en rébellion dans les années 2010, le chef du FACT a été exclu des fichiers de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). La diplomatie qatarie a déjà prévenu N’Djamena qu’elle ne se contenterait pas de simples « laissez-passer » pour accueillir les acteurs du dialogue.

Outre Mahdi, Mahamat Idriss Déby est également en contact avec un autre ex-influent rebelle tchadien : Mahamat Nouri. Ancien ambassadeur du Tchad en Arabie saoudite et fondateur du mouvement l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), Nouri avait participé aux côtés de Timan Erdimi, en 2008, à l’offensive rebelle contre N’Djamena depuis le Soudan. En toute discrétion, l’ambassade du Tchad à Paris a remis à Nouri mi-janvier un passeport tchadien. Mais ce dernier fait face à un problème de taille, il est sous contrôle judiciaire en France, ce qui l’empêche ainsi de quitter l’Hexagone, mais la solution est toute trouvée, et la justice française lui permet exceptionellemment de participer au pré dialogue. En juin 2019, l’ancien rebelle avait été mis en examen par la justice française pour « crimes contre l’humanité », puis incarcéré dans la foulée à Fleury-Mérogis (Essonne). Il avait néanmoins été libéré en mars 2020. Le dossier apparait vide de toutes les accusations après enquêtes.

Si les présences de ces deux poids lourds des rébellions tchadiennes de ces deux dernières décennies se dessinent encore en pointillé, celles du Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR) de Mahamat Hassan Boulmaye ainsi que du Front de la nation pour la démocratie et la justice au Tchad (FNDJT) du colonel Allatchi Ali semblent mieux engagées.

Erdimi disqualifié ?

Reste aussi l’épineuse question de Timan Erdimi, chef de l’Union des forces de la résistance (UFR), mouvement qui avait mené l’offensive rebelle depuis le sud libyen stoppée net par les Mirage 2000 français en février 2019.

En exil au Qatar, ce dernier serait en passe d’être exclu du prédialogue. En cause : un enregistrement audio où le patron de l’UFR converse avec l’ex-conseiller du président Faustin Archange TouadéraAboulkhassim Algoni Tidjani, ancien coordonnateur d’un groupe armé en Centrafrique. Dans cet enregistrement largement diffusé sur internet, Erdimi appelle notamment à s’associer avec le groupe paramilitaire russe Wagner pour « chasser les Français » et faire tomber Mahamat Idriss Déby. Les autorités centrafricaines ont très vite précisé qu’Algoni Tidjani n’était plus conseiller de Touadéra depuis un an. A N’Djamena, le porte-parole du gouvernement tchadien, Abderaman Koulamallah, a pour sa part déclaré qu’Erdimi « s’excluait de lui-même du dialogue », tout en laissant le soin au comité technique spécial chargé de la réconciliation, dirigé par l’ancien président Goukouni Weddeye, de se prononcer sur l’invitation du chef de guerre à Doha.

Paix avec Abakar Manany et Moussa Faki

Outre les anciens rebelles, « Kaka » a également pacifié ses relations avec plusieurs des plus virulents anciens opposants de son père à l’instar d’Abakar Manany. Ancien puissant conseiller spécial d’Idriss Déby jusqu’à sa rupture en 2008, l’homme d’affaires à la tête d’une compagnie d’aviation privée et au réseau international étoffé est rentré à N’Djamena début décembre après plus de dix ans d’exil. Dans la foulée, il a été nommé « conseiller spécial » à la présidence tchadienne avec rang de ministre d’Etat.

Avant Abakar Manany, le président du CMT avait enterré la hache de guerre avec une autre influente figure de l’ère Déby : Moussa Faki Mahamat, président de la commission de l’Union africaine (UA). Depuis le décès d’Idriss Déby, les relations entre l’ex-chef de la diplomatie tchadienne et les fils Déby étaient exécrables. En cause, les ambitions supposées de Faki de concourir à une éventuelle présidentielle à l’issue de la transition. Non avérée, la rumeur avait néanmoins largement paralysé l’action de l’UA dans le pays. Mais dans la plus grande discrétion, Mahamat Idriss Déby et Moussa Faki se sont entretenus par téléphone cet automne. Le président de la Commission de l’Union africaine a notamment assuré à « Kaka » qu’il n’avait pas d’ambition politique à « court terme », souhaitant aller au bout de son mandat de quatre ans à Addis-Abeba.

Tchadanthropus-tribune avec Africa intelligence

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