Moins de 40 ans, diplômé d’une prestigieuse grande école française et jeune fonctionnaire d’une grande Banque africaine, Succès Masra entre dans la vie politique tchadienne dans un contexte très particulier qui était très favorable à son essor.

En effet, en 2018, la jeunesse tchadienne était déjà très lassée par une domination politique vieillissante et inamovible. Elle aspirait à un changement et à une alternance à tous les niveaux ; c’est-à-dire elle aspire un rajeunissement de la classe politique tant du côté du pouvoir que du côté de l’opposition.

Ainsi, le forum national inclusif organisé le même année a permis aux jeunes d’exprimer leur mécontentement. Mais, la gérontocratie était forte et les anciens contrôlaient les jeux. Cependant, ce forum qui devait en principe résoudre certains problèmes, les a derechef cristallisés. Les résolutions issues de ce forum ont permis la création d’un régime présidentiel intégral constitué d’un exécutif composé d’un Président et d’un Vice-Président. Le poste de Premier Ministre a été supprimé. Et beaucoup des recommandations de la jeunesse n’ont pas été prises en compte. La gérontocratie sortait donc renforcée. Dès lors, dans le camp des jeunes en quête de nouvelles perspectives, l’espoir était mort et enterré, d’autant que les partis de l’opposition qui devaient en principe défendre la cause de la jeunesse sont dominés par des anciens qui ne sont pas prêts à céder leurs fauteuils. Ainsi donc, c’était dans ce contexte que Succès Masra annonce son entrée dans la vie politique tchadienne. La jeunesse reprenait espoir, mais aux fils des événements, l’espoir laisse place au désespoir et au pessimisme. Celui qui était promu à une très belle carrière politique se voit échoir son avenir politique à cause de ses propres turpitudes, ses stratégies inadaptées et son empressement pour le pouvoir.  Nous analyserons ci-dessous comment il est arrivé à ce bas niveau.

LA RENAISSANCE DE L’ESPOIR POLITIQUE

Succès Masra entre en politique en 2018 dans une circonstance où la société tchadienne était minée par des nombreuses difficultés et aucun des partis d’opposition n’était en mesure de se montrer digne et légitime pour porter les aspirations des mécontents du système en place. Les injustices, la gérontocratie, les inégalités sociales et l’ancienneté du régime en place étant les principaux problèmes évoqués par tous les mécontents. Succès Masra adapte son offre politique en concordance avec les mécontentements déjà existants. Il apparaît avec une nouvelle rhétorique politique adaptée aux aspirations et aux attentes de tous les mécontents de l’ancien système. Il s’impose comme un transformateur de la société tchadienne avec un style inédit et un vocabulaire nouveau emprunté à la doctrine chrétienne. Un discours nouveau, audacieux et une attitude défiant le régime en place ont séduit beaucoup des jeunes tchadiens et ont fait renaître l’espoir qu’ils avaient perdu vis-à-vis de l’ancienne classe politique tchadienne. Il s’affirme avec une rhétorique politique séductrice portant des nouveaux termes dans le champ lexical politique, comme la “Boundoucratie, la destination vers la terre promise, la justice et l’égalité…” ce qui a attiré de la sympathie et qui a séduit les tchadiens assoiffés du changement. Cette entrée brillante en politique a été renforcée par une couverture médiatique spéciale tant au niveau local qu’au niveau international. Les médias français ont beaucoup contribué à la mise en lumière de ce nouveau “Messi” de la vie politique tchadienne. RFI, TV5, France 24, Jeune Afrique ont tous contribué à la promotion de ce nouvel homme politique sur qui reposera désormais l’espoir de tous les pessimistes du régime de Maréchal Deby. Ainsi, la renaissance de l’espoir politique reposait sur Succès Masra et il continuait de gagner de plus en plus des adhérents.

LA DÉCADENCE PARTIELLE ET LA NAISSANCE DU SCEPTICISME

L’étoile politique de Succès Masra Brillait à mille feux. Beaucoup des Tchadiens du nord comme ceux du sud voyaient en lui comme leur probable futur Président de la République. Alors sortait un livre qu’il avait co-écrit en 2008, au contenu nauséabonde, méprisante et agressive envers tous les Tchadiens du nord qui lui cassait la dynamique. Ce livre publié il y’a plus de dix ans, beaucoup l’ont lu, mais l’ont ignoré, mais le résumé fait par l’ancien ministre des Finances Issa Abdelmamoud et publié sur les réseaux sociaux et les journaux a contribué de mettre en lumière les idées obscures, la haine et le mépris que vouaient Succès Masra envers ses compatriote du nord. Par conséquent, la popularité de plus en plus extensive de Masra prend un sérieux coup. Son image se trouvait entachée et beaucoup commençaient à douter sur sa bonne foi, sa sincérité et sur sa capacité de leadership à pouvoir réunir et diriger tous les Tchadiens. Donc, on assiste à une décadence partielle et à la naissance du scepticisme. Celui qui était considéré comme un espoir pour tous les Tchadiens se montre en pleine journée comme un simple petit haineux, nostalgique et revanchard.

À cela, j’ajoute l’audience inattendue avec le défunt Maréchal pendant une période cruciale et tendue qui laisse croire qu’aucune rencontre entre les deux hommes ne serait possible. Cette audience qui n’a pas été communiquée par Masra, même ses proches collaborateurs n’ont pas été consultés, ni été mis au courant, a surpris tout le monde lorsque la télé Tchad l’avait diffusée. Les services de communication du Président Deby ont pris le devant et portent un sévère coup aux transformateurs. Nombreux croyaient que c’était une fakes news et n’arrivaient pas à digérer l’événement malgré la confirmation. L’image de Succès Masra prend une fois de plus un sérieux coup. Sa crédibilité, sa sincérité, son engagement pour la justice, l’égalité et pour l’intérêt général des Tchadiens sont durement éprouvées. Son image de transformateur sur qui reposait l’espoir se trouvait entachée. De l’espoir on tombe au désespoir et au pessimisme. Il était compris comme un simple opportuniste qui se servait de la politique pour résoudre des deals personnels. À la suite de cette rencontre surprise avec le Maréchal, le choc chez les Transformateurs fut grand et beaucoup étaient déçus et imaginaient d’abandonner la lutte. La démission fracassante de Don Ebert, conseiller politique de Masra, était trop évocatrice. Don Ebert asséne encore profondément le coup en dévoilant des pratiques peu orthodoxe au sein du bureau exécutif du parti les Transformateur encouragées par Masra Succès lui-même, dont notamment le népotisme, la gestion opaque des affaires du parti, les attitudes susceptibles de viol sur des filles… Écorchure supplémentaire de l’image de celui qui se considère jusque-là le “sauveur”, le “Transformateur”, celui qui devra imposer la rupture avec des comportements indignes du passé…

Bouleversement de la vie politique tchadienne et mutation des enjeux

Pendant que l’image du jeune chef de parti sur qui reposait tout un espoir continuait de se détériorer, la vie politique tchadienne venait de connaître en avril 2021 un grand bouleversement. Le maréchal Idriss Deby est mort au combat. Le CMT est mise en place à sa tête Mahamat Idriss Deby Itno, fils du défunt président. Si les premières déclarations d’opposition de cette prise de pouvoir par les militaires semblent être logiques, cependant, le fait de s’adapter au changement du contexte et de changer les rythmes du jeu auraient été nécessaires. Car, les enjeux sécuritaires sont devenus des enjeux de premier plan et se sont imposés à tout le monde. Mais, Succès Masra et les Transformateurs n’ont pas pu mesurer les ampleurs des enjeux. Ils n’ont pas compris qu’il y a eu des mutations des enjeux. Les rhétoriques qui étaient valables pendant le régime du Maréchale devraient être adaptées aux nouveaux contextes et aux nouveaux enjeux. Mais, par manque de vision et par manque des stratégies, Succès Masra et son équipe ont préféré garder les mêmes règles d’avant. Entre-temps, les vieux crocodiles de la mare politique tchadienne et les vieux renards du désert politique tchadien ont mesuré l’ampleur des enjeux et se sont adaptés aux nouveaux contextes et aux nouveaux enjeux. Il est de principe que dans un contexte de transition, il n’y a pas une majorité qui devrait gouverner.

Les règles classiques majorité/opposition devraient être rangées de côté et des nouvelles règles s’imposent. Ce qui serait le plus bénéfique est la participation à la redéfinition des futures institutions et en même temps à la préparation des échéances électorales futures. Ce contexte de transition aurait été favorable au jeune parti les Transformateurs de s’agrandir ; de s’étaler sur l’ensemble du territoire et de travailler à redorer l’image de leur leader qui avait déjà pris beaucoup des coups. Mais hélas, les transformateurs ont préféré jouer un jeu hors contexte qui leur est très défavorable. Malgré l’attitude trop complaisante du gouvernement de la transition, Succès Masra et son équipe ont été obnubilés par leur éphémère semblant de popularité et auréolés par la position de la communauté internationale de plus en plus encourageante. Ainsi, ils ont été perdants à la première phase de la transition et perdants également à la seconde phase de la transition.

L’annonce d’un échec politique de Masra Succès, un avenir politique prématurément échu.

Succès Masra a eu tout ce qu’il fallait pour un homme politique pour réussir, mais ça manque de vision, ses stratégies erronées, son arrogance et son manque d’humilité, son attitude anarchiste, son égoïsme et ses comportements présomptueux ont joué considérablement en sa défaveur. Il a montré l’image d’un homme politique trop pressé pour le pouvoir et par conséquent, il était dans une logique d’utiliser tous les moyens pour parvenir à ses fins. Son arrogance et son manque d’humilité l’ont exalté d’être le seul qui serait capable de diriger le pays ou de diriger le gouvernement de la transition. Président de la République ou Premier Ministre de la transition, si non, partisan de l’anarchie et des désordres ; C’est ce que son égo lui suggère. C’était cette mentalité qui l’a complètement aveuglée pour qu’il se rende compte des enjeux de la transition et pouvoir se remettre sur le bon chemin. Malheureusement, cette mentalité l’a mis au bord de la politique et elle est la cause de son échec politique. Si non, il était promis à un très bel avenir politique. Mais, il vient à nouveau pour tout gâcher par ses récentes actions de tentative d’un coup d’État civil. Il vient d’emprunter le chemin de son échec politique en incitant à la violence politique et à l’insurrection. La loi portant charte des partis politiques au Tchad est bien claire sur les dispositions à appliquer si un parti politique ne respecte pas les dispositions de cette charte et se livrant à des activités tendant à troubler l’ordre publique. Ainsi, Succès Masra et son équipe viennent de fournir au gouvernement par leurs propres turpitudes l’occasion et les moyens de sceller définitivement leurs sorts politiques. Donc, les morts pendant la dernière manifestation violente et l’enregistrement vocal de Succès Masra dans lequel il affirme de vouloir causer quelques morts pour susciter les réactions de Human Right Watch afin de sanctionner le pouvoir l’exposent à des poursuites pénales qui seront susceptibles de le déchoir de ses droits civiques et politiques pour au moins cinq (5) ans, au moins que le gouvernement soit complaisant à son égard.  Cet enregistrement audio qui montre les vrais intentions de Succès Masra se basant sur la manipulation des vies des manifestants pour atteindre ses objectifs politiques ouvrira également les yeux aux quelques manifestants qui croient encore en lui. Cela illustre parfaitement que leurs vies sont utilisées comme des moyens politiques par Masra et son équipe. Il aura une signification politique très forte qui ne sera pas sans conséquences politiques.

Par ailleurs, il est aussi à noter que son discours à la veille de la manifestation, Succès Masra a évoqué un pouvoir confisqué par une partie du Tchad. Il avait dit que le gouvernement actuel est composé que des noms de même appartenance qui brillent tous par un point commun qui est la médiocrité. Par ces mots, il insinue que le gouvernement est composé des nordistes et ces derniers sont des médiocres. Ainsi, il renoue avec son passé. Il répète les mêmes mépris envers ses compatriotes du nord qu’il les a déjà qualifiés de tous les noms d’oiseaux dans son livre. Les massacres envers certaines personnes supposées du nord par les manifestants fait du Succès Masra un incitateur à la haine entre les Tchadiens, un incitateur à la division et un incitateur à la violence politique et civile.

Aujourd’hui, aux yeux de la majorité de ses compatriotes, Succès Masra est appréhendé désormais comme un ultra régionaliste, un ultra confessionnaliste, un ultra divisionniste et un grand incitateur de la guerre civile entre les Tchadiens… Ce qui fait que son avenir politique est très sombre. il est échu. En attendant de finir ses devoirs judiciaires, il serait mieux qu’il réfléchisse dès maintenant sur sa vie post-politique.

MAIDE HAMIT LONY

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