A l’intérieur du système politique, les jeux de pouvoir mettent en situation d’affrontements les prétendants au trône. Les aspirations démocratiques ont entraîné une mutation dans l’art de gouverner, de faire de la politique, tout comme dans l’art de neutraliser les adversaires dans l’arène politique. De nos jours, la sophistication des moyens d’action contre l’adversité politique est devenue la grande perversion des démocraties. Plus d’une personne s’est interrogée sur la troublante coïncidence dans la révélation de ce que les journalistes ont appelé avec gourmandise « Le Pénélope Gate « , au moment même, où le candidat François Fillon remportant la primaire de la Droite, se trouvait en pôle position pour la présidentielle française.

 

Par sa mise en examen, des magistrats ont changé le cours des élections. Ce n’est pas rien. La Justice et la Politique se sont télescopées dans un contexte électoral majeur. Une enquête menée tambour battant, presque à marche forcée, des magistrats pressés agissant sur la base d’un article de presse. L’origine de la fuite a suscité des interrogations. Dans ce cas particulier, pouvait-on parler réellement de journalisme d’investigation ? Il serait plus juste de dire qu’il était question de journalistes, gestionnaires de fuites et surfant intelligemment sur une sensibilité démocratique de citoyens encore sous le choc de l’affaire Cahuzac, et son discours sur la probité en politique que partageait, par ailleurs, M. François Fillon. On constate donc que dans cette arène politique, face à ses adversaires, le prince au pouvoir cherchera à assurer sa longévité à la tête du pays, ou augmenter ses chances de l’emporter aux élections, non pas par sa capacité à gagner à la loyale, mais plutôt par sa détermination à affaiblir, à neutraliser ses rivaux. On est bien loin du gladiateur qui remportait le combat dans l’arène grâce à son courage, à son habilité et à sa force. Place donc aux intrigues savamment montées dans des shadow cabinets avec la contribution des professeurs de Droit, des ONG, des juristes et des spécialistes de la communication. Tous détournés de leur mission première dans un Etat de Droit où ils devraient tous concourir à sa consolidation par le respect des principes et valeurs d’une société démocratique. Désormais, recrutés dans les chapelles politiques, ils manœuvrent sans cesse et mettent leurs différentes expertises au service de la politique politicienne, trompant, tripatouillant les concepts pour installer de faux débats et de la confusion dans l’esprit des citoyens. On les a vus accompagner l’action des Chambres Africaines Extraordinaires ( CAE) grâce aux interventions d’un Consortium d’agences de communication assis sur un budget de plus de 500 millions de francs CFA, se positionnant à Bruxelles, Ndjamena et Dakar; et dont l’objectif affiché et assumé, était la mise en place d’une campagne de lynchage médiatique pour anéantir la présomption d’innocence dans le cadre d’un procès pénal, mais aussi pour opérer un balisage médiatique pour une lourde condamnation.

 

La justice est ainsi quotidiennement mise au service de la politique. Force est de relever que dans l’espace françafricain : Dakar, Cotonou, Ndjaména, Niamey émettent sur la même longueur d’ondes. Partout, la volonté de vaincre sans réellement combattre, a ouvert, grandes, les portes des prisons, pour y jeter les opposants politiques. De même, la volonté de conserver le pouvoir, passe par la satisfaction des réseaux françafricains et s’il faut pour cela, jeter en prison un homme qui ne vous a rien fait, ce sera fait.

 

La prison comme châtiment aux engagements politiques du Président Habré, c’est bien sûr, le deal Paris-Dakar. Bien avant la nomination des juges des CAE, lors d’une réunion du Comité de pilotage constitué avec les Ambassadeurs occidentaux, l’administrateur des CAE, M. Ciré Ali Ba déclarait : « Le Sénégal n’a pas d’argent à mettre dans le procès Habré, sa contribution sera de mettre à disposition 14 magistrats qui continueront à toucher leur solde (et donc garderont leur lien de subordination et d’obéissance à l’autorité politique), les CAE pouvant leur donner une indemnité. Le Sénégal vous donnera ensuite un terrain pour y construire une prison. » Donc, bien avant la désignation des juges, on annonce le châtiment ; le Président Habré ira en prison ! Sceller son sort était très important pour le pouvoir au point qu’il s’y engagea avant même de commencer à réaliser ses projets nationaux les plus urgents.

 

Par ailleurs, en faisant passer ses adversaires par la case prison, que cherche un pouvoir politique? Par la prison, l’adversaire est soustrait physiquement du corps social mais aussi de la visibilité publique. Il perd ainsi son droit à l’action et à la parole. C’est un atout majeur pour le rival politique et pour la Françafrique qui souhaite donner des leçons à la jeunesse africaine dans l’affaire Habré.

 

La prison est un coup d’arrêt pour l’homme politique, privé de mouvement sur le terrain, privé aussi de sa liberté d’agir et d’échanger avec ses militants. Autrefois, cette sanction passait par une prise de corps, et on marquait l’individu au fouet et au fer rouge pour démontrer le droit de vie et de mort du prince sur ses sujets. Le silence du Président Habré, sa non-participation, sa position de refus face à la mascarade judiciaire exaspéraient, au plus haut point, ceux qui voulaient l’humilier, le détruire par ces poursuites judiciaires. N’ayant pas réussi à briser sa détermination, ils initièrent des brutalités sur sa personne, exprimant ainsi leur volonté irrépressible de s’approprier, de maîtriser son corps pour y inscrire leur domination. Dans cette guerre politique, médiatique et judiciaire, le corps du Président Habré était un trophée qu’il fallait exhiber et montrer au monde entier par l’objectif politique des caméras de la Radio Télévision Sénégalaise (RTS), faisant preuve ainsi d’une violence institutionnelle absolue. On peut souligner en comparaison, qu’aucune photo de Karim Wade plaqué à terre, en pleine salle d’audience, par les gendarmes, n’a été rendue publique! C’est dire à quel point, de simples petits détails peuvent éclairer sur l’état des droits d’une personne entre les mains d’un pouvoir représenté par un ministre de la justice plein de haine.

 

Le pouvoir politique doit désormais gérer un esprit qui dérange, et, la prison est devenue une machine à contrôler, mesurer et surveiller. Un isolement total, des caméras de surveillance, des portiques de sécurité sont partout au Cap Manuel, où est détenu le Président Habré. Seulement voilà, là où il y a abus de pouvoir, il y a des résistances. Et les affrontements et les luttes de pouvoir vont créer une articulation entre l’intérieur de la prison et l’extérieur. L’homme politique destitué de sa liberté de communiquer va essayer de transformer ce lieu de discipline, d’écrasement et de déshumanisation en un espace de résistance, en un point d’appui pour une action politique et militante, comme un levier, un instrument d’engagement et de mobilisation politique (par exemple ; les séjours d’Abdoulaye Wade en prison sous le règne d’Abdou Diouf, ou encore, récemment, le jour de la récente décision de la Cour Suprême, les militants de Khalifa Sall, Maire de Dakar en prison, se sont positionnés sur la corniche au rond point de la Cour Suprême, portant un tee-shirt avec les symboles des 100 jours de détention, et ont utilisé l’image des menottes pour les zéros du nombre 100). Une action de communication politique qui a fait mouche sur la corniche.

 

Par ces actions de résistance, l’homme politique emprisonné aura réussi à souligner les lignes de fragilité des tenants du pouvoir. La prison est un lieu où l’on cherche à dissoudre une identité, le pouvoir politique s’attaque avant tout, à l’homme et non à ses crimes vrais ou faux (qui s’intéresse à l’argent dépensé dans l’affaire Khalifa Sall?). Il est évident que la prison pour le Président Habré révèle une volonté de le priver de sa liberté de mouvement, mais aussi de le détruire tout simplement. L’homme politique en prison, par sa détermination à continuer un combat politique dans ce lieu de privation, grâce à des manœuvres politiques (visites nombreuses de militants, de chefs religieux, de comptes rendus de sa vie en détention, de lettres ouvertes), aura réussi à faire bouger les lignes, les jeux de pouvoir se trouvant brouillés, les rapports de force ne sont plus tout à fait du côté du pouvoir qui se voit forcé de travailler à une évolution (exemple : Karim vers le Qatar).

 

Tout peut alors basculer, les frontières sont mouvantes et vont contribuer à redéfinir le cadre des affrontements, car les rôles peuvent s’inverser, le prisonnier peut être applaudi et le prince fustigé (Khalifa SALL est élu député en prison). Le Président Habré est applaudi à son entrée dans la salle n° 4 du Palais de justice et à sa sortie. Les juges des CAE et les responsables de la Radio Télévision Sénégalaise( RTS) ont convenu d’extraire ces parties des vidéos du procès qui témoignaient pour l’Histoire que leurs initiatives contre le Président Habré étaient fustigées par les applaudissements de la salle. Mis en prison, privé de sa liberté, dans sa résistance, le Président Habré a, quant à lui, refusé jusqu’au bout, le jeu du pouvoir. Sa condamnation à la prison à vie par le pouvoir du Président Macky Sall troublera, pour longtemps encore, la conscience morale de ceux que la politique a rendu aveugles, au point d’avoir un trou de mémoire sur le sort d’un homme en prison depuis plus de quatre années. Le couple maudit « Justice et Politique » a enfanté la justice politique, véritable arme de répression aux mains de magistrats soumis aux pouvoirs établis.

 

Le Président français Emmanuel Macron a expliqué récemment qu’il fallait des héros en politique pour la France. Plus que jamais, nous aussi, il nous faut, en Afrique, des héros pour la défense de la Vérité, pour une fidélité à la République en respectant ses principes de démocratie, d’éthique, de justice, de développement et en combattant l’esprit de défaite devant les challenges. Pour relever un tel défi, nous Africains, devons accompagner notre quotidien d’actes à la hauteur de cette ambition que nous devons porter, nous aussi, en tant que citoyens, et pas seulement nos Chefs d’Etat.

P a r  M m e  F a t i m é   R a y m o n n e  H A B R E

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