Président de l’Institut prospective et sécurité en Europe, think tank spécialisé dans les questions de défense et de sécurité.

Créée en 1959 et réorganisée en 1974, l’Asecna réunit 18 pays (dont la France).

Investir dans les nouvelles technologies et revoir la place de la France, tels sont les moyens de moderniser la gestion du ciel africain avec, à la clé, davantage de recettes pour les États, juge Emmanuel Dupuy, le président de l’Institut prospective et sécurité en Europe.

Pour beaucoup de pays africains, recouvrer la souveraineté dans leur espace aérien est un enjeu politique crucial. Et alors que s’esquisse une potentielle sortie de la crise liée à la pandémie de Covid-19, où les besoins financiers sont importants, il s’agit aussi d’un enjeu de développement économique. Ce constat est d’autant plus vrai pour les pays entrant dans la zone couverte par l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne (Asecna).

Si la convention de Chicago du 7 décembre 1944 – qui a donné naissance à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et posé les principes pour un développement « sûr et ordonné » du secteur – reconnaît à chaque État une souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien situé au-dessus de son territoire, la réalité est un peu différente sur le continent.

Créée en 1959 et réorganisée en 1974, l’Asecna réunit 18 pays – dont 17 africains et la France – dont elle gère l’espace aérien (et les aéroports). Elle répond aussi à une partie des questions liées à la sécurité aérienne.

Collecte des redevances

Après avoir tenté, en vain, de se retirer de l’Asecna, le Sénégal a tout de même sorti tous ses aéroports secondaires de la convention en mai 2008.

Cette organisation au modèle communautaire compte donc parmi ses membres l’ancienne puissance coloniale, même si l’organisation n’agit pas dans l’Hexagone. Un héritage du passé unique sur le continent, dont on voit mal la justification actuelle et encore moins les bénéfices pour les États africains. Ce contrôle informel vise-t-il à favoriser la position d’Air France sur le continent au détriment d’une concurrence plus ouverte ?

Après avoir tenté, en vain, de se retirer de l’Asecna, le Sénégal a tout de même sorti tous ses aéroports secondaires de la convention en mai 2008. Depuis, il a en partie restauré sa souveraineté, retrouvant son autonomie dans la gestion des aéroports, bénéficiant d’une meilleure sécurité et gagnant en marge de manœuvre budgétaire.

Car, au-delà du volet sécuritaire, l’enjeu est aussi économique, l’Asecna percevant au nom de ses membres l’ensemble des redevances payées pour chaque avion utilisant l’espace aérien d’un pays. Or, en raison de défaillances dans le contrôle de l’espace aérien et de délais excessifs de collecte (entre 30 et 60 jours, parfois plus), l’organisation ne collecte en moyenne que 50 % de ce que les États africains devraient percevoir.

Pour l’espace aérien couvrant le Sénégal ainsi que la majeure partie de la Mauritanie et de la Côte d’Ivoire, les redevances moyennes étaient estimées à 12,5 millions de dollars sur 30 jours avant la crise du Covid-19. Une capacité de contrôle effectif de tous les survols pourrait les augmenter de 4,5 millions de dollars par mois et la modernisation des outils de quelque 18,5 millions, ce qui permettrait de plus que doubler le montant collecté.

Outils digitaux

En résumé : des pays dont le développement économique est fragile et dont les finances publiques sont sous pression se voient privés d’une ressource financière à laquelle ils ont droit. Pour rappel, la France a empoché en 2019 au titre de cette redevance (à laquelle s’ajoutent toutefois d’autres taxes) un montant de 1,3 milliard d’euros grâce notamment à une meilleure maîtrise des outils digitaux de collecte.

Les derniers symboles d’une relation post-coloniale mal taillée doivent tomber

Il devient donc urgent de réformer le fonctionnement actuel pour sortir d’un système établi de dépendance, s’offrir des ressources supplémentaires et améliorer l’attractivité des installations aéroportuaires africaines.

Ce changement doit passer par une réforme de l’Asecna pour optimiser ses performances, ce qui suppose de se doter d’outils numériques. Ces technologies existent déjà, développées notamment par des sociétés françaises (dont Thales) et américaines. En outre, elles nécessitent un investissement modéré au regard des gains qu’elles engendrent.

Enfin, ces solutions, dont des banques de données renforcées, sont compatibles avec le système de gestion en vigueur au sein de l’Asecna. Elles peuvent donc être utilisées en complément, si tant est que l’organisation rompe avec un certain corporatisme.

 

Alors que la sécurité aérienne ne peut se passer d’investissements dans la formation et les équipements, les derniers symboles d’une relation post-coloniale mal taillée doivent tomber. Ils empêchent des États africains de dessiner leur propre avenir et de trouver des moyens de choisir leur destin.

Tchadanthropus avec Emmanuel Dupuy

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