Si la CEDEAO a bien géré la crise malienne, difficile d’en dire autant de l’Union africaine après la mort du président Déby au Tchad. Elle n’a pas appliqué ses propres règles, pourtant très claires.
La décision du sommet extraordinaire de la CEDEAO, le 30 mai, de suspendre le Mali tout en s’engageant à l’accompagner pour bien achever sa transition allie le pragmatisme au respect des principes. En revanche, le communiqué de la 996e réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (CPS), le 14 mai 2021, sur le Tchad, semble avoir mis le pragmatisme au-dessus des principes, pourtant non antinomiques dans ce cas de figure.
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Le second coup de force opéré par le colonel Assimi Goïta, le 25 mai 2021, en démettant le président et le Premier ministre de la transition au Mali, était bien un coup d’État militaire et un cas de changement anticonstitutionnel. Le changement anticonstitutionnel de gouvernement est plus large qu’un coup d’État, qui en fait partie.
L’exemple de la CEDEAO.
Certains citoyens africains ont pu être déçus que des mesures plus punitives n’aient pas été prises contre les militaires maliens. Ceux-ci semblent avoir pris goût aux conforts du palais de Koulouba aux dépens de leur responsabilité de protéger le pays. Pour certains, la CEDEAO aurait dû insister sur le rétablissement dans leurs fonctions de Bah N’Daw et de Moctar Ouane.
Mais ses dirigeants étaient confrontés à plusieurs considérations : que faire pour sauver la transition politique et respecter sa trajectoire ? Comment faire en sorte que leurs décisions n’aggravent pas la situation sécuritaire déjà fragile dans le pays ? Quelles sanctions adopter pour maintenir la crédibilité des normes régionales sans pour autant punir les innocentes populations maliennes ?
La décision de suspendre la Mali envoie un message de fermeté aux militaires
La décision de suspendre le Mali des organes décisionnels de la CEDEAO envoie un message de fermeté aux militaires, condamnant leur coup de force et rappelant que les normes communautaires contre les coups d’État restent de mise. Cette mesure constitue le troisième degré des sanctions prévues par l’article 45-2 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance en cas d’atteinte à la démocratie dans un État-membre. L’alinéa suivant de cet article prévoit l’accompagnement du pays en question jusqu’au rétablissement de l’ordre constitutionnel.
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C’est à la lumière de ces dispositions qu’il faut comprendre l’injonction de la Cedeao pour la nomination, dans les plus brefs délais, d’un Premier ministre civil, et le respect du calendrier électoral déjà établi. Il en est de même de la décision de continuer à suivre le processus de transition. C’est justement ce suivi qui permettrait à la CEDEAO de juger de la bonne coopération des autorités de la transition ou, dans le cas contraire, de décider de durcir les sanctions à l’égard des responsables des actes de sabotage contre la bonne marche de la transition.
Prendre des sanctions.
En ce qui concerne le Tchad, un Conseil militaire de transition (CMT) s’est accaparé le pouvoir, le 21 avril, après le décès du président Idriss Déby Itno. Or, selon l’article 82 de la constitution tchadienne adoptée en mai 2018 et révisée par une loi constitutionnelle en décembre 2020, en pareille circonstance, c’est le président du Sénat qui devait assurer l’intérim de la présidence. Le Sénat n’étant pas encore opérationnel, l’Assemblée nationale représentait cette même autorité. Si son président renonçait à assurer l’intérim, il fallait se tourner vers ses adjoints par ordre de préséance. Ce schéma constitutionnel n’ayant pas été suivi, il est évident que l’action des généraux du CMT est une opération de changement anticonstitutionnel de gouvernement.
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Dans le dossier tchadien, c’est la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) qui aurait dû jouer le rôle principal. En l’absence d’une telle réaction, l’UA a dû s’impliquer au premier plan, d’autant plus que N’Djamena est impliqué dans des opérations de maintien de la paix et de lutte antiterroriste dans d’autres pays de la région.
Le communiqué du CPS salue, à juste titre, la formation rapide, dès le 2 mai, d’un gouvernement de transition dirigé par les civils. Mais l’essentiel du document s’aligne sur les engagements pris par le CMT lui-même. Or, tous les instruments pertinents de l’UA sont unanimes sur le fait de prendre des sanctions en cas de changement anticonstitutionnel, et cela n’est pas contradictoire avec l’accompagnement des autorités de la transition.
Les manquements aux principes démocratiques font le lit des coups d’état militaires et des révoltes populaires.
Pourtant, l’UA avait jusqu’ici montré l’efficacité de sa réaction face à de tels changements anticonstitutionnels. En août 2013, j’ai eu l’honneur d’accompagner, en tant que conseiller/personne ressource, le Groupe de haut-niveau de l’UA sur l’Égypte, dirigé par l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré après le coup de force des militaires égyptiens contre le gouvernement élu de Mohamed Morsi. Si les circonstances de cet événement prêtaient à interprétation, le CPS a pris la décision courageuse de suspendre le pays des organes décisionnels de l’UA. Les Égyptiens l’ont très mal pris. Mais face à eux, y compris face à l’actuel président, Abdel Fattah al-Sissi, alors puissant ministre de la Défense, le président Konaré expliquait, très diplomatiquement mais fermement, que l’UA ne faisait qu’appliquer une norme que l’Égypte avait approuvée et contribué à appliquer à d’autres pays.
Grâce à cette décision de l’UA – et c’est un des facteurs qui avaient sidéré les Égyptiens –, la Maison Blanche de Barack Obama avait retardé l’invitation de l’Égypte au premier sommet États-Unis-Afrique prévu en août 2014. Ce n’est qu’après l’élection de Sissi, en mai de la même année, et la levée de la suspension par l’UA, en juin, que le Caire a été convié à cette rencontre.
Renforcer les normes démocratiques
Que ce soit au Mali, au Tchad ou ailleurs, les organisations africaines se doivent de veiller sur l’application cohérente de leurs propres normes sur la bonne gouvernance. Celle qui concerne le changement ou le maintien anticonstitutionnels de gouvernement, qui a montré son efficacité, doit être protégée et même renforcée.
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La Déclaration de Lomé de juillet 2000, qui a inauguré cette norme à l’échelle continentale, se limite aux conditions d’accès au pouvoir et n’empêche pas les auteurs des changements anticonstitutionnels de « blanchir » leur opération à travers des simulacres d’élection. La Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance a comblé certaines de ces lacunes. En effet, son article 25-4 leur interdit toute participation aux élections organisées pour la restitution de l’ordre constitutionnel dans leur pays.
Dans tous les cas, l’UA et les organisations régionales africaines doivent veiller au respect des normes démocratiques par les gouvernants. En effet, très souvent – mais pas toujours – ce sont les manquements de ces derniers aux principes démocratiques qui font le lit des coups d’État militaires et d’autres formes de changement non-constitutionnel de gouvernement, ainsi que celui des révoltes populaires. Il en va de leur crédibilité et de la stabilité des pays du continent.

Jeune Afrique

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