Madame,

 

Je vous écris parce que j’ai entendu votre cri de colère dans l’hémicycle du Tchad.

 

En vous écrivant je voudrais m’adresser aux deux peuples de femmes tchadiennes dont les sorts sont dissemblables. Celles qui souffrent, les sans voix et celles, qui comme vous sont les privilégiées-nanties du régime.

 

Tout d’abord, permettez-moi de dédier à toutes les femmes du Tchad cet extrait que j’emprunte à la belle lettre de Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, Lettre adressée à toutes les femmes à l’occasion de la quatrième Conférence mondiale sur la femme de Beijing 1995.  « Merci à toi, femme, pour le seul fait d’être femme ! Par la perception propre à ta féminité, tu enrichis la compréhension du monde et tu contribues à la pleine vérité des relations humaines » Pape Jean-Paul II  Vatican 29 juin 1995

 

Il est bien entendu, que je ne vous connais pas. Vous ne me connaissez pas non plus. Nos chemins sont comme deux droites parallèles qui, par nos choix idéologiques et politiques, sont de nature à ne jamais se croiser puisque la géopolitique actuelle de notre pays nous distingue.

 

En revanche, une chose nous unit, Madame, nos attributs. Nous sommes nées Femmes. Nous avons les préoccupations de toutes les femmes même si certaines ont la chance d’être instruites, la chance de pouvoir se soigner, de pouvoir manger, de boire de l’eau potable et de scolariser leurs enfants. Vous et moi faisons partie de celles-là. Mais au Tchad la quasi-totalité de nos semblables n’ont pas eu cette chance. Nous devons donc avoir l’obligation morale de les défendre et de lutter pour que leurs conditions de vie changent. Cette cause vaut la peine que je vous écrive aujourd’hui.

 

Madame, la situation dramatique du malheureux peuple tchadien n’a que trop duré. Mais, « Mieux vaut tard que jamais ». En d’autres termes, il n’y a que le premier pas qui coûte. Et ce premier pas, vous l’avez fait devant vos pairs médusés. Bravo !

 

Sachez simplement que le peuple tchadien est un peuple spécialement docile et apeuré car dans aucun pays au monde, ce qui s’y passe ne durerait tant d’années. Heureusement qu’il y a toujours un début à tout et toute chose a une fin, bonne ou mauvaise.

 

Quant aux causes de votre colère, vous auriez dû y penser depuis ces dix ans. Vous avez été, et vous y êtes encore, à ma connaissance, au cœur du pouvoir pour ne pas dire au cœur du système. Pourquoi avoir gardé le silence si longtemps à propos de cette longue souffrance infligée aux uns par les autres ?

La souffrance non seulement, elle avilit mais elle est le « mal » incarné.

 

Madame Baroud, bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée dit un adage.

Aujourd’hui par votre colère vous avez, du moins, par la parole dite, rejoint les dizaines de millions de nos compatriotes mécontents, souffrants mais silencieux. Votre colère est une colère saine comme dirait une femme politique lors des élections de 2007 en France. Oui Madame, le peuple tchadien démuni, dépouillé va se fâcher plus tôt que vous ne le croyez et cela risque de faire mal.

 

Parlons entre femmes de bonne volonté et conscientes de la gravité de la situation du pays aujourd’hui, mais parlons vrai et parlons clair.

 

Savez-vous Madame, que ces femmes du peuple que vous et vos camarades du MPS invitez, lors de ces fêtes (1er décembre, anniversaire du MPS, du 8 mars fête dite la SENAFET et autres) à venir vous applaudir et admirer vos bijoux, vos boubous de luxe, vos voiles en soie à deux cent, trois cents milles voire un million de F CFA et importées de Suisse, de Chine, de Dubaï etc., n’arrivent même pas à faire manger, à soigner, à habiller et à scolariser leurs enfants ?

 

Savez-vous que ces femmes du peuple s’endettent pour se procurer ces pagnes que vous faites imprimer pour vos parades lors de ces fêtes et qu’elles sont obligées d’acheter ?

Saviez-vous que vos camarades du MPS, davantage préoccupé par leur ventre que par le sort du peule, en font leur business en majorant le prix par rapport au prix officiel fixé. Cela leur permet de s’enrichir sur le dos de ces pauvres femmes ? Le saviez-vous Madame ?

 

Enfin, savez-vous aussi que les femmes, dans certaines régions de notre pays, creusent les termitières pour prendre les graines et nourrir leurs familles ? Ces images sont diffusées partout aujourd’hui.

 

Oui, vous le savez, puisque vous dites vous-même que le quart de la population tchadienne vit agglutinée autour de la capitale parce qu’ailleurs c’est devenu invivable.

 

Madame Aziza Baroud, vous avez pris le risque de faire le premier pas. Plus jamais vous ne devez reculer, plus jamais vous ne devez-vous taire jusqu’au jour où, ce peuple qui souffre et erre dans son propre pays comme des exilés, trouve un toit, du pain (la boule chaude), de l’eau potable, accède à des soins, à une éducation et se sente en sécurité à l’intérieur de ces 1 284 000 Km2.

 

Voyez-vous Madame, faire de la politique c’est donner un sens à ce que l’ont fait. C’est être au service et non se servir. Quand on est député c’est être à l’écoute de ceux qui vous ont élu, les défendre, résoudre leurs problèmes, améliorer leurs conditions de vie……

 

Un élu à une mission de relations sociales. Il est l’interface entre l’Exécutif et le Peuple. La question de l’organisation de la cité, de l’évolution des conditions de vie, de dialogue social doit occuper en permanence une place prépondérante au cours de son mandat et permettre la bonne gouvernance.

 

C’est à travers le dialogue social qu’un gouvernement compétent et responsable, qu’un mouvement politique au service des citoyens peut puiser des idées pour une co-construction d’une Nation juste, équitable et durable au service du peuple.

 

Comme vous le dites si bien, le refus délibéré de dialogue, la déficience de la bonne gouvernance, le manque de justice socio-économique, l’immoralité, la perversion et la gabegie des responsables politiques au haut niveau sont aujourd’hui les principales sources des frustrations qui vont se transformer en violence. Vous-même, vous dites que le compte à rebours a commencé. Je le pense aussi. Le ventre mou de l’Afrique qu’est notre pays, va exploser. Un nouveau désordre va s’ajouter aux désordres déjà existants tout autour.

 

Il est donc préférable, voire courageux, Madame Baroud, d’agir même tardivement que de se complaire. Ce serait la pire des solutions.

 

Je vous exprime ici par cet écrit mes encouragements. La révolution que vous appelez de vos vœux, ne s’improvise pas, elle se prépare et s’organise.

 

Je vous prie de croire, Madame, à l’assurance de ma considération distinguée.

 

 

Marguerite-Odile Kabatchang

Octobre 2016

Lettre à Aziza

 

 

 

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