Mademoiselle Salma Khalil Alio, vous êtes une jeune auteure et caricaturiste,photographe d’origine tchadienne. Et fille d’un professeur de l’université, qu’un grand nombre de personnes à travers le monde salut ses compétences dans l’enseignement supérieur. Notre rédaction, vous remercie infiniment d’avoir accepté cette interview, essentiellement orientée sur votre rôle  d’artiste en général et sur votre pays le Tchad. 

1-Nous reconnaissons que Salma Khalil Alio est bien connue par beaucoup de Tchadiens ou autres à travers ses œuvres d’art et pour son intelligence.Maisnous estimons tout de même que certains de nos lecteurs ne vous connaîtront pas facilement sans une présentation précise de vous-même . Qui êtes vous Salma Khalil Alio?
 
Salma Khalil Alio- Je suis une artiste polyvalente. Je peins, j’écris, photographie et dessine. Je coordonne aujourd’hui l’association positive qui lutte pour l’éducation de la femme par l’art et je dirige mon entreprise de graphisme et d’infographie appelée Zarlinga. 

2-Actualité oblige.Vous savez certainement plus que notre rédaction basée en France, loin du Tchad, que les autorités de votre pays ont annoncé depuis plus d’un mois, des difficultés financières ou une crise financière très pointue. D’après elles, cela pourrait être due  à la baise des cours du pétrole au niveau mondial. Comment réagissez-vous en tant que citoyenne d’une part et artiste d’autre part?
 

S.K.A– parlant de la crise financière au Tchad, je souhaite tout simplement dire que le mot n’est pas approprié. Le Tchad est un pays riche. Il regorge des fils et filles intelligents, se repose sur des ressources naturelles telles que l’or, le pétrole, le fer, etc. Nous avons aussi de la terre pour développer l’agriculture. A mon avis la baisse de cours de pétrole ne doit pas forcément impacter notre économie. C’est assez curieux que parmi de nombreux pays pétroliers et parfois engagés dans des guerres, nous soyons l’un des rares à vivre une crise. Ce n’est pas de la crise. C’est juste l’émergence des résultats d’une mauvaise gestion de biens publics. De point de vue artistique, je vois les choses telles que je les ai illustré sur ma page facebook.

3-Vous y croyiez à cela?

S.K.A– Croire à cela, revient à accepter la mauvaise gestion.

4-En réalité,si crise financière existe au Tchad, pourriez-vous nous dire la vraie cause,avec le regard d’une artiste écrivaine et caricaturiste, gardienne du patrimoine culturel tchadien comme votre cas?

S.K.A– La crise au Tchad ne devait pas arriver si seulement nous avions des dirigeants soucieux du développement de leurs pays, de la prospérité de leur peuple et de la grandeur de la patrie. Le mot développement est malheureusement employé plus dans la bouche, les discours que sur le terrain.

5-Nous y reviendrons plus tard sur la politique de votre pays.Vous êtes artiste peintre(depuis 2005),Photographe de la presse(depuis 2007),caricaturiste(depuis 2003),étudiante, écrivaine,employée dans une entreprise de la place ect. Cela ne fait-il pas trop de charge pour vous, une jeune demoiselle ?
 
S.K.A–Exact! Cela constitue une charge énorme. Heureusement je suis bien entourée. J’ai une famille qui m’aide beaucoup. Une employeur qui est présente et attentive et j’essaie tant bien que mal de mieux m’organiser. Toutefois j’avoues que parfois je suis dépassée. Il faut souvent se surpasser et aller au-delà de ses limites pour réaliser de grandes œuvres.

6-Alors, être artiste de nos jours ,c’est quoi pour vous ? 

S.K.A– Etre artiste de notre jour, c’est être avant tout un acteur de développement et acteur de la créativité. Un artiste est celui-là qui utilise ses connaissances artistiques pour transmettre des connaissances, d’éduquer et d’éveiller les consciences.

7-Vous êtes polyvalente dans son vrai sens du terme. Quelle définition, nous donneriez-vous à ce que vous abattez comme travail ou boulot ? 

S.K.A – Je travaille plus dans l’art pictural.Il s’agit d’une discipline qui consiste en l’illustration et l’illustration à elle seule, quand elle est bien faîtes, résume autant de mots. 

8-En lisant ce que vous diffusez en tant qu’informations sur votre espace facebook, il y a de cela une année.Vous avez écrit:" je suis Salma,je resterai toujours une fille noire de peau".Pourquoi dites-vous cela?

S.K.A– Parce que c’est ce que je suis. Il s’agit d’une caractéristique de mon identité physique dont je suis fière. Dieu a créé chacun de nous avec sa couleur et elles sont toutes belles. Malheureusement certains ne sont jamais satisfaits. Un jour quelqu’un a dit que « vous les femmes noires au Tchad, bientôt on vous cherchera dans les musées ». Cela exprime la valeur du naturel. Etre noir, c’est l’acceptation de soi dans un monde où nombre de mes semblables cherchent à ressembler à des stars hindous, orientales ou occidentales.

9-A quel public adressez-vous vraiment ce message? 

S.K.A– je m’adresse à un public qui lit, qui cherche à s’informer et qui est avide de connaissances.

10-Michael Joseph Jackson, né le 29 août 1958 à Gary (Indiana) et mort le 25 juin 2009 à Los Angeles (Californie), est un chanteur, danseur-chorégraphe,auteur-compositeur-interprète acteur et réalisateur américain.Beaucoup de gens disent qu’il a changé de couleur de peau en devenant blanc comme un occidental, lui qui est pourtant né d’une famille afro-américaine.En quoi cela est bien utile de garder la couleur de sa peau,surtout lorsqu’on est né noir africain,comme votre cas actuellement? 

S.K.A– Il est important de garder sa couleur dans la mesure où elle traduit l’état de notre esprit. Chercher à ressembler à l’autre coûte que coûte revient d’abord à se rabaisser, ensuite à refuser son identité et à rejeter sa personne. C’est juste triste. Michael Jackson a justifié le changement de sa couleur par le fait qu’il souffrirait du vitiligo. Mais cela ne justifie pas malheureusement le changement de sa texture de ses cheveux et le raffinement de son nez.

11-Salma Khalil Alio a écrit et a réussi à publier plusieurs romans ou autres.Mais nous ne savons pas ce que vous avez déjà eu à publier dans le passé. N’est-il pas l’occasion de le faire savoir à nos lecteurs nationaux et  internationaux? 

Salma Khalil  Alio– Oui, J’ai fait publier mon recueil de poésie, "passion de la pensée" en 2004, et des nouvelles parues sur des publications collectives faites par les réseaux de CALF au Tchad grâce à l’appui de l’ambassade de France au Tchad. Parmi eux, il y a "liaison prohibée, comme si le veuvage ne suffisait pas" (Recueil de nouvelles francophones du Tchad, aux vents des aléas de la vie, 2011), "Sans voix, périple sur la reine du Guéra", (Recueil de nouvelles francophones du Tchad, "Couleurs de l’existence", 2015).

12-Pourquoi  avez-vous d’ailleurs décidé de vous lancer dans l’écriture? 

S.K.A– J’ai toujours aimé l’écriture. Je suis entourée d’une mère qui rédigeait des contes et d’un père qui écrit et lit beaucoup. Je me rappelle avoir demandé un jour à mon père si je pourrais devenir un jour un homme pour pouvoir écrire des livres.Il m’a répondu que je n’ai pas besoin de devenir un homme pour être écrivaine et que la femme aussi est capable de tout faire. J’écrivais des contes depuis mon plus jeune âge. Je les illustrais et les partageais avec mes amis de l’école et plus tard au lycée. C’était très apprécié. A l’époque notre Facebook s’appelait" la photocopie". 

13-Comment réussissiez-vous à vous faire publier et dans quelles maisons d’éditions? 

S.K.A– La poésie a été faîtes par les éditions "Le manuscrit". Quant aux recueils de nouvelles,elles sont publiées par le CALF, mais elles sont par ailleurs imprimées localement. 

-14-D’ailleurs,c’est quoi être écrivaine pour vous, Salam Khalil Alio? 

S.K.A– Etre écrivain c’est être le reflet de la société. De parler de son bonheur, de ses malheurs, des choses qui minent notre existence. Parler de ces choses mais de façon originale,car chacun à sa façon de s’exprimer. 

15-Dans une publication récente sur votre espace Facebook,vous avez affiché des dessins animés parlant de la vie de votre région le Guéra. Pourquoi faites-vous cela?
 
S.K.A–Parce que c’est une belle région avec de beaux paysages. Une région multiculturelle que j’appelle le mini-Tchad(ou Miniature-N.D.L). Une région qui regorge des frères et ses soeurs de différentes religions qui enrichissent déjà une région préalablement riche en cultures.

16-Quel message avez-vous voulu adressé à tous vos correspondants ou autres?

S.K.A- La vie peut paraître parfois très dure, mais caduque. Mais tout peut changer si l’on investit des efforts. Quand on est déterminé et quand on croit en soi. Il n’y pas de la magie, mais du travail bien fait. Je transmets un message positif. Des possibilités qui naissent des efforts conjugués. 

17-D’après ce que nous avons appris de certaines personnes,votre mère cache des talents d’artiste de qualité exceptionnelle. Votre grande soeur Mounira Khalil Alio (Mitchala) est artiste chanteuse, sans oublier votre petite soeur Bouchra qui chante aussi souvent.Un de vos frères est caricaturiste comme vous.Que dire de tout cela ?

S.K.A– Cela veut dire que nous constituons une famille qui cultive l’art de l’expression. Et chacun de nous s’exprime à sa façon. D’ailleurs nous discutons beaucoup culture et géographie en famille. Et c’est passionnant.

18-L’art s’apprend-t-il uniquement ou bien parlera-t-on aussi d’un don?

 S.K.A– L’art peut être inné, mais aussi acquis.

19-Quel est le niveau de vie d’un artiste tchadien?

S.K.A– Il est modeste et difficile en général.

20-Et vous, vivez-vous de votre travail d’artiste? 

S.K.A– Oui, je vis de mon art. Mais cela a été un long processus avant d’en arriver là où je suis. 

21-Salma est photographe ou chasseur d’images:vrai ou faux? Et comment et pourquoi avez-vous décidé d’être aussi photographe?

S.K.A–J’ai épousé la photo pour saisir des instants afin de les convertir en peinture. J’aime les aquarelles et j’aimerais qu’elles traduisent fidèlement la vie tchadienne. Mais pour cela il faut réaliser des photos. Mes propres photos. Mais plus tard j’ai compris que la photo est une véritable arme d’expression et aussi un témoin fidèle des faits de sociétés. Les photos bien faites participent en général à l’amélioration des conditions humaines.

22-Etre photographe et caricaturiste en tant que femme ou jeune fille dans un pays dominé par un regard musulman ou chrétien. Est-il facile de le vivre au Tchad? 

S.K.A–Non, les regards religieux ne m’ont jamais posé des problèmes. Au contraire pour un pays qui cherche à développer le tourisme, il faut rendre la photographie flexible. Au Tchad ce n’est pas le cas,car tu peux te faire arrêter en photographiant dans la rue et c’est triste. Beaucoup d’expatriés me disent « mais il est difficile de faire des photos chez vous ». Alors que moi, je n’ai jamais eu des problèmes de réaliser des photos chez eux.il faut se rendre à l’évidence que la photographie faites dans les rues est l’un des meilleurs publicités gratuites pour le tourisme. Encourageons-la.

23-Revenons à la politique de votre pays.Depuis plus d’un mois on parle de la suspension définitive des bourses d’étudiants vivant à l’intérieur du Tchad.Dites-nous honnêtement, comment avez-vous réagi à cette nouvelle, vous la fille d’un professeur de l’université et étudiante aussi? 

S.K.A– Les bourses représentent une infime partie du budget annuel de l’Etat. Bref c’est un investissement à long terme. J’aurais souhaité plutôt que le pouvoir public revoie en baisse les prix des loyers de certains établissements public installés dans les villas au lieu de supprimer la bourse. Ici il est question d’éducation. Et entre l’éducation des futurs cadres du pays et le profit d’un particulier, le choix est clair. 

24-L’Etat  n’a pas suspendu les bourses des étudiants tchadiens faisant leurs études à l’étranger.Or,apprend-ton que la majorité de ses étudiants sont issus des familles riches collaborant avec le régime actuel de N’Djaména ou directement des étudiants issus du clan du président Idriss Deby Itno. N’est-il pas de l’injustice de ne pas pouvoir suspendre leurs bourses comme ils l’ont déjà fait avec des étudiants de l’intérieur? 

S.K.A-Je n’ai pas la connaissance des étudiants tchadiens vivant à l’étranger. Et j’ignore non plus s’ils bénéficient de bourses d’études ou non. Mais je souhaite que l’Etat puisse rétablir cette bourse, car elle est vitale. Qu’il étudie l’étranger ou au pays, un étudiant tchadien reste un étudiant tchadien. Nous sommes égaux et devons être traités de la même façon. On doit cultiver l’excellence et l’encouragement au lieu de la frustration et la déception.

25-Dernière question.On a l’impression que la femme tchadienne observe encore d’un regard éloigné ce qui se passe au Tchad sans aucune réaction.Alors que, dans des pays comme le Maroc, le Sénégal , le Burkina-Faso etc,la femme était et est au centre des soulèvements ou des contestations politiques.Que se passe-t-il réellement dans la tête de la femme tchadienne face l’incapacité notoire du gouvernement tchadien a dirigé le Tchad ,comme ailleurs sous d’autres cieux? 

S.K.A– Le Tchad est un pays qui se relève des cendres de la guerre. Et les femmes ont beaucoup payé de cette triste histoire .Aujourd’hui encore elles sont touchées par la pauvreté et croulent sous les poids de la tradition. Mais nous ne devons pas contribuer à pleurer notre sort. La situation change, mais dans l’ombre. C’est déjà une bonne chose. Les femmes tchadiennes s’impliquent davantage dans la politique, les sociétés civiles. Il y a celles qui changent les esprits et qui impactent nos sociétés. Je suis positive quant à l’amélioration de l’engagement des tchadiennes dans la politique.

                       
Propos recueillis le 24/10/2016  par le journaliste Ahmat Zéïdane Bichara.  

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