N’Djaména, le 5 aout 2016

                                                                      A

              Madame la Présidente de la Haute Cour de Justice

 

Objet : Plainte en Haute Trahison contre Idriss Déby Itno, Président de la République, Chef de l’Etat du Tchad.

 

Madame la Présidente,

Par la présente,

Nous attrayons devant votre auguste instance, le Sieur cité en objet en application des pertinentes dispositions de notre Constitution, de la loi organique relative à la Haute Cour de Justice et du règlement Intérieur de ladite Cour.

En effet, aux termes de l’article 173 de la Constitution, « la Haute Cour de Justice est compétente pour juger le Président de la République et les membres du Gouvernement ainsi que leurs complices en cas de haute trahison ». Le même article définit la haute trahison comme « tout acte portant atteinte à la forme républicaine, à l’unicité et à la laïcité de l’Etat, à la souveraineté, à l’indépendance et à l’intégrité du territoire national ».  Y sont assimilés «  les  violations graves et caractérisées des droits de l’homme, les détournements des fonds publics, la corruption, la concussion, le trafic de drogues et l’introduction des déchets toxiques et dangereux en vue de leur transit, dépôt ou stockage sur le territoire national ».

Les mêmes dispositions ont été reprises par la loi organique No 005/PR/2000 du 10 mars 2000 et la loi organique No 021/PR/2009 du 05 août 2009 portant amendement de la première.

En application des dispositions de ces différentes lois, nous considérons que le Président Idriss Déby Itno, depuis sa prise de pouvoir en décembre 1990 s’est régulièrement rendu coupable de faits prévus et punis par nos textes. Nous n’en citerons que quelques uns:

1-   

La prise et l’exercice du pouvoir par les armes et/ou la violence :


Dans une République, le pouvoir s’acquiert par les urnes. Déby est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat et s’y maintient depuis par la violence comme lors de la dernière élection présidentielle qui s’est déroulée sous un état de siège de fait avec le quadrillage du pays par les forces de défense et de sécurité.

Le 10 avril 2016, en effet, une ultime expression de cette forme de gouvernance s’est produite avec le vol des voix du vote des citoyens. Des complices du président Déby à la CENI et au Conseil Constitutionnel sont aussi poursuivables.

A l’occasion de la dernière élection présidentielle d’avril 2016, des éléments des forces de

défense et de sécurité ont été arrêtés, embastillés puis emprisonnés avant d’être libérés, pour certains, après plusieurs semaines, tandis que d’autres sont portés disparus, parce que soupçonnés d’avoir voté pour des candidats de l’opposition. En sus d’être une grave et inadmissible violation des droits de l’homme, il s’agit bel et bien d’une violation de la Constitution qui prescrit le caractère sacré, secret et inviolable du scrutin. C’est ici également le fait de la redoutable garde prétorienne du Président Déby.


2-La violation de la laïcité de l’Etat
 :


Les principales religions du pays prennent le pas sur l’Etat. En contrepartie de leur instrumentalisation politique par Idriss Déby, les religions chrétiennes et musulmanes sont devenues de vrais pouvoirs dans l’Etat  et bloquent la prise des actes par les institutions républicaines à l’exemple du code pénal, du  code de la famille et des personnes dont les projets sont en souffrance depuis des années sans que le prétendu garant des institutions ne s’en émeuve outre mesure.


3-Les violations graves et caractérisées des droits de l’homme
 :

 
Ici le bilan d’un quart de siècle de règne de Déby est très lourd. La première trahison de Déby a été la totale impunité accordée aux anciens tortionnaires de la tristement célèbre DDS. Alors qu’une enquête conduite par ses propres soins a établi dès mai 1992 la responsabilité des auteurs des 40 000 crimes commis sous Hissein Habré, Déby s’est refusé obstinément à engager les poursuites nécessaires contre ceux-ci. Mieux, tous ont repris du service au sein de sa nouvelle police politique et dans toute l’Administration publique. Il a fallu toute la pression nationale et internationale pour qu’il accepte 25 ans plus tard en 2015 d’ouvrir un procès à N’djaména et conduit dans des conditions professionnelles et de transparence discutables. Il s’est ensuite refusé à tout transfèrement des témoins et complices du dictateur Habré à Dakar au motif injustifiable que le Tchad ne peut extrader ses propres ressortissants alors qu’il s’agit non pas d’un tribunal Sénégalais mais Africain mis en place avec son accord par l’Union africaine. Toutes ces manœuvres n’avaient d’autre but que de couvrir sa propre responsabilité évidente dans les crimes du Régime Habré.


Par ailleurs et dès le lendemain de sa prise de pouvoir, Idriss Déby s’est illustré dans  de massives violations des droits humains par des assassinats ciblés ou collectifs. Il en fut ainsi de Me Béhidi, Président de la ligue Tchadienne des droits de l’homme, de MBailao Mianbé du service de réinsertion de l’Armée. Profitant d’un prétendu coup de force de son adjoint Maldom Bada Abbas en 1991, tous les Hadjarai du Guéra ou d’ailleurs le paieront de leur vie. Il en sera de même  des membres de la communauté Ouaddaienne à Abéché, Gninguilim et N’Djaména en 1992. La même année et profitant d’une incursion des rebelles du MDD dans la région du Lac, des cadres civils de la région et du parti RDP dont Bisso Mamadou ont été lâchement assassinés à leurs domiciles. Le même sort sera réservé plus tard à  Abbas Koty et Bichara Digui, puis Mahamat Guetty… Ces différents crimes de sang ont été commis par la Garde Républicaine rebaptisée DGSSIE en 2005.


En 1993, des populations civiles du Logone Occidental et du Logone Oriental sont violemment réprimandées avec  des centaines de morts au motif que deux de leurs enfants étaient en rébellion. Arrêtés plus tard, les deux chefs rebelles, Ketté Nodji Moise et Laokein Bardé Frisson ont été eux-mêmes lâchement assassinés sans un procès. En 2008, des éléments du FUC rentrés dans le cadre d’un accord de paix ont été arrêtés et depuis portés disparus.


En Février 2008, profitant d’une incursion rebelle à N’Djaména, la Garde présidentielle a procédé à l’arrestation et à la séquestration de plusieurs leaders de l’opposition. Certains ont été relâchés après plusieurs semaines de séquestration et de torture. D’autres, à l’exemple d’Ibni Oumar Mahamat Saleh, sont portés disparus et tout porte à croire qu’ils ne sont plus de ce monde. Alors que les auteurs de ces forfaits sont identifiés par une commission d’enquête, un simulacre de procès s’est soldé par un classement sans suite du dossier.


4
L’exportation illégale des forces armées :


La garde présidentielle a été déployée clandestinement auprès des rebelles de Sassou Nguesso contre Pascal Lissouba à Brazzaville en 1997, sans autorisation de l’Assemblée Nationale. Il en fut également ainsi en 1998  en RDC en soutien aux éléments de Kabila, qui aurait coûté la vie à plus de 500 soldats tchadiens. C’est encore l’armée tchadienne qui a porté au pouvoir en mars 2003 le Général Bozizé en renversant le président légitime, Ange-Félix Patassé. Pour tous ces faits, Déby a trahi la nation Tchadienne par des actes de terrorisme et de mercenariat hors du territoire national. Les produits de ces expéditions n’ont jamais été enregistrés au trésor public, faisant de notre armée une société de sécurité privée.


Aujourd’hui, 1486 éléments de nos forces de défense et de sécurité officient hors du territoire sous la bannière des Nations Unies au Mali. Leur paye de 1400 § par mois et par individu, les indemnités de blessés et morts ainsi que le remboursement par l’ONU du matériel utilisé sont largement détournés pour alimenter les comptes privés de Déby.


En sens inverse, nous accusons également le sieur  Déby d’avoir trahi le pays en recourant aux forces étrangères pour réprimer son peuple et  se maintenir au pouvoir. L’alliance avec le MJE du Darfour participe de cette logique car aucun accord de défense ne lie le Tchad au Soudan et moins encore à cette formation rebelle. L’utilisation des mercenaires, de surcroit contre son propre peuple est le pire des crimes.


5-Les détournements de fonds publics, la corruption et la concussion :


Notre pays figure en haut du registre des pays les plus corrompus de la planète. Le nom de notre Président a défrayé la chronique devant les tribunaux étrangers à propos des faux dinars de Bahreïn imprimés en 1998 à hauteur de 300 millions d’euros qui auraient transité par le Tchad…


On se rappellera aussi que c’est Déby qui a honteusement vendu le poste d’ambassadeur du Tchad à l’Unesco à un Libanais, Ahmed Zeidane, contre une modique somme  de 70 000 000 de FCFA.


Depuis de nombreuses années, l’essentiel des ressources nationales et de la coopération internationale vont dans les infrastructures. Mais loin de produire des ouvrages de qualité, ce département est devenu une pompe à sous pour renflouer les caisses privées contre des réalisations de complaisance  qui cèdent au moindre coup de vent (raffinerie de Farcha) ou se dégradent dès le premier usage (comme les routes réalisées par la SNER). Et comme si toute cette prédation à ciel ouvert ne suffisait pas, Déby a créé une Direction des Grands Travaux dits présidentiels dont la gestion confiée à ses propres enfants n’est soumise à aucune reddition des comptes. Ici plus qu’ailleurs, les commandes ne sont soumises à aucune règle des marchés publics. Réalisés sur financement public, les ouvrages sont destinés à la propagande électorale de Déby le mécène. Ce super Ministère implanté au cœur de la Présidence est en fait une véritable caisse noire qui paie des salaires fictifs aux membres de la famille et finance des bourses de formation aux enfants du clan.


6- Le problème particulier des ressources minières et pétrolières :


Qu’est devenue la mini raffinerie de Sédégui ? Cette usine n’ayant toujours pas été construite, que sont devenues les ressources dégagées pour sa réalisation ? L’on pourrait tout aussi légitimement s’interroger sur l’or découvert dans le Tibesti et le Batha, qui a suscité beaucoup d’espoir au sein des populations. Des cas plus concrets de gaspillage sont relevés comme suit :

a)   Dans le cadre de l’exploitation du pétrole de Doba, la loi a prévu que 5% des ressources tirées de cette richesse soient reversés à la région productrice. Il s’agit alors d’une ressource locale à gérer par les élus locaux. Malheureusement, un double mécanisme de détournement a été mis en place en vue de la détourner :

Ø Les fonds sont transformés en crédits budgétaires soumis à l’autorisation annuelle de l’Assemblée nationale, et à la pratique d’annulation de ces crédits. Les fonds non utilisés d’une année ne sont pas reportés au profit des populations de la région productrice.

Ø
Le principe est que la gestion des fonds appartient aux populations à travers leurs élus. Mais c’est un service public créé par décret qui substitue l’Etat aux collectivités locales intéressées. A la place des élus, ce sont des fonctionnaires et souvent des proches du Président de la République qui jouent le jeu des détournements à travers l’intervention obligatoire du Président de la République dans l’approbation des marchés. Aujourd’hui que le Tchad est entré dans la  production en s’endettant auprès de Glencore, quel est le sort de la région productrice étant entendu que sa part est également mobilisée pour le désintéressement de l’emprunteur ?


En conclusion, les fonds des 5% sont gaspillés par l’Etat au détriment des populations. Un audit du compte des 5% à la City Bank à Londres donnera l’ampleur de ces gaspillages imputables à Déby.  Et rien n’indique que cette somme ait été régulièrement et intégralement versée dans les comptes dudit organe de gestion.

 

b-   Les détournements les plus patents des revenus pétroliers peuvent être cités :

c-    Des transactions des parts du consortium détenues par Chevron ont donné des chiffres dont la concordance pose problème. Il a été noté que les 25% de Chevron ont été cédés à 1,450 milliards de dollars. Or, des transactions enregistrées moins d’une année auparavant ont établi 5% de ces transactions à 191 milliards de dollars. Où est partie la différence dans ces transactions ? L’opération a entrainé la saisie apparente des revenus pétroliers depuis le début de 2016 

d-   Les autres opérations de détournements :

1-   L’immortalisation de la mémoire du premier président de la République Ngarta Tombalbaye. Une somme de 150 000 000f a été décaissée par le Trésor, mais aucune réalisation n’a été effectuée. Cette somme a disparu entre le Gouverneur qui l’a effectivement perçue et le président Déby qui l’a ordonnée.

2-   Le prêt chinois de deux milliards de dollars contracté en août 2011, puis annulé en 2013 en violation de la Constitution. C’est un certain Hassane BORGO, Soudanais de son état, qui a été nommé pour gérer ce prêt.

3-   Les nombreux fonds créés uniquement comme caisses noires du Régime : des parents et autres thuriféraires sont nommés à la tête de ces fonds. Beaucoup de ceux qui les dirigent aujourd’hui sont des repris de justice qui ont été poursuivis pour des malversations des deniers publics. Il s’agit entre autres de : FER, FONAJ, FNDS, CNPS, CNRT, BNF…


7-Des opérations de bradage du patrimoine public :


Au rang des crimes économiques, il y aussi le scandale de l’Huilerie-savonnerie de COTONTCHAD qui a été privatisée et rachetée par les pontes du régime sur les propres ressources de cette unité industrielle. Pour d’obscures raisons, l’entreprise a été restituée à l’Etat mais après indemnisation injustifiée des acquéreurs irréguliers.


C’est cette même démarche qui a prévalu récemment à travers la privatisation du service d’établissement des documents d’identité, restitué à l’Etat après une forte compensation. Il en a été de même de la société de gestion au sol de l’aéroport de N’Djaména.


Que dire enfin du bradage des domaines immobiliers de l’Etat ? Ici la rapacité de Déby et de sa famille a été sans limites. Par l’entremise de ses Ministres des affaires foncières successifs et sur les conseils avisés des cabinets notariaux  de la place, des domaines de l’Etat sont passés sans procédure au domaine familial. Des transferts fantaisistes de titres fonciers ont été opérés sans vergogne. Il en est ainsi également de l’accaparement des terres rurales par les généraux de Déby.


En décembre 2008, Déby a signé un décret attribuant 20 000 hectares de terre à titre gracieux à la société Libyenne Lafico  dans la région de Bongor. La mise en exécution du décret consacre de fait la disparition de deux cantons Bongor et Tougoudé. Au même complice, a été attribué le vaste terrain de l’hippodrome de N’Djaména dans des conditions de légalité inacceptables, car sans aucune réciprocité.


8- En conclusion :


C’est pour toutes ces raisons que nous considérons que le Sieur Idriss Déby Itno, en sa qualité de Chef de l’Etat et Président de la République a gravement trahi son pays et son peuple par la violation des lois et règlements  dont il est pourtant constitutionnellement le garant.


Nous rappelons que les dispositions du préambule de la Constitution de la République nous donnent le droit et le devoir « de résister et de désobéir à tout individu ou groupe d’individus, à tout corps d’Etat, qui prendrait le pouvoir par la force ou l’exercerait en violation de la Constitution » et marquons notre « opposition totale à tout régime dont la politique se fonderait sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, la corruption, la concussion, le népotisme, le clanisme, le tribalisme, le confessionnalisme et la confiscation du pouvoir ».


En conséquence,


Nous, signataires de la présente, demandons à Votre Haute Cour de déclarer le Sieur Idriss Déby Itno coupable de haute trahison et de lui indiquer de se décharger sans délai de ses actuelles charges pour permettre au Tchad de se doter d’un nouveau Président de la République.

(La liste des plaignants est jointe en annexe)

 

 

 
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