Devant la salle des Criées, au palais de justice de Paris, un cameraman dort, tête renversée contre le bois des augustes bancs, sa caméra sur le trépied, au cas où. Au cas où les plaidoiries de la défense, lors de cette dernière audience du procès des biens mal acquis, prendraient fin, enfin. « Ne rêvez pas, jamais Teodorin ne passera une minute en prison en France, jamais ! » martèle rageusement un homme en costume noir. Son interlocuteur, chemise bordeaux, lunettes et sourire inquiet, soupire : « Mais comment ils ont ouvert un procès sans preuve ? Ils doivent en avoir qu’ils n’ont pas montrées ? » L’un est le garde du corps de l’ambassadeur de Guinée équatoriale, l’autre est Delfino Makake Massolo, journaliste opposant exilé à Madrid. Il tente de convaincre l’autre : « Tu sais bien que ce procès ne pourrait jamais avoir lieu là-bas, c’est pour ça que c’est important. » Le ton monte, ils s’invectivent, mais jettent des regards prudents vers les gendarmes. Tout le procès est là. Des esprits aussi échauffés que Paris, des plaidoiries qui traînent en longueur, des coups de théâtre, comme ce jour où un mercenaire, Simon Mann, a accusé Me William Bourdon, avocat de Transparency international, d’être lié à une tentative de déstabilisation de la Guinée équatoriale. Et des preuves faiblardes.

Dernière audience

Pour cette dernière audience, la défense a continué à plaider l’« ingérence dans les affaires d’un État souverain », dans un procès qu’elle présente toujours comme politique. Maître Emmanuel Marsigny l’assure, « les clients que nous assistons et un très grand nombre de juristes nous disent que nous sommes fous. Elle est bien difficile à expliquer, cette position : appliquer le droit français sur ce qui s’est passé à l’étranger, tout en ignorant ce qui s’est passé à l’étranger ». Teodoro Nguema Obiang Mangue, « Teodorin », 48 ans, fils du président Teodoro Obiang, ancien ministre de l’Agriculture et des Forêts bombardé vice-président, est jugé pour blanchiment d’abus de biens sociaux, de détournement de fonds publics, d’abus de confiance et de corruption. « Ce qui est en cause, c’est le blanchiment, avait affirmé le représentant du Parquet national financier, Jean-Yves Lourgouilloux, lundi.

En matière de délinquance économique et financière, le plus dur, ce n’est pas de détourner l’argent, mais d’en profiter en toute impunité. L’ingéniosité développée par les grands délinquants concerne moins la manière de détourner l’argent que celle de l’utiliser. » Il avait requis une peine de trois ans de prison, 30 millions d’euros d’amende et surtout, la confiscation des biens saisis pendant l’enquête, pour plus de 100 millions d’euros. Jean-Yves Lourgouilloux avait évoqué la collection de voitures de luxe et de course, pour 7,4 millions d’euros – « bon, on a une Peugeot, mais à 60 000 euros quand même » –, l’hôtel particulier, « acheté 25 millions d’euros et estimé à une centaine de millions d’euros aujourd’hui », les achats chez Dubail, qu’il n’est pas sûr de bien prononcer, tant il est peu familier du joaillier. « Mais le plus dur a été de compter les chaussures et les costumes de luxe qui correspondaient, par hasard, aux caractéristiques de M. Obiang », ironisait-il, concluant sur les « dépenses somptuaires, pour plus de 150 millions ».

Discothèque

Teodorin n’a jamais gratifié la cour de sa présence, au grand regret de Me Lourgouilloux, qui estime qu’une expertise psychologique aurait pu constituer un argument de défense : « On a l’impression qu’on est face à quelqu’un qui a du mal à accepter la frustration. Je peux taper dans la caisse autant que je veux. » En revanche, le prévenu a suivi le procès, qu’il a qualifié de « mascarade qui ne répond à aucune procédure légale », de « montage contre le gouvernement légal de la Guinée équatoriale » et pourquoi pas, « contre l’Afrique ». En dépit de la morgue affichée, le réquisitoire a dû le chiffonner assez pour que l’ambassade distribue un communiqué anxieux aux journalistes : « Le gouvernement de la République de Guinée équatoriale exprime sa très vive préoccupation quant à la position du procureur de la République de Paris… qui a requis la confiscation de l’immeuble situé au 42, avenue Foch abritant la mission diplomatique de la Guinée équatoriale. » Et de citer la « protection et inviolabilité de l’immeuble suscité ». Lorsque les perquisitions ont commencé, une plaque a été apposée sur le bâtiment, le signalant comme ambassade. Cela n’a pas convaincu Jean-Yves Lourgouilloux, qui a rappelé qu’on n’y avait trouvé « aucun objet qui le rattacherait à une activité diplomatique » et qu’il était particulièrement rare qu’on trouve, dans une ambassade, une discothèque…

Coquille vide

Peu importe, pour la défense, celui que William Bourdon a appelé un « petit Ubu-roi de carnaval et de casino » n’a rien fait d’illégal. « Avec un revenu annuel estimé, même en étant généreux à 100 000 euros, il aurait investi un millénaire de revenus officiels en France. Ou alors c’est l’homme d’affaires le plus performant de la planète, qui aurait perçu 100 millions d’euros en plus de son emploi de ministre, de manière légale », avait calculé Jean-Yves Lourgouilloux. Et alors ? demande la défense. « Dans son pays, il a le droit d’être ministre et d’avoir des contrats », selon Me. Marsigny. La majorité des dépenses aurait été effectuée par le biais de la société d’exploitation forestière Somagui Forestal, « coquille vide », d’après Me Lourgouilloux, « qui ne sert qu’à faire transiter de l’argent public » et à collecter un « impôt révolutionnaire ». Après une audience, Roberto Berardi, ancien associé italien de Teodorin, qui a passé trois ans en prison après avoir, dit-il, découvert et dénoncé des faits de corruption passant par son entreprise de construction, Eloba, racontait : « L’argent forestier n’est qu’une petite partie. Quand j’ai été arrêté, c’était 20 000, la taxe, très petit (en CFA par mètre cube de bois exporté, payé par les entreprises étrangères, NDLR). Ça lui rapporte 600 000 millions de CFA par mois, ce n’est rien pour lui ! Ce monsieur, il consomme 400 millions par jour ! Le vrai truc de Somagui, c’est les marchés. Comme les 60 kilomètres de route de Bata à Ebebiyin, qu’elle s’est fait facturer à plus de 200 milliards de CFA et qui ont été payés intégralement avant les travaux, qui n’ont jamais été exécutés. La même route a ensuite été attribuée par le gouvernement à des Chinois, la China Road and Bridge, pour 280 milliards de CFA. »

Il décrivait une corruption endémique : « On avait des machines de préfabrication… Chacune était louée 153 000 euros par mois, la première dame en a loué une quinzaine, on n’a jamais touché l’argent et elles ont disparu… On se dit, ils vont peut-être me donner un marché de 50 millions d’euros, tout le monde se tient… Tu te retrouves dans cette situation et tu ne peux pas dire non. » Lorsqu’il avait témoigné, l’Italien, qui dit avoir été torturé, avait eu beau décrire les valises de cash de la « taxe révolutionnaire » et les virements quand Teodorin était absent, il n’a pas fourni de preuve. « Vous n’avez rien dans ce dossier, a lancé Me Thierry Marembert, également avocat de la défense, lors de la dernière audience. Vous n’avez que du ouï-dire, mais pas de preuve. » Lui aussi a insisté sur la compétence de la France. D’après le raisonnement des parties civiles, « chacun devrait se demander s’il est en train de violer n’importe quelle loi de n’importe quel pays du monde. C’est tout simplement dément. C’est une monstruosité juridique qui mettrait en danger chaque citoyen de la planète, mais aussi la souveraineté de tous les États. »

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Papamadi

Grâce soit rendue à Me. Sergio Tomo, avocat de la défense équato-guinéen, dont les plaidoiries ont tout le long du procès eu la vertu de sortir la salle de sa torpeur. « La France a eu un grand président, appelé François Mitterrand. Il a eu un conseiller pour l’Afrique, appelé Jean-Christophe Mitterrand, qu’en Afrique on appelait Papamadi, a-t-il malicieusement développé. Et le président Chirac a eu comme conseiller de communication Claude Chirac, sa fille. L’Afrique n’a pas besoin de leçons. » Il s’est, comme à son habitude, fendu d’un proverbe africain. On se souvient avec émotion de celui de sa première plaidoirie, « si le crabe ne peut pas danser, c’est parce qu’il a trop de pattes. C’est le problème de maître Bourdon, il a trop de pattes », lorsque l’avocat de Transparency International semblait se disperser. Cette fois, il en a choisi un de l’ethnie fang : « Trop de revenants dans un rêve gâtent le rêve. » Parmi ces revenants, les représentants des 19 partis d’opposition de la Cored, la Société générale, par laquelle l’argent a transité, mais qui n’est pas mise en cause. Et enfin, la compétence de la France à « caractériser cette affaire. » « Riche politiquement, mais pauvre juridiquement », juge-t-il…

Ultime péripétie

Dehors, Luis Acogo Nchama, trésorier du Parti du progrès, l’un des partis d’opposition représentés par la Cored, petit homme rond soufflant dans son costume, s’est assis, pour prendre l’air, près des escaliers de la sortie. Il sourit : « Pour Teodorin, ne plus pouvoir passer par la France, c’est la mort ! Il a été élevé ici, il a vécu avec la jet-set. Et puis il y a des procès en Suisse, en Espagne, l’étau se resserre. Même si le véritable criminel, c’est son père. » Me Bourdon, s’adressant au tribunal, n’avait pas mâché ses mots : « Ce procès est historique, votre jugement sera très attendu en Afrique et ailleurs, il sera l’honneur de la justice française. » Marsigny s’était amusé : « Votre décision participerait de la création d’un nouvel ordre mondial ni plus ni moins… » Ce qui est sûr, c’est que l’on n’a pas fini d’entendre parler des biens mal acquis : dernière péripétie en date, Teodoro Obiang, le père du prévenu et président de la Guinée équatoriale, a annoncé qu’il porterait plainte, avec les présidents gabonais Bongo et congolais Sassou Nguesso, eux aussi concernés, contre Transparency International. Le verdict du tribunal correctionnel de Paris pour le volet équato-guinéen, qui doit tomber le 27 octobre, marquera sans doute une étape décisive, mais pas finale, à l’affaire. 

PAR 
 Le Point Afrique
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