Depuis plusieurs années, les immigrés africains en Afrique du Sud font l’objet d’exactions, de bastonnades, de multiples mauvais traitements. Des gangs les traquent, les pourchassent dans les villes et les accusent de leur voler leurs emplois. Devant ces horribles faits, la génération des Africains qui ont suivi la lutte contre l’Apartheid ont le cœur plein d’amertume. Comment est-il possible que les populations et leurs autorités politiques se montrent aussi ingrates envers des Africains originaires de pays qui ont pour la plupart apporté leur soutien politique, sentimental, moral, militant, matériel et financier à la lutte contre l’apartheid, mais aussi contre l’oubli de Nelson Mandela, condamné à la prison à vie par le régime raciste du pouvoir blanc d’Afrique du Sud ?

 

Pour le comprendre, Il est fondamental d’analyser ce qui s’est passé au moment de la libération de Mandela en 1990; cela nous aidera à appréhender ce qui se passe aujourd’hui contre les Africains en Afrique du Sud. L’Apartheid était un système de ségrégation raciale instauré en Afrique du Sud en 1948 par le pouvoir blanc minoritaire, se traduisant, entre autres, par des discriminations géographiques et raciales. Les Noirs étaient cantonnés dans des bantoustans, et interdits d’accès dans certains lieux et zones réservés aux seuls Blancs. Ces discriminations étaient aussi économiques, par exemple, l’accès refusé aux Noirs à certains emplois.

 

Nelson Mandela, avocat engagé aux côtés de ses camarades, va participer à la lutte contre ce système odieux de l’Apartheid. L’ANC sera créée pour porter la lutte, il en sera le chef. Les moyens de répression et de violence contre les populations noires et les militants de l’ANC feront de plus en plus de victimes, d’arrestations, de tortures, d’exécutions, de disparitions. A partir de 1961, la lutte contre la violence du pouvoir raciste sera désormais une lutte armée que l’ANC mènera. Mandela sera arrêté, jugé pour atteinte à la sûreté de l’Etat et condamné à la prison à vie avec 9 autres de ses camarades qui le suivront dans les geôles sud-africaines. Les Noirs étaient piégés dans ce pays, l’apartheid était un système clos, fermé. Si quelqu’un en sort, c’était l’exil, il ne pouvait y revenir. C’est ainsi que les militants de l’ANC et leurs familles ont été accueillis dans les pays voisins où certains y ont vécu jusqu’à la fin de l’Apartheid. Ce système pourchassait les représentants de l’ANC pour les assassiner partout dans le monde où ils trouvaient refuge.

 

Autrement dit, de nombreux pays africains ont apporté un soutien multiforme aux frères de l’ANC dans leur combat. Citons les Présidents Omar Bongo, Khaddafi, Robert Mugabe, Sékou Touré qui a accueilli la célèbre chanteuse Myriam Makeba en Guinée et lui a octroyé un passeport guinéen; n’oublions pas le Ghana, la Côte d’Ivoire de Houphouet Boigny, le Sénégal de Senghor…la liste est longue. La dénonciation du système abject de l’Apartheid a été notamment impulsée en Afrique par les artistes africains qui ont, sans relâche, crié sur tous les tons  » FREE NELSON MANDELA »; musiciens modernes et traditionnels, artistes, écrivains ont tous exprimé leur solidarité au peuple noir d’Afrique du Sud et ce, pendant de longues années. Les étudiants africains n’ont pas été en reste dans ce combat, les photos de Mandela, du martyr Steve Biko, étaient dans toutes les chambres d’étudiants. Toutes les manifestations organisées pour demander la libération de Mandela et pour lutter contre son oubli, montraient leur mobilisation massive. Colloques, réunions, conférences ont jalonné ce combat. Autrement dit, les populations africaines ont été, en première ligne, pour dénoncer l’Apartheid, mais aussi pour soutenir leurs frères noirs d’Afrique du Sud. Dans le même temps, les pouvoirs occidentaux, les prétendues grandes démocraties de l’Europe, des États-Unis, ceux qui représentaient les « nations dites civilisées », ces régimes étaient du côté de la barbarie, de la ségrégation raciale, des graves violations des droits de l’homme, de l’oppression quotidienne et cruelle des Noirs d’Afrique du Sud. Leurs multinationales s’organisaient avec leurs appuis, pour contourner les sanctions onusiennes contre le pouvoir blanc d’Afrique du Sud.

Le soutien du monde occidental a été considérable et constant pour le régime de l’Apartheid. Il a assuré à ce pays un développement économique et une grande coopération militaire pour doter ce système de l’horreur, de moyens puissants pour s’imposer à la majorité noire.
On sait, aujourd’hui, que c’est la CIA qui a localisé Mandela et donné l’information aux services de la police sud-africaine. Mandela déguisé en chauffeur routier sera arrêté, jugé et condamné à perpétuité. La France permettra au pouvoir raciste blanc de se doter de l’arme nucléaire, lui livrera des armes de tous calibres, des munitions et des véhicules militaires en violation de la Résolution 181 du 7 août 1963 du Conseil de Sécurité et, l’on verra plus tard, ce qu’il adviendra de l’arme nucléaire lorsque le pouvoir sera entre les mains des Noirs.

 

En 1975, un rapport du centre du commerce extérieur français fait le bilan suivant :  » la France est considérée comme le meilleur soutien de l’Afrique du Sud, non seulement, elle lui fournit l’essentiel des armements nécessaires à sa défense mais elle s’est montrée bienveillante, sinon alliée, dans les débats et les votes des organisations internationales ». Cette politique de soutien sans faille au régime raciste et criminel sud- africain se poursuivra avec Pompidou, Valérie Giscard d’Estaing qui, à partir de 1974, va accélérer l’achat de l’Uranium à l’Afrique du Sud dans le contexte du choc pétrolier. Un puissant lobby mené par le groupe Amitié France-Afrique du Sud agissait en France dans les médias pour traiter les militants de l’ANC de terroristes. Il était animé par des députés.

 

En 1976, la France vendra des centrales nucléaires au régime de l’Apartheid. C’est à Paris que la représentante de l’ANC, Dulcie September, est assassinée par un commando agissant pour le compte du pouvoir blanc raciste. Dans le cadre de cette politique pro-apartheid, les responsables politiques français estimaient qu’il fallait profiter de la place laissée par ceux qui ne voulaient plus commercer avec le régime de l’Apartheid, pour faire de bonnes affaires. Ainsi, l’expérience française dans les guerres coloniales menées en Afrique du Nord et en Afrique noire par ses militaires et barbouzes, a été mise au service de la répression incroyable qui s’est abattue à Soweto, à Sharpeville, où les massacres n’ont épargné personne. La Grande Bretagne qui a colonisé l’Afrique du Sud y est représentée par une importante colonie anglaise appartenant au monde des affaires. Margaret Tchatcher, Premier Ministre, qualifiait elle aussi, les militants de l’ANC de terroristes. Ce passage en revue entre ceux qui étaient aux côtés de la ségrégation raciale érigée en mode de gouvernement et ceux qui se battaient sur plusieurs fronts aux côtés de l’ANC et du peuple noir opprimé, est très important car les données vont être complètement bouleversées en 1990 lors de la libération de Nelson Mandela.

 

Tout d’abord, on peut s’interroger : que s’est-il passé pour que le pouvoir de Frédérick De Clerk, après l’avoir gardé 27 années en prison et malgré la persévérance des combattants de l’ANC à continuer la lutte, que s’est-il donc passé pour que le régime honni de l’Apartheid trouve intérêt à négocier une sortie de prison du héros de la lutte contre l’apartheid? Autrement dit, pourquoi a-t-on décidé la libération de Mandela? Nombreux furent les facteurs, sur la scène sud-africaine et au plan international, ayant contribué à mettre en marche le processus : la fin de la guerre froide caractérisée notamment par la chute du mur de Berlin, la forte progression démographique des populations noires, les tensions sociales et les multiples affrontements des militants de l’ANC avec la police de De Clerk, des raisons économiques aussi ; l’Afrique du Sud a subi une transformation économique interne passant d’une industrie extractive des mines de diamants, d’uranium et d’or à une société basée sur la production industrielle, entrainant de fait, une modification des intérêts nationaux et internationaux dans ce pays. Auparavant, on avait besoin d’esclaves en grand nombre qui descendaient dans les mines, travaillaient dans des conditions atroces, y mouraient et étaient remplacés par d’autres. Mais, en raison de la mutation intervenue, on avait désormais besoin de travailleurs semi analphabètes et soumis. Tous ces facteurs ont poussé le gouvernement de Frédérick De Clerk et ses alliés occidentaux à ouvrir des négociations avec Nelson Mandela. Les pourparlers ont débuté en 1988 et se sont poursuivis jusqu’ en 1990. Cette première phase des négociations est restée un moment secrète et dissimulée même à la plupart des responsables de l’ANC.

 

Frédérick De Clerk et ses alliés occidentaux proposèrent un compromis politique qui pouvait permettre de libérer Nelson Mandela. Les points les plus importantsétaient les suivants: le pouvoir politique serait donné aux Noirs à travers le système électoral, 1 voix =1 vote. Les Blancs ne brigueraient plus la Présidence. En revanche, le pouvoir économique et le pouvoir médiatique resteraient entre leurs mains. L’ANC qui avait inscrit sur son programme, en lettres d’or, la nationalisation des mines d’uranium, de diamants et des secteurs clés de l’économie sud-africaine devrait y renoncer, sans compter qu’il fallait à l’ANC de renoncer aussi à la redistribution des terres aux Noirs. Les industriels et hommes d’affaires blancs ont exigé de racheter la Banque Centrale Sud-Africaine qui devra être rapidement privatisée. Les alliés européens et américains ont imposé que les réacteurs nucléaires soient rapatriés au Royaume-Uni avant l’installation d’un Président noir au pouvoir. Enfin, autre exigence du régime de Frédérick De Clerk pour la liberation de Nelson Mandela: l’instauration d’une Commission Vérité et Réconciliation.
Il est fondamental et particulièrement important de rappeler que, dans une première phase essentielle, Mandela, isolé, a négocié seul, sans la participation de ses camarades membres de l’ANC. C’est bien après, qu’il a été extrait de sa cellule pour être installé dans une villa, afin qu’il se réadapte à la vie sociale, lui qui a été isolé et coupé de tout pendant 27 années.

 

Ensuite, dans une seconde phase, le staff de l’ANC fut réuni à ses côtés pour les négociations restantes. Chacun de nous, peut comprendre que le choc fut terrible et beaucoup ne furent pas d’accord avec Mandela. Parmi ces figures de l’ANC, Winnie Mandela, son épouse parlera de trahison, elle rappellera les « rivières de sang versé par notre peuple » qui mérite que justice lui soit rendue, pour rejeter la Commission « Vérité Réconciliation », et elle s’opposera aussi à la non redistribution des terres aux populations noires, « autant accepter qu’elles demeurent toujours dans la pauvreté et soient exploitées par les propriétaires terriens blancs ». Dans ce contexte, il est utile de rappeler que si Mandela était en prison, les autres responsables de l’ANC ont été soit emprisonnés, soit, ont continué à recevoir des coups du régime de Frédérick De Clerk. Quand finalement, bon gré mal gré, les dirigeants de l’ANC se rangèrent derrière Mandela dans la conduite de ce compromis, seule Winnie Mandela, parmi les hauts dirigeants de l’ANC, vécut douloureusement cet accord qui « nous anéantit et donne la part belle aux racistes assassins de notre peuple”.

 

Une fois le compromis calé, la machine politique et médiatique occidentale se lança pour accompagner ce processus. Aussi, le 2 février 1990, c’est sous les caméras du monde entier, qu’on assista en direct, à la sortie de prison de Nelson Mandela. Les portes de la prison de Roben Island s’ouvrirent, et le Héros de la lutte contre l’Apartheid fit ses premiers pas hors de la prison, main dans la main, les poings levés avec son épouse Winnie Mandela, autre figure de proue de la lutte contre l’Apartheid. Les premiers pas de Mandela libre étaient accompagnés par les larmes de millions de téléspectateurs, le matricule 46664 de la prison de Roben Island avançait majestueusement vers la liberté, le monde entier célébra ce jour historique. Sorti de prison en 1990, il fut élu Président de l’Afrique du Sud en 1994, fit un mandat de 5 ans et quitta le pouvoir en 1999 à l’âge de 81 ans.

 

Nelson Mandela témoigna sa reconnaissance à certains pays africains qui l’ont soutenu dans sa lutte contre l’Apartheid. Dans la ligne du compromis politique et de sa mise en oeuvre, il a pris la décision de pardonner à ses bourreaux et à leurs alliés occidentaux.
Pleinement satisfaits et soulagés, les Occidentaux déployèrent et mirent en branle une formidable manipulation politique et médiatique. En quoi faisant ? En premier lieu, il fallait ne plus parler de l’Apartheid, de ses soutiens, de ceux qui ont permis à cette horreur de perdurer plus de 50 ans. Il fallait uniquement se focaliser sur ce Grand Homme, ce Saint, ce Juste, l’un des plus grands hommes de l’humanité. Il fallait en faire une icône mondiale, lui, cet être d’exception grâce à qui tous les crimes, la honte, les compromissions avec un régime qui a froidement exécuté des enfants, cet homme qui a accepté d’effacer toute cette horreur. Lui seul pouvait accomplir ce miracle ! Et c’est ainsi que nous, les Africains avons assisté à ce spectacle incroyable. Toutes les Universités occidentales se bousculaient pour lui offrir des prix, et l’accueillir avec tous les honneurs, là où hier, leurs multinationales livraient des armes aux policiers du régime de l’Apartheid pour tirer sur les jeunes lycéens
noirs.

 

Et leur génie a été de faire un zoom sur cet homme uniquement, au point qu’on oublia que la lutte contre l’Apartheid a été celle de toute une communauté, de leaders noirs, à qui il fallait rendre justice et hommage. Seulement cette posture de l’hommage aux martyrs de la lutte ne pouvait être acceptée, car elle allait ouvrir le livre des crimes abominables commis contre les Noirs. L’instauration de la Commission Vérité et Réconciliation consistait en une démarche psychanalytique visant à faire parler les gens, les amener à avouer leurs crimes, et l’on présupposait que cela entraînerait une espèce de guérison par la parole. Les criminels obtinrent ainsi le pardon, repartirent libres et leurs victimes devaient être indemnisées. C’était le mécanisme de la Commission Vérité et Réconciliation. Les faits exposés, devant elle, étaient si horribles que
son Président, l’Archevêque Desmond TUTU, mettait régulièrement la tête sous la table pour pleurer. Quand on sait que l’ensemble de l’appareil de répression militaire et policier du régime de l’Apartheid sans compter les nombreuses milices armées, étaient entre les mains des Blancs, il est facile de comprendre, en fin de compte, à qui profite le plus cette institution. Il est utile de préciser que la Commission Vérité et Réconciliation n’a pas tenu parole quant à l’indemnisation des familles des Noirs. Les médias occidentaux ont salué avec force et glorifié l’expérience de cette Commission Vérité et Réconciliation, symbole de pardon et de réconciliation entre les Noirs et les Blancs.

 

Aujourd’hui, il est important de souligner que cette expérience formidable tant vantée, n’a été reconduite nulle part ailleurs. Les Occidentaux ont enfilé de nouvelles perles et mis en place une grosse propagande pour laisser tomber ce qui fut la veille, la merveilleuse Commission Vérité et Réconciliation, pour changer leur fusil d’épaule et nous dire que désormais seule la justice permet la réconciliation et partant, on a créé, des tribunaux d’exception (CAE) et la CPI, utilisés comme des instruments de liquidation de tous ceux qui les dérangent et, comme aucun Blanc n’est concerné, la vie est belle! Dans cette importante opération de récupération de la figure emblématique, du héros de la lutte contre l’Apartheid, le système médiatique occidental a totalement occulté la contribution des pays africains et des peuples d’Afrique dans ce combat contre la barbarie. La vague extraordinaire des médias occidentaux a, dans une incroyable unanimité, très astucieusement mis de côté, toutes les questions relatives à l’Apartheid, ses crimes, les complicités et surtout opéré un total blackout sur les conditions du compromis politique autour de la libération de Nelson Mandela. En revanche, la personne de Winnie Mandela qui, lors des négociations secrètes, leur a causé des graves problèmes et de sérieux ennuis, a fait l’objet d’un véritable lynchage médiatique. Tout un chacun a pu constater sa mise à l’écart et l’acharnement qu’elle a subi, les multiples calomnies et attaques à son endroit. Elle était devenue la bête noire des alliés du régime de l’Apartheid, il fallait la détruire, l’écarter pour éviter des problèmes plus graves dans l’application du compromis politique. Elle a eu des points de rupture avec Mandela, entre autres, sur les cas suivants: la question de la libération de tous les Noirs emprisonnés pour leur combat, sur la tenue d’une cérémonie d’hommages aux martyrs de la lutte. Plus tard, elle dira n’avoir pas pardonné à Mandela d’avoir accepté le Prix Nobel de la Paix aux côtés de Frédérick De Clerk, son geôlier aux mains pleines de sang et un des plus grands piliers de l’Apartheid. Il est vrai, qu’il y avait quelque chose d’inqualifiable dans cette cérémonie où le bourreau blanc qui avait passé les 27 dernières années de sa vie, dans les Palais de la République, se tenait aux côtés de son prisonnier qui, lui, avait croupi 27 ans dans une cellule de 12 mètres carrés en prison ! Au delà de la récupération du modèle d’éthique, de moralité qu’était Nelson Mandela, le système médiatique occidental a procédé à un inventaire et mis de côté, de nombreux points, dans les actes posés par Mandela dans son combat et qui pouvaient inspirer des sujets de réflexion au monde et aux Africains en particulier. L’action politique de Nelson Mandela a été réduite à deux points seulement et qui nous sont inlassablement répétés : Mandela, c’est celui qui a réalisé la Nation Arc-en-ciel, c’est-à-dire, pardonner à ses bourreaux blancs. La question de la réconciliation indispensable et non réalisée, est balayée d’un revers de la main.

 

Mandela, c’est aussi l’homme qui est parti au bout d’un seul mandat. Ainsi, on constate que la personne de Mandela est utilisée et retournée contre les Africains par ceux-là mêmes qui le traitaient de terroriste et passaient sous silence les crimes de l’Apartheid. En effet, à l’écoute des médias de la françafrique, ses journalistes utilisent très souvent l’image de Mandela contre les autres Chefs d’Etat africains. Il est ainsi ce Saint que personne ne peut égaler, que personne ne peut imiter en Afrique. Une belle hypocrisie ! Par rapport à cette démarche, Mandela avait, un jour, dit : « Ce qui me dérange; c’est la fausse image que l’on véhicule de moi, me comparant à un Saint. Ce que je ne suis pas, disons que je suis un pêcheur qui cherche à s’améliorer. » Aussi, que devrions-nous comprendre dans l’histoire complexe de l’Afrique du Sud ? Nelson Mandela, après son départ du pouvoir, a bien compris que la tâche n’était pas terminée, que les problèmes les plus importants de l’Afrique du Sud n’étaient pas résolus, que la misère des Noirs est toujours là, que la réconciliation est loin d’être une réalité. En homme honnête, il avait aussi pris conscience que son image, la fraternité et la prise en compte de ses 27 années de prison, ont beaucoup pesé sur ses frères de l’ANC pour taire leur désaccord dans la mise en oeuvre du compromis politique. C’est pourquoi, il a abordé sans détours certaines questions. Sur la question du pardon total et général à ses bourreaux blancs, il a expliqué que pour lui, c’était la seule façon de s’en sortir et c’était aussi la seule façon de rassembler les Sud Africains sans amertume, sans haine. Par rapport à la lutte armée qu’il a mené avec ses frères de l’ANC, il a déclaré que: « Nous, les responsables de l’ANC, avions essayé tous les moyens non violents: les marches de protestation, les grèves, les actions de masse, les manifestations, mais la violence et les tueries sauvages ont toujours été les réponses du régime de l’Apartheid. Nous avons vu l’échec de la lutte pacifique. Prendre les armes et engager la lutte armée nous a permis, d’abord, de nous défendre contre la violence que nous subissions, puis par la lutte armée, nous avions l’objectif de réduire les capacités de l’ennemi à déverser sur nous sa folie meurtrière. Si l’on veut libérer les opprimés, il faut libérer les oppresseurs de leurs capacités à réprimer. » conclua t-il.

 

C’est à partir de l’engagement de la lutte armée, que les dirigeants occidentaux ont qualifié Nelson Mandela et ses camarades de l’ANC de terroristes. Soulignons que ceux qui se battaient contre l’Apartheid étaient traités de terroristes et parallèlement, ceux qui se battaient contre le Nazisme, en France, étaient des résistants ! Autre sujet de réflexion que nous inspire l’histoire de Nelson Mandela. La prison à perpétuité lui a été infligé par ses ennemis parce qu’ils voulaient avant tout détruire son identité politique. Après 27 années de prison, cet homme a perdu sa vie, sa jeunesse, a passé un tiers de sa vie dans un isolement total coupé du monde, à l’écart de l’évolution de son pays. Après ces cruelles 27 années de prison, on ne peut plus être le même homme. Ce fut presque un miracle qu’il ait pu sortir vivant. Est-ce pour cette raison que le régime de l’Apartheid et ses alliés occidentaux ont choisi de négocier avec lui, tout seul dans une première phase. Une première phase secrète au cours de laquelle les points les plus importants des négociations ont été réglés. Le trait de génie du système dominant et de contrôle a toujours consisté à séparer les gens, les uns des autres, de telle sorte qu’ils ne puissent travailler ensemble. On peut faire en groupe des choses qui seraient impossibles à réaliser quand on est seul. A méditer, par nos dirigeants quand on les fait venir à Paris seuls pour les engager dans telle ou telle affaire. Par rapport à l’occultation du rôle de l’Afrique et de ses dirigeants par la machine médiatique occidentale, ce fait important signale à notre attention que la propagande est une arme redoutable qui a permis de fabriquer un consentement autour de leur ligne de traitement de la libération de Nelson Mandela, du suivi et de l’exécution du compromis politique. La démarche politique occidentale a consisté à ne plus évoquer l’Apartheid, son système, ses piliers, à faire comme s’il n’avait jamais existé. On peut faire un parallèle, à propos du traitement médiatique du Nazisme: de multiples programmes de télévision décryptent sans cesse les événements de la guerre contre le Nazisme, sous tous les angles possibles, plus de 70 ans après les faits. Qu’avons-nous fait pour expliquer à notre jeunesse, ce qu’était l’Apartheid, son histoire, ses crimes, ses soutiens et comment il a duré 50 ans ?

 

On comprend mieux pourquoi lors des négociations politiques, les représentants du régime de Frédérick De Clerck ne voulaient pas lâcher le pouvoir médiatique. Regardons aussi à titre d’exemple, l’investissement de l’Etat d’Israël, dans les multiples commémorations de la Shoah à travers des ouvrages, des récits, des documentaires et films. Sans relâche. Autrement dit, la mémoire collective autour d’importants faits historiques, se construit, se réécrit, se diffuse, s’entretient inlassablement. Et c’est par ce travail important, qu’aujourd’hui, un jeune juif de 18 ans aura le sentiment d’être un rescapé de la Shoah et se mobilisera dans la défense de sa communauté. Les historiens africains auraient pu facilement faire ce travail ; un véritable devoir de mémoire pour les générations présentes et futures. De même, le rappel historique et politique de l’engagement des Africains aux côtés des Sud-Africains a fait défaut en Afrique du Sud, et les déplacements de Mandela dans quelques pays africains n’était pas suffisant; il a manqué une action de sensibilisation nationale en Afrique du Sud; mais elle était impossible car une telle initiative heurterait la ligne médiatique du compromis négocié par Frédérick De Clerk et ses alliés occidentaux. En ce sens, qu’elle rappellerait les souffrances, l’exil de milliers de militants de l’Anc pourchassés et traqués par la police sud- africaine. Sans oublier qu’à contrario, les pays occidentaux seraient totalement démasqués dans leur posture de soutien à l’Apartheid. Aujourd’hui, le compromis négocié a mis fin à l’Apartheid, a ouvert l’Afrique du Sud sur le monde. Le pouvoir politique est aux mains des Noirs, mais la réconciliation entre Noirs et Blancs n’est pas encore au rendez-vous. La conservation de tous les leviers économiques, financiers et médiatiques a permis aux Blancs de garder tous leurs privilèges. Quant à la majorité des Noirs, elle vit toujours dans la pauvreté et la misère avec 2 dollars par jour en moyenne. Certes, les Blancs ont favorisé l’émergence d’une bourgeoisie noire, peu nombreuse, qui s’est enrichie considérablement, mais, les problèmes de l’Afrique du Sud n’ont pas été réglés et l’héritage de Mandela, à travers ce compromis négocié et appliqué par lui même, puis à sa suite par les leaders de l’ANC au pouvoir, pourra-t-il tenir avec la génération des Born Free ?

 

En conclusion, relevons que cet exemple, certes complexe, de la situation à laquelle Mandela a dû faire face, interpelle nos dirigeants africains actuels. En effet, est-il possible de changer la vie de nos populations quand les leviers économiques et financiers sont entre d’autres mains qui dirigent nos destinées dans le sens de leurs intérêts exclusifs? Assurément, non !

 

Steve Biko, l’un des plus grands martyrs du combat contre l’Apartheid, mort en prison en 1977, a dit :  » l’arme la plus puissante de l’oppresseur se trouve dans l’esprit de l’opprimé. »  A méditer !

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