Les principaux investisseurs étrangers de la Cemac s’alarment de la réglementation jugée trop stricte des changes de l’organisation régionale. Malgré un intense lobbying, un assouplissement des textes en vigueur apparaît très hypothétique alors que la Banque centrale de l’organisation s’est fixée d’ambitieux objectifs en matière de réserves en devises étrangères. Les avantages des industries extractives sont désormais directement pointés du doigt.

Alors que les chefs d’État de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) se réunissent ce 17 mars à Yaoundé afin d’aborder une très hypothétique réforme du franc CFA, un autre sujet pourrait s’inviter dans les débats : la réglementation des changes. Entrée en vigueur le 1er mars 2019, à l’initiative de la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC), avec le soutien du FMI, celle-ci est vivement contestée par les opérateurs économiques qui la jugent trop « restrictive ».

Ces dernières semaines, sous pression des entrepreneurs français, Paris a demandé au FMI d’envisager un assouplissement de la réglementation, arguant qu’elle avait refroidi plusieurs investisseurs potentiels dans la sous-région. (Voir encadré)

Maintenir l’effort jusqu’en 2025

Ce relâchement est loin d’être acquis, alors que les mesures commencent à peine à porter leurs fruits. Le gouverneur de la BEAC, le Tchadien Abbas Mahamat Tolli, en poste depuis 2017, a fait de la réglementation des changes une de ses priorités pour éviter tout risque de fuite de capitaux et de dévaluation (lire encadré). L’objectif initial, qui vise à assurer une couverture en devises étrangères d’au moins quatre mois d’importations, vient tout juste d’être atteint au premier trimestre 2023. Or la BEAC ambitionne de pouvoir s’appuyer sur six mois de couverture d’ici à la fin 2025, soit près de 9 000 milliards de francs CFA.

Selon un rapport confidentiel de la Banque centrale datant de janvier 2023 et consulté par Africa Intelligence, les sorties de devises étrangères ont plus que triplé entre 2018 et 2022, passant de 2 800 milliards de francs CFA à 10 120 milliards de francs CFA. En d’autres termes, les règles restrictives n’ont, selon la BEAC, pas restreint les échanges commerciaux. Une différence d’analyse qui vient directement se heurter à la perception des entrepreneurs.

L’exception des industries extractives

La raison de cette hausse des devises est à chercher du côté des industries extractives, qui génèrent une bonne partie des flux financiers dans la région. Vent debout contre les mesures de la BEAC dès 2018, les opérateurs miniers et pétroliers ont d’abord réussi à bénéficier d’une exemption jusqu’en 2022, le temps de négocier des aménagements. Le groupe français Eramet, piloté par Christel Bories – qui accompagnait au début du mois Emmanuel Macron à Libreville -, actionnaire majoritaire de la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog), avait ainsi conditionné fin 2019 son investissement de 640 millions d’euros, pour l’extension de sa mine de manganèse de Moanda, à une dispense de respecter la réglementation Cemac. Avant d’annoncer sa décision d’investissement, mi-2020, le premier minier du Gabon avait ainsi attendu plusieurs mois, le temps que la dispense accordée aux groupes extractifs jusqu’à 2022 lui soit confirmée.

Le lobbying mené par les opérateurs extractifs a porté ses fruits : contrairement aux autres acteurs économiques, ils ne sont pas soumis à l’obligation de rapatrier la totalité des devises générées par leurs activités dans les comptes ouverts dans la zone Cemac, mais seulement 35 %. Une mesure en application depuis 2022. Selon le même rapport interne, ces rapatriements, de l’ordre de 765 milliards de francs CFA, représentent plus de 10 % des réserves de change et « ont constitué à eux seuls 27,1 % de l’augmentation enregistrée sur les réserves de change entre 2021 et 2022 ».

Les opérateurs ont par ailleurs réussi à obtenir une exemption pour les entreprises en phase d’exploration et pour celles bénéficiant des financements RBL (Resource-Backed Loans).

L’épineuse question des fonds de réhabilitation

Un sujet n’a toutefois pas encore été tranché et fait toujours l’objet de négociations entre les acteurs de l’extractif et les régulateurs de la Cemac : celui des provisions pour abandon des sites pétroliers, estimées à plusieurs centaines de millions de dollars. Les opérateurs versent chaque année des fonds sur des comptes séquestrés, qu’ils appellent « fonds de réhabilitation », obligatoires pour financer la réhabilitation des sites en fin d’exploitation.

Or ces comptes sont généralement domiciliés hors de la Cemac, dans des zones où les taux d’intérêt bancaires sont plus élevés. Les acteurs des industries extractives sont donc particulièrement frileux à l’idée de les rapatrier d’ici au 1er janvier 2025, comme le souhaite la BEAC. L’instance ambitionne de fixer une amende qui s’élèverait à 150 % du montant des fonds non rapatriés.

Une réunion décisive se tiendra fin mars à Paris pour tenter de trouver un compromis. Organisée en février à Douala, la précédente réunion, chapeautée par le directeur des études, des finances et des relations internationales de la BEAC, Ivan Bacale Ebe Molina, a été boudée par les majors (ni Total Énergies ni ENI n’étaient présents). Le cabinet d’avocats londonien Slaughter and May suit de près ce dossier.

Liste d’obligations à la Prévert

Depuis le 1er mars 2019, l’autorisation de sortie de devises sur des transferts de plus de 5 millions de francs CFA est soumise à une longue liste d’obligations qui visent à prévenir des sorties de devises abusives ou frauduleuses. A titre d’exemple, les opérateurs économiques doivent fournir la preuve de l’apurement de leurs arriérés de paiement, la démonstration sur pièces (factures, déclaration d’importation aux douanes, etc.) que leurs précédentes transactions ont bien été effectuées, ou encore un justificatif de domicile de leur partenaire commercial situé hors de la Cemac, ce qui refroidit plusieurs investisseurs souhaitant rester discrets.

La réglementation oblige par ailleurs les banques commerciales à rapatrier 70 % des devises étrangères obtenues par les exportateurs, à l’exception des industries extractives, sur les comptes de la BEAC, pour les substituer à des francs CFA. Cette rétrocession des devises étrangères, passée de 3 000 milliards de francs CFA en 2018 à 12 000 milliards en 2022, explique en partie la hausse des réserves de change.

Christophe Le BecClotilde RavelAntoine Rolland

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