Par Note Circulaire N°010/MFB/SE/2012 du 09/05/2012, le Ministre des Finances et du Budget avait instruit ses services « qu’à compter du 14 Mai 2012, les Chefs de Bureau de Douane ont la charge de la perception des recettes douanières en lieu et place des régisseurs de la Direction Générale du Trésor et de la Comptabilité Publique ». Cette note est suivie d’une correspondance N° 091/MFB/SG/339/2012 signée du même Ministre et adressée au Directeur Général de la CBT demandant l’ouverture d’un Guichet Spécial à N’Gueli et d’un compte à la Commercial Bank Tchad aux fins de loger ces recettes. 
 
 
Ces deux actes posés par le Ministre des Finances et du Budget au-delà des bouleversements qu’ils provoquent au sein de notre système financier violent systématiquement toute la réglementation en la matière en vigueur dans notre pays ainsi que les reformes subséquentes entreprises avec l’aide des bailleurs. Le mécanisme de gestion des finances publiques au Tchad est issu du Régime Financier et Comptable qui est lui-même une émanation du système financier français régi par les Règles de la Comptabilité Publique. Celles-ci reposent sur deux grands principes : – La séparation des Ordonnateurs et des Comptables (Article 25 DU Décret N°118/F du29 juin 1963 portant Règlement sur la Comptabilité Publique). – La responsabilité personnelle et pécuniaire du Comptable Public (Ordonnance n°25/PR du 18 juillet 1962 fixant les rôles et les responsabilités des Comptables Publics). Ces principes constituent le corollaire logique de la règle selon laquelle seul un comptable public est habilité « à manier les deniers public » : Régime Financier : (art : 23 et 24 du Décret N°118/F Portant Règlement sur la Comptabilité Publique). 
 
 
Avant d’entrer en fonction, le comptable public ou gestionnaire des recettes de l’état constitue un cautionnement garantissant sa gestion sur laquelle des contrôles périodiques et inopinés sont exercés ; de plus, l’Etat possède une hypothèque légale sur ses biens ; c’est dire que la fonction de comptable est entourée d’un certain nombre de gardes fou dissuasifs permettant de limiter les risques de détournement. des agents du trésor sont donc placés dans toutes les régies installées auprès des instituions de l’état qui génèrent des recettes ; les opérations de ces régisseurs de recettes sont rattachées à celles du Trésorier Payeur Général , comptable principal qui « en assume la responsabilité subsidiaire dans les conditions prévues par l’Ordonnance n°25/PR fixant le rôle et les responsabilités des Comptables Publics » ; ces régisseurs agents secondaires ont la charge de drainer toutes les recettes vers le Trésor Public en vertu du sacro saint principe présent dans tous les mécanismes de gestion des finances du monde : l’unicité de caisse. 
 
 
Ces Régisseurs nommés par Arrêté du Ministre des Finances sur proposition du TPG et du DGT sont strictement contrôlés par ce dernier ; obligation leur est donc faite de procéder aux versements systématiques de ces recettes au trésor (dans un délai n’excédant généralement pas 24 heures) ; à cette occasion, ils produisent des états de versement et toutes les pièces justificatives au service du recouvrement du trésor qui leur délivre une quittance à cet effet. La décision d’écarter les régisseurs du trésor de la régie des douanes sera, de l’avis de spécialiste que nous sommes, très lourde de conséquences ; 
 
 
cette mesure est d’autant plus grave que les recettes douanières dans notre pays constituent de loin la première entrée d’argent en terme de volume devant les impôts, les domaines et les recettes administratives. Nous sommes déjà habitués dans ce pays à voir des non comptables manier des deniers publics dans les régies de recettes administratives en violation des textes financiers en vigueur ; cette situation avait malgré tout été tolérée ; mais quand cette décision du Ministre des Finances et du Budget concerne la Douane, cela prend une autre dimension : En effet, outre le fait que la Note Circulaire viole un des principes de base de la Comptabilité publique, elle crée une situation des plus dangereuses pour nos recettes : les chefs de bureau des douanes n’ayant aucune culture comptable n’auront pas les mêmes soucis de la production des pièces justificatives et des situations comptables qu’un régisseur du trésor ; les bulletins de liquidation contiennent du reste un tableau de ventilation de ces recettes par nature et l’on serait amené à nous demander comment une situation comptable peut dans ces conditions être tenue par ces chefs de bureau. Le fait que des agents n’appartenant pas au service des douanes ont la charge exclusive de recouvrer les recettes émises par les douaniers permet l’instauration de ce qu’on appelle un contrôle réciproque. Par cette décision, les douaniers recouvriront l’argent provenant des titres de recettes qu’ils ont eux-mêmes émis ; connaissant l’état actuel de nos douanes on peut facilement imaginer les dégâts : Le scenario le plus vraisemblable est donc la déperdition certaine de nos recettes qui prendront sans conteste, d’autres destinations. D’autre part, la Correspondance adressée au DG de le CBT pour loger les recettes douanières dans un compte bancaire foule au pied la règle de base qu’est le principe d’unicité de caisse. 
 
 
Contrairement aux termes de la correspondance qui parle d’une « meilleure sécurisation des recettes », la multiplication et la dispersion des caisses constitue au contraire le moyen le moins indiqué pour sécuriser des fonds publics ; la pratique l’a démontré, c’est pourquoi les textes ont formalisé cette notion de caisse unique. Le fait de loger ces recettes dans un compte bancaire (comme cela avait déjà été fait en violation des règles financières pour la fiscalité pétrolière et d’autres recettes) les met non seulement à l’abri de tout contrôle, mais leur montant ne sera jamais connu : conséquence, leur gestion s’apparentera tout simplement à celle d’une caisse noire. 
 
 
Par ailleurs, du fait de leur absence des écritures du trésor, ces recettes seront effectuées hors comptabilité : techniquement, ces opérations ne seront pas prises en compte dans la comptabilité de l’état qui est tenue par le trésor ; ce qui fait qu’une composante importante de nos recettes manquera à l’appel lors de l’examen par nos traditionnels bailleurs de fond de notre balance annuelle des comptes qui est confectionnée par les services du trésor. 
 
 
Le trésor est actuellement la seule institution du pays qui peut offrir le gage d’une relative transparence parce que les entrées et les sorties de fonds sont transcrites en comptabilité et cela laisse des traces. Si cette mesure n’est pas abandonnée à temps, nos recettes Fiscales (impôts) et domaniales risquent à terme de subir le même sort. Privé de recettes douanières, le Trésor Public ne sera plus que l’ombre de lui-même et il sera ainsi le dernier verrou de sécurité de la plus grande partie de nos ressources à sauter. Il ne sert à rien de nous mettre au banc de la société financière internationale alors même que les critiques à l’endroit de la gestion « opaque » de nos revenus pétroliers n’ont pas encore cessé. 
 
 
A la lumière de toutes ces considérations, nous exhortons nos responsables financiers à annuler purement et simplement cette note circulaire et à surseoir à l’exécution des termes de la correspondance qui s’en est suivie. Le fait qu’un régisseur du trésor ait détourné de l’argent ne doit pas servir de prétextes pour mener des reformes d’une telle ampleur et avec une telle légèreté ; la gestion des fonds publics obéit à des règles biens établies ; notre statut en matière de gestion des finances publiques auprès des bailleurs n’est déjà pas très flatteur, nous n’avons à notre avis pas besoin encore de ce qui peut s’apparenter à une gestion « épicière » des fonds publics. Mahamat-Nour A. IBEDOU . Inspecteur Principal du Trésor Secrétaire Général de la Convention Tchadienne pour Défense des Droits Humains (C.T.D.D.H) N’Djamena
 
 
 
 
IBEDOU Mahamat Nour Ahmat
 
 ibedoum@yahoo.fr
 

 

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