La pose de la 1ère pierre du stade omnisport de Mandjafa, 2ème ouvrage du gouvernement chinois dans le domaine sportif (le 1er étant celui d’Idris OUYA dont la piste d’athlétisme est en pleine décrépitude), fut l’occasion pour le président DEBY, de revenir sur les maux qui minent le sport tchadien. Ce n’est pas nouveau, puisque le sujet figurait dans le programme de campagne présidentielle 2016, du candidat MPS et de l’Alliance, annonçant l’organisation « des états généraux du sport ». Une promesse qui n’est toujours pas honorée.

Pourtant, il en était encore question, avec le discours d’ouverture du forum  de la jeunesse. Comme pour relancer l’espoir, le président affirma sans détour que « le sport tchadien est dans une phase critique d’hibernation ». Une affirmation qui laisse croire que cette fois, il y a une réelle prise de conscience de la gravité de la situation. Mais depuis, rien n’y fut fait. Ce n’est plus de l’hibernation mais une inertie qui semble s’installer. D’où la question de savoir jusqu’à quand la 4ème république restera t’elle indifférente à cet état de fait ?

La cérémonie du 8 août 2019 tombe à point nommé. C’est dans une forme olympique que le chef de l’Etat, par ailleurs 1er sportif tchadien comme on se plait à dire, se livra à l’exercice de la pose de cette 1ère pierre. Après avoir marqué sa satisfaction sur l’offre négociée de longue date par SOUNGUI AHMET, alors ambassadeur du Tchad en Chine, et loué la coopération fructueuse avec le pays du soleil levant, il exprima sa déception de voir le sport tchadien, notamment les disciplines phares comme l’athlétisme, le football, le handball, le volleyball ou le judo, absentes des compétitions internationales. Seul le basket, justifiant du dynamisme et des efforts de la fédération, trouva grâce.

Dans sa lancée, le président pointa le népotisme dans les sélections et dénonça le comportement frivole de quelques dirigeants, avant de s’interroger sur leur démission ou sur celle de la jeunesse. Il indiqua qu’« il s’agit d’un problème d’encadrement de nos jeunes par ceux qui en ont la charge ». Et à cet effet, il  lança un appel à tous pour que « les choses changent » et assura « je serai aux côtés de la jeunesse et des ministres en charge pour que notre pays ne soit pas dépêtré en matière de sport ».

Connaissant davantage ce qui se passe dans le secteur du sport, le président DEBY monta au créneau en appelant le gouvernement à « prendre le taureau par les cornes » et aussi « la jeunesse tchadienne à se mettre à l’œuvre et faire ses preuves pour le compte de ce beau pays ». Parole du chef de l’Etat et du gouvernement, mais aussi d’officier supérieur et général de corps d’armée ! Cependant, au-delà de cet engagement que personne ne mettra  en doute, le mouvement sportif, les acteurs du sport et la jeunesse, seraient bien avisés tout de même de ne pas se laisser endormir sur leurs lauriers. Car, les promesses du chef de l’Etat sont parfois contrariées par l’urgence des priorités qui peuvent les laisser en stand by, sans explication. Il y a donc lieu de rester attentif et de guetter toutes les occasions qui se présenteront, pour rappeler respectueusement, au président et au gouvernement, que le taureau qu’on veut prendre par les cornes est bien affuté depuis des décennies. Et si on ne lui livre pas ce combat promis, il continuera après le passage de l’orage, sa gouvernance désastreuse comme par le passé.

Il est vrai que l’Etat a beaucoup investi dans les infrastructures, matériellement  et financièrement. L’annonce publique faite par le président des « 700 millions de francs CFA intégrés pour le compte du sport », en témoigne. Tout le monde convient « qu’il ne s’agit pas de problème de moyens ». A ce propos, cela aurait eu encore plus de résonnance si, depuis sa création, le FNDS hier et l’ONAJES aujourd’hui, publiait régulièrement le montant des recettes engrangées et un bilan annuel de la répartition des crédits, tout en indiquant les disciplines sportives bénéficiaires. A ce jour, les seuls chiffres connus sur le FNDS se trouvent dans le rapport de la commission parlementaire sur le système éducatif : budget annuel 2011 : 1,366 milliards de FCFA, à 4,788 milliards FCFA en 2015.

Les maux dont souffre le sport tchadien sont connus, identifiés et décriés, indépendamment de toutes considérations, depuis des décennies. Un exemple parmi les plus préjudiciables est la disparition de la semaine nationale des sports, un cadre spécifique crée pour susciter, accompagner et encourager les fédérations sportives à organiser leurs propres compétitions. Une manifestation qui regroupait jadis, l’ensemble des meilleurs sportifs du pays (civils et militaires). Elle constituait également : un véritable baromètre pour mesurer le niveau de pratique ; un outil d’évaluation des performances ; un cadre de détection des talents ; une occasion de rencontre entre les différentes régions du pays ; et surtout, un lieu privilégié de brassage de la jeunesse.

Cet important rendez-vous est aujourd’hui remplacé par la semaine nationale du sport scolaire qui ne concerne que les élèves des collèges et lycées. Les résultats enregistrés à l’issue de celles organisées à Biltine dans le Ouadi Fira en 2015 et à Moundou dans le Logone Occidental en 2018, n’indiquent aucune évolution notable du niveau de pratique dans les compétitions, tant en athlétisme que dans les sports collectifs. Ce qui doit donner à réfléchir quand on sait que par le passé, les champions du Tchad sont issus, généralement, du sport scolaire.

Pour ne pas rester dans de simples constats, critiques et lamentations sur la partie visible de l’iceberg, il faut sortir de la rhétorique récurrente et habituelle qui dit que « le sport a besoin de beaucoup de moyens, surtout financiers ». Certes il en faut, mais ils ne sont pas seuls  déterminants pour remporter des médailles, hisser haut le drapeau et faire retentir l’hymne national dans les compétitions sportives. Autrement, des nations africaines disposant de peu de moyens comme le Kenya ou l’Ethiopie, ne figureraient jamais en bonne place dans les palmarès mondiaux.

En sport, gagner ne se décrète pas. C’est comme partout où il y a compétition. Les victoires ne sont faciles que pour les spectateurs dans les tribunes ou devant la télé. Mais pour le compétiteur qui aspire à la performance et à l’accès à un podium, squ’il n’est pas sûr d’atteindre, c’est un long parcours du combattant, fait de sacrifices, de sueur, de travail harassant, de souffrance et parfois d’échecs. Ce stade omnisport flambant neuf qui sera construit, sera à coup sûr, un bel outil pour assurer une meilleure promotion et un bon développement de la pratique sportive. Mais cela ne sera possible pour le sport tchadien que s’il relève son niveau dans les années à venir. Dans le cas contraire, ce complexe sportif ne servirait que pour l’accueil des manifestions culturelles, des galas et autres meetings politiques, etc.

Des solutions il y en a. Et, le premier service que le chef de l’Etat pourrait rendre au sport tchadien et à la jeunesse, c’est de stabiliser le ministère, en évitant les changements fréquents à sa tête et de veiller au choix de profil du ministre nominé. Et, pour plus d’efficacité dans les actions à lui confier, le gouvernement veillerait également au choix des hauts cadres qui l’entoureront, pour leur compétence technique dans ce secteur spécifique et pour leur expérience avérée, notamment ceux qui auront la charge de diriger les institutions sous tutelle, comme l’INJS qui forme les cadres techniques, et l’ONAJES pour la gestion rationnelle des fonds récupérés sur les appels téléphoniques ou provenant d’autres sources (crédits d’Etat ou sponsoring et autres aides).

Deuxième service salutaire pour appuyer le ministre dans sa mission, le gouvernement pourrait définir clairement une politique nationale de sport à conduire, en fixer le cap précis et les objectifs à atteindre, à court, moyens et longs termes. Son élaboration devrait prendre en compte la situation actuelle du sport tchadien et explorer les voies et moyens de son financement.

Dans cette perspective, il serait judicieux de remettre à l’ordre du jour l’organisation de ces états généraux du sport. Ce forum sera l’occasion d’une remise à plat de toute l’organisation du sport en place à ce jour au Tchad. Ce qui permettra ainsi de connaitre les difficultés auxquelles celle-ci est confrontée, d’en identifier les spécificités ainsi que les potentialités existantes dans chaque région.

Les résolutions qui en sortiront, contribueront à l’élaboration de cette politique sportive qui doit s’imposer à toutes les fédérations et nécessitera de leur part, une profonde réorganisation de leurs propres structures, notamment les ligues et clubs. Ainsi, les choses seront claires pour tout le monde et éviteront au ministre des sports et ses chefs services, d’être les cibles indiquées pour tous les échecs, et d’être accusés de ne se préoccuper que d’assurer leur fauteuil.

Les dernières sorties malheureuses du sport tchadien, notamment lors des préliminaires des coupes de football d’Afrique et du monde ainsi qu’aux 12èmes jeux africains de Rabat au Maroc, démontrent à suffisance son état de déliquescence. Les résultats enregistrés, notamment aux jeux africains où le Tchad présenta 59 sportifs inscrits dans 8 sports, le confirment. Contrairement aux prévisions optimistes annoncées, le Tchad ne recueille que 4 médailles en bronze dans 3 disciplines : 1 en judo ; 1 au taekwondo et 2 au tir à l’arc, et termine au 36ème rang sur 41 pays participants.

C’est dire que, la nouvelle stratégie inaugurée aux jeux africains, qui a consisté à récompenser financièrement le sportif qui remporte une médaille, n’a pas donné les résultats escomptés. Il en est de même de l’annonce de prime faite aux footballeurs à la veille du match contre le soudan, par le ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence. Le geste calculé du ministre des sports ou de tout le staff de la présidence de la république aux joueurs, à l’occasion d’une visite d’encouragement et de galvanisation, est compréhensible. Mais, cela n’a pas suffi à mettre de la joie dans le cœur des tchadiens. Il risquerait même d’être contreproductif et de créer un sentiment de frustration pour les sportifs qui ne réaliseraient que des performances comme égaler ou battre le record du Tchad en athlétisme, ou se hisser au niveau des phases finales d’une compétition internationale.

Dans la dynamique enclenchée par le chef de l’Etat, il serait souhaitable que le gouvernement recherche les voix et moyens de  rendre effective cette volonté de prendre le taureau par les cornes. Car, si rien n’est entrepris à brève échéance, le sport tchadien n’ira dans les compétions internationales que pour participer, conformément au vœu dépassé de Pierre DE COUBERTIN, promoteur des jeux olympiques. Ce serait alors très dommage pour le Tchad, considéré en Afrique et dans le monde comme le pays d’où sont issus de grands champions : Idriss OUYA, Ahmet ISSA, Elie YANAYAMBAL, Ahmet SENOUSSI, De Gaule KINDER, Kaltouma NADJINAN, etc.  Espérons ne pas en arriver là !

BANGALI DAOUDA Boukar

         Professeur de sport

         Bureau d’Etude et Conseils en Sport

         Email: b.daouda87@yahoo.com

         Tel :   +336 13 82 96 26    

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