Le président de la Commission de l’Union africaine s’apprête à soumettre un rapport à la prochaine session du Conseil de paix et de sécurité, ce 11 novembre. Il y désavoue la décision de la CEEAC de nommer Félix Tshisekedi facilitateur du processus de transition au Tchad et tire à boulets rouges sur le régime de N’Djamena.

Dans un message transmis le 8 novembre à son homologue namibien, Hage Geingob, via son ambassadeur à Windhoek et dont Jeune Afrique s’est procuré copie, le président congolais, Félix Tshisekedi, a explicitement demandé à ce que son pays soit invité à participer à la session du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) – dont la Namibie assure la présidence pour ce mois de novembre – prévue pour le 11 novembre à Addis-Abeba.

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La situation au Tchad sera en effet le principal sujet abordé par les quinze membres du CPS, organe décisionnel permanent de l’UA pour tout ce qui concerne la prévention, la gestion et le règlement des conflits, et Félix Tshisekedi, qui a été désigné par ses pairs d’Afrique centrale réunis à Kinshasa le 25 octobre comme « facilitateur du processus de transition en République du Tchad », estime que, « compte tenu du principe de subsidiarité », la décision le nommant à ce poste doit être « respectée par l’Union africaine ». Or, si l’on en juge par la teneur du rapport qui sera soumis le 11 novembre au CPS par le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, ce n’est manifestement pas le cas.

Menace de sanctions

Ce rapport, dont Jeune Afrique a pris connaissance, préconise en effet de nommer un facilitateur de l’UA au Tchad (en précisant qu’il s’agit d’« un chef d’État en fonction »), sans prendre en considération les résolutions du sommet de la CEEAC de Kinshasa – sommet auquel Moussa Faki Mahamat n’avait pas été convié. Ce rapport de huit pages se lit par ailleurs comme un véritable réquisitoire contre l’actuel régime tchadien et, en filigrane, contre son président, Mahamat Idriss Déby Itno.

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Après avoir exprimé « [sa] grande déception et [son] profond regret face au refus des autorités de transition de respecter la période de transition convenue de dix-huit mois […] ainsi que le refus des autorités actuelles de respecter l’interdiction faite aux membres du CMT de se porter candidats aux élections », le président de la Commission de l’UA agite ouvertement la menace de sanctions, qualifiées de « mesures à prendre nécessairement […] à l’encontre des autorités de la transition pour le non-respect des engagements pris ».

Cela relève, selon lui, d’« une exigence de cohérence avec la position constante de l’Union africaine concernant les quatre autres cas de changements anti-constitutionnels de gouvernement en cours actuellement en Afrique, à savoir le Soudan, le Mali, la Guinée et le Burkina Faso ».

« Véritables négociations politiques »

Concernant ce qu’il appelle « les évènements tragiques du 20 octobre 2022 », Moussa Faki Mahamat va totalement dans le sens du narratif des opposants tchadiens, sans tenir compte de celui du pouvoir, pour qui il s’agit d’une insurrection, voire d’une tentative de coup d’État. Il appelle en effet le CPS à « condamner fermement les meurtres, la torture, l’arrestation et les emprisonnements arbitraires de centaines de civils », parle de « répression sanglante », exige « la libération immédiate de tous les détenus politiques », ainsi que l’ouverture d’une « enquête sérieuse et crédible » sur ces événements.

La solution politique passe selon lui par l’engagement « de véritables négociations politiques entre tous les acteurs, de manière inclusive », toute autre voie étant selon lui « destructrice pour le pays » – ce qui revient à dénier la légitimité des résolutions issues du Dialogue national inclusif et souverain.

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Ce réquisitoire de Moussa Faki Mahamat est, on le voit, très éloigné du conciliant communiqué final de la réunion des chefs d’État d’Afrique centrale. Tout juste se contente-t-il de suggérer une simple coordination entre la commission de l’UA – qui aurait clairement le leadership sur ce dossier – et la CEEAC. La position qu’adopteront le 11 novembre les deux pays membres à la fois de la CEEAC et du CPS, le Congo Brazzaville et le Burundi, sera à cet égard très suivie.

Quant aux autorités de N’Djamena, qui considèrent depuis longtemps que Moussa Faki Mahamat – dont l’ambition de briguer la présidence de la République à l’issue de la période de transition est de moins en moins hypothétique – n’est pas un arbitre impartial, elles trouveront dans ce rapport à charge la justification de la petite phrase lancée par Mahamat Idriss Déby Itno au sommet de Kinshasa : « Moussa Faki est un acteur politique tchadien. »

Jeune Afrique

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