22 novembre 2025 TCHAD – Afrique Centrale : L’Événement | Afrique centrale Les programmes du FMI hypothéqués par le déficit public gabonais.
L’endettement du Gabon perturbe les équilibres de la zone du franc CFA et menace directement le soutien du Fonds monétaire international au Tchad et à la Centrafrique. Lors d’une récente visite à Libreville, le directeur Afrique de l’institution internationale s’est dit disposé à discuter avec le Gabon.
La fin de l’année s’annonce tendue au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Cemac). L’endettement du Gabon, à hauteur de 80 % de son PIB – les critères communautaires imposent une limite fixée à 70 % du PIB –, crée un déséquilibre sur les indicateurs macroéconomiques de la zone du franc CFA, menaçant directement les finances de deux de ses voisins : le Tchad et la Centrafrique, chacun en discussions avec le Fonds monétaire international (FMI).
La situation gabonaise a attiré l’attention lors des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale (BM), en octobre, à Washington. Conscient que l’État n’était pas prêt à négocier avec les institutions de Bretton Woods, le ministre gabonais des finances et de l’économie, Henri-Claude Oyima, n’a pas jugé utile de se déplacer, provoquant le mécontentement de ses homologues.
Lors d’une réunion des ministres des finances de la Cemac, le Tchadien Tahir Hamid Nguilin s’est agacé de la double casquette de son homologue gabonais, toujours PDG du groupe BGFIBank, s’étonnant que le régulateur n’intervienne pas. La Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) a pourtant transmis à Libreville, peu après la nomination d’Henry-Claude Oyima, une note explicitant l’incompatibilité des deux fonctions.
La sortie de Tahir Hamid Nguilin, inhabituelle dans ces réunions au ton feutré, a pris par surprise Herman Nzébi, conseiller spécial du chef de l’État gabonais, Brice Clotaire Oligui Nguema, et responsable du département économie de la présidence, qui avait fait le déplacement à Washington.
Secousses sur le secteur pétrolier
En juillet, N’Djamena avait signé avec le FMI un programme de soutien par le biais d’une facilité élargie de crédit (FEC) à hauteur de 625 millions de dollars sur quatre ans. Celle-ci vise notamment à soutenir le plan national de développement 2025-2030 du Tchad. Une première tranche de 38,5 millions de dollars a déjà été décaissée, et une seconde, du même ordre de grandeur, était prévue pour fin 2025. Toutefois, le FMI envisage désormais d’interrompre ce financement en raison de la dégradation des comptes publics gabonais.
Une perspective qui menace également le ministre centrafricain des finances, Hervé Ndoba. Depuis 2023, Bangui bénéficie d’un programme du Fonds monétaire international, également sous la forme d’une FEC, pour un montant total de 191,4 millions de dollars sur trois ans. Le ministère des finances travaille actuellement sur la cinquième revue de l’accord avec le FMI, dont l’achèvement était prévu le 15 décembre, et qui aurait dû permettre le décaissement de 20 millions de dollars d’ici à la fin de l’année. L’échéance a finalement été remise à février, en raison de l’absence de révision de la structure des prix des carburants importés du Cameroun par la société Netpune Oil. L’institution internationale estime que ces tarifs restent toujours trop élevés, ce qui pèse sur les finances de l’État.
Si ce décaissement venait à être refusé, la note pourrait s’alourdir de 10 millions d’euros pour Bangui. En effet, en octobre, la France a accordé à la Centrafrique un prêt concessionnel de 25 millions d’euros par le biais de l’Agence française de développement (AFD), afin de permettre au pays de faire face à ses échéances. Or, 15 millions d’euros seulement ont déjà été versés et la seconde tranche est conditionnée à l’approbation de la revue par le FMI.
Déficit net en devises
Cette interdépendance des pays de la zone Cemac remonte à 2016. Frappée de plein fouet par la chute des cours du pétrole et fortement dépendante des importations, la sous-région a vu son endettement exploser, menaçant l’équilibre de sa monnaie.
La commission de la Cemac avait alors signé un programme-cadre avec le FMI, le Programme des réformes économiques et financières, dit « Pref-Cemac ». Il instaurait une forme d’assurance collective. Pour qu’un pays puisse accéder à un programme, les autres devaient respecter les critères de convergence de la zone, à savoir un endettement limité, un déficit public maîtrisé, un contrôle de l’inflation, un solde extérieur relativement équilibré et surtout la gestion des réserves de change, censée garantir la stabilité de la monnaie unique. Dans ce cadre, un contrôle strict des sorties de devises avait été imposé aux entreprises, suscitant les critiques des patronats locaux (AI du 01/05/25).
Or la coûteuse politique de grands travaux menée par Brice Clotaire Oligui Nguema depuis le début de la transition a entraîné de fortes sorties de devises étrangères et une dégradation des réserves de change de la zone du franc CFA. En cette fin 2025, le Gabon est le seul pays de la zone à enregistrer un déficit net en devises, à hauteur de 150 milliards de francs CFA (229 millions d’euros). Cette situation a été aggravée par le rachat de son eurobond en 2025, pour 315 millions de dollars. La BEAC s’est ainsi éloignée de son objectif de six mois de couverture des importations en devises, tombant à quatre mois et demi.
Pôle de stabilité
Libreville ne compte toutefois pas dévier de sa stratégie et prévoit de poursuivre sa politique d’investissements publics, avec un budget 2026 fixé à 7 233 milliards de francs CFA (environ 11 milliards d’euros), en hausse de 72 % par rapport à l’année précédente. Pour le financer, Henri-Claude Oyima mise sur une hausse des recettes fiscales, notamment minières, tout en ouvrant la voie à des financements privés et à des prêts concessionnels des bailleurs internationaux.
Afin de défendre la pertinence de sa politique de grands travaux, Brice Clotaire Oligui Nguema a invité le directeur Afrique du FMI, Abebe Aemro Selassie, à Libreville, le 5 novembre. À court terme, le Gabon compte également sur ses rentrées pétrolières prévues fin 2025 et début 2026 pour redresser ses réserves de change et convaincre le FMI de reprendre les discussions.
Dans le reste de la zone, l’émission d’un eurobond par le Congo, le premier depuis vingt ans, à hauteur de 605 millions de dollars, devrait également permettre l’entrée de devises étrangères, si Brazzaville décide d’en déposer une partie à la BEAC.
Enfin, le Cameroun reste un pôle de stabilité, contribuant à hauteur de moitié aux réserves de change de la zone. Yaoundé n’a pas encore décidé s’il souhaite relancer un programme avec le FMI, et attend l’arbitrage de Paul Biya.
Fonctionnement opaque
Cette perspective est soutenue par le ministre des finances, Louis-Paul Motaze, mais soulève la méfiance du secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh. En échange d’un programme, l’institution de Breton Woods demande la suppression des chapitres communs 65 et 94, en débat depuis plusieurs mois à Yaoundé.
Ces lignes budgétaires stratégiques au fonctionnement opaque, respectivement intitulées « dépenses communes » et « intervention et investissements », servent à régler les dépenses « imprévues » ou « exceptionnelles », pour la présidence, un ministère ou en soutien au secteur privé. Autrefois contrôlées par les ministères des finances et de l’économie, ces lignes qui représentent plusieurs centaines de milliards de francs CFA sont depuis plusieurs années sous la tutelle du secrétariat général de la présidence (AI du 08/02/22).
En juillet, dans une circulaire relative à la préparation du budget 2026, Paul Biya a ouvert la voie à une réforme de tous les chapitres communs (60, 65, 92, 93, 94 et 95), et prévoit leur mutation en « dotations pour dépenses accidentelles et imprévisibles plafonnées à 10 % des dépenses totales hors service de la dette ».
