«L’alternance est possible, nous y croyons fermement. Nous pensons même qu’elle aura lieu en 2016, si rien ne se produit d’ici là au Tchad et nous nous y préparons.»
Législatives en 2015, présidentielle en 2016… Au Tchad, les élections approchent. C’est pourquoi, ce week-end, l’un des principaux partis d’opposition, l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau, l’UNDR, a tenu son cinquième congrès à Moundou, la grande ville cotonnière du sud.

Au terme de ce congrès, Saleh Kebzabo a été réélu à la tête de l’UNDR. En ligne de Moundou, le député tchadien répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Est-ce que l’alternance est possible au Tchad ?

Saleh Kebzabo : Oui, elle est possible. Nous y croyons fermement et nous pensons qu’elle aura lieu en 2016, si rien ne se produit d’ici là au Tchad, et nous nous y préparons.

Depuis la naissance du multipartisme il y a vingt ans, vous avez toujours perdu les élections. Est-ce que vous êtes sûr que cela peut changer ?
Nous avons toujours « perdu » puisque nous avons toujours dit que le président Déby et son parti le MPS, n’ont véritablement jamais gagné aucune élection dans ce pays. Tout le monde le sait et eux-mêmes le savent. Alors ce sont nos capacités de résistance et de réplique qui ont été mises à rude épreuve. Et je pense qu’avec les années, l’expérience accumulée, nous saurons mieux gérer les élections, nous saurons garder les résultats et nous saurons résister en cas de problème quelconque.

A l’exception de Moundou, où vous venez de tenir congrès, le parti au pouvoir MPS tient toutes les grandes villes du Tchad. Est-ce que vous n’êtes pas en position de faiblesse ?

Absolument pas. Dans ce pays au plan sociologique, nous savons que l’opposition est majoritaire. Mais nous n’avons pas les mêmes moyens que le parti au pouvoir qui a les caisses de l’Etat devant lui, qui a l’administration devant lui, qui a la chefferie devant lui. Et ce n’est pas le fait du hasard d’ailleurs, que les salaires des chefs traditionnels aient été sensiblement rehaussés depuis l’année dernière et que ceux de l’administration territoriale soient aussi rehaussés de façon très sensible cette année. Donc, on a maintenant trouvé l’alternative avec des militants beaucoup plus engagés, plus aguerris, mieux formés pour vraiment défendre les résultats que nous allons obtenir. Je vous rappelle quand même qu’une ville comme Abéché, que le MPS considère comme son bastion, a voté UNDR aux dernières législatives. Je ne dis pas que nous avons gagné cinq sièges. Nous savons dans quelles conditions le parti au pouvoir a récupéré ces cinq sièges. Donc nous allons résister, nous allons gagner. Nous savons comment faire.

Autre problème, vos divisions internes dans l’opposition. Avec par exemple, la rivalité entre Ngarlejy Yorongar et vous-même ?

Mais je pense que chacun à sa vanité, chacun à sa vantardise. Mais le moment venu il faut ravaler tout cela sous la pression des événements, sous la pression des hommes de l’opposition. Je pense qu’on est capables de ramener à la raison. Il n’y a pas que nous deux. Nous sommes plus nombreux que cela dans l’opposition. C’est le problème des ego personnels de tous les leaders de l’opposition dans tous les pays du monde. Mais lorsque nous allons prendre conscience, comme on l’a fait au Sénégal dernièrement, qu’il faut se regrouper tous face aux mêmes dangers pour le pays. Je pense qu’il y aura la capacité de se regrouper.

Depuis le boom pétrolier, le Tchad se modernise. On y construit des routes, des hôpitaux, des écoles. N’est-ce pas un bon point pour le président Idriss Déby ?

Sans doute. Lorsqu’on voit tout cela de loin, on pense que c’est un bon point pour lui. Mais pour ceux qui sont dans le pays qui vivent tout cela, nos savons que tous les investissements, toutes les infrastructures, donnent l’occasion à des détournements encore massifs. Mais les Tchadiens savent surtout, dans la rue on peut vous le dire, que leur assiette n’a pas pris un gramme de plus depuis que le pétrole coule au Tchad. Bien au contraire, le niveau de vie du Tchadien moyen a diminué. Les gens ne mangent pas à leur faim, les gens ne se soignent pas correctement, leurs enfants ne sont pas bien éduqués, ainsi de suite. Donc, je crois que tout cela c’est de la poudre aux yeux. Nous avons des programmes alternatifs. On doit révolutionner tout cela et on va amener des solutions appropriées à notre pays.


En Centrafrique, il n’y a plus de soldat tchadien depuis que le président Déby a décidé de les rappeler pour dénoncer le lynchage politique et médiatique dont ils sont victimes. Qu’est-ce que vous en pensez ?

J’allais dire ouf ! Les Tchadiens ont quitté la RCA et nous souhaitons que le départ des Tchadiens de la RCA puisse faciliter maintenant le règlement de la crise centrafricaine. Le président Déby lui-même dit que ça fait vingt ans que nous sommes en RCA. Qu’est-ce que nous y avons fait depuis vingt ans ? En tout cas, le bilan est là devant nous. C’est des milliers, des milliers et des milliers de morts, des centaines de milliers de gens qui ont été obligés de quitter ce pays. Tout cela est, je crois, la conséquence de cette politique d’expansionnisme qui ne dit pas son nom. On a été en RCA depuis vingt ans. Qu’est-ce qu’on y cherchait et qu’est-ce qu’on y a fait ? Pourquoi on est arrivés au résultat actuel ? C’est pour cela que moi, je dis que c’est une bonne chose qu’on se retire. Il faut maintenant qu’on en fasse le bilan calmement, et surtout nous à l’UNDR et dans l’opposition, nous disons qu’il faut qu’il y ait une commission d’enquête internationale qui aille en RCA pour établir les faits. Qu’est-ce que les Tchadiens ont fait là-bas ? Quelles sont leurs responsabilités ? Qu’est-ce que les Centrafricains ont fait ? Qu’est-ce que les anti-balaka et autres Seleka ont fait ? Nous avons besoin d’un éclairage tout à fait neutre.

La plupart des musulmans ont dû quitter Bangui et l’ouest de la Centrafrique. Peut-on parler d’une épuration ethnique ?

Ce qui se passe en RCA est extraordinaire. Depuis le 5 décembre, les Centrafricains ont subitement fait preuve de bravoure et d’esprit guerrier qui nous surprend. Qui manipule ça et qui tire les ficelles ? Nous savons que l’ancien président Bozizé y est pour quelque chose, c’est vrai. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut chercher à comprendre d’où vient le fait que les Centrafricains subitement s’en prennent à leurs frères, s’en prennent à leurs compatriotes, s’en prennent à des gens qui sont des musulmans, alors qu’ils ont toujours vécu ensemble de tout temps. C’est un mystère.

Au Congrès de votre parti UNDR étaient invités plusieurs partis progressistes de la région, du Niger, du Congo Brazzaville, de Guinée équatoriale. Pourquoi cette initiative ?

Il y a le fait que tous les partis de gauche, tous les partis de tendance démocratique, de plus en plus ressentent le besoin de se démarquer, de se retrouver. A Niamey, au Congrès du PNDF en décembre dernier, il y avait une douzaine de partis. Je pense que c’est bon, on est dans la bonne direction. Et surtout plus qu’au sein de l’Afrique centrale qui est très en retard dans tous les domaines et dans ce domaine particulièrement. Je crois que c’est un déclic.

Mais le parti au pouvoir MPS se revendique également comme un parti progressiste, un parti de gauche.

Vous savez, dans un pays comme le Tchad où l’injustice est criante, où l’impunité est de rigueur, qui du MPS se dit de gauche, je crois qu’il faut lui répondre que, être de gauche ce n’est pas un paillasson sur lequel n’importe quel dictateur va venir essuyer ses pieds.

RFI

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