Mahamat Saleh Annadif, Secrétaire Général de la Présidence du Tchad, a été arrêté le 17 avril 2012. Bien que ses avocats n’aient pas eu accès au dossier il semble que leur client soit inculpé de complicité dans une affaire de détournement de deniers publics à la Direction Générale des Grands Travaux et Projets Présidentiels.
Comme beaucoup d’affaires politico-judiciaires sur la place publique tchadienne ces derniers temps, l’instruction du dossier de Mahamat Saleh Annadif fait fi des droits de la défense et de la procédure pénale tchadienne.
Les associations des droits de l’homme, des partis politiques, les syndicats et de nombreuses organisations de la société civile essaient de faire pression sur le pouvoir politique tchadien afin que le droit tchadien soit respecté par le parquet, que la séparation des pouvoirs soit effective avec un ordre judiciaire indépendant du pouvoir en place

Les faits :
Mahamat Saleh Annadif était Secrétaire Général de la Présidence de la République du Tchad.
 Une affaire liée à l’affaire Zen Bada :
Lors de l’instruction du dossier de M. Zen Bada (Directeur des Grands Travaux et Projets Présidentiels) pour détournement de fonds, les enquêteurs ont trouvé une correspondance adressée au Directeur Général de la BCC, l’ordonnant «  que la gestion et la signature du compte Hadj 371 178 5740 ouvert dans vos livres sont maintenant confiées à la Direction Générale des Grands Travaux et Projets Présidentiels ». Comme Cette pièce porte la signature de M. Annadif, il a été convoqué par le juge d’instruction pour fournir des explications.                                                                                                                                                                                  
Le Secrétaire Général de la Présidence a alors produit devant le juge d’instruction la copie de cette même pièce, conservée au Secrétariat Général de la Présidence et portant le visa du Président de la République, approuvant le transfert. Ayant produit une justification prouvant que le transfert litigieux avait été fait sur instructions du Président de la République, M. Annadif n’a pas été inquiété.
Malgré des rumeurs circulant à N’Djaména et sur l’Internet et faisant état tantôt de son arrestation tantôt de son interdiction de voyager, M. Annadif a pu repartir en France pour des examens médicaux.

Arrestation :
A son retour de la France, le 09 avril 2012, il a reçu une convocation le 16 avril pour se présenter devant le Juge d’instruction le lendemain, 17 avril 2012. Mahamat Saleh Annadif se présente devant le juge d’instruction. Il se voit alors notifier par le juge qu’il y a des preuves qui établissent sa complicité dans cette affaire de détournement sans pour autant lui produire ces éléments de preuves. Sans autre forme de procès, le juge l’accuse de complicité de détournement de fonds et le met sous mandat de dépôt. En cinq minutes, le Secrétaire Général de la Présidence passe de la liberté à la prison.

Détention :
Il est gardé dans un premier temps à la Brigade de Stupéfiant de Moursal avant d’être transféré à Moussoro le 22 avril.
Ses avocats dont son avocat français qui avait fait spécialement le déplacement ont demandé à avoir accès au dossier d’accusation de leur client, ce qui leur a été refusé. Maitres Josué Ngadjadoum, Sobdibé Zoua et Serge Terracol-Lajeune ont alors prévenu l’opinion nationale et internationale par un point de presse, le mardi 24 avril 2012.
Ils ont également voulu rencontrer leur client à Moussoro, le 1er mai 2012, mais l’accès leur a été interdit. Les avocats ont alors saisi une nouvelle fois l’opinion en faisant une conférence de presse, le jeudi 03 mai. Ils ont également écrit une lettre au Président de la République, président du Conseil Supérieur de la Magistrature, pour se plaindre du non-respect des droits élémentaires de la défense dans cette affaire. Ce n’est que le 5 mai 2012 que les avocats ont pu rencontrer leur client pendant 30 minutes.
Une procédure juridique défaillante, juge d’instruction incompétent :
Les avocats de Zen Bada ont attaqué l’affaire de leur client, pour des vices de procédure, devant la Cour Suprême. Selon le code de Procédure Pénale Tchadien, le juge d’instruction est d’office dessaisi en attendant le verdict de la Cour Suprême. Malgré cela, le juge d’instruction a continué son travail comme si de rien n’était. Mais tous les actes du juge d’instruction après la saisine de la Cour Suprême sont nuls. L’arrestation de M. Annadif fait partie de ces actes touchés par la nullité.

Absence de réquisition supplétive :
Monsieur Annadif a été entendu dans l’affaire Zen Bada en tant que témoin. Pour faire passer une personne du statut de témoin à celui d’accusé il faut que le Procureur de la République ait fait une réquisition supplétive. A la connaissance des avocats aucune réquisition supplétive n’a été faite. En inculpant Mahamat Saleh Annadif pour complicité de détournement de déniés public, le juge d’instruction viole donc les dispositions du Code de Procédure Pénale Tchadien.
 De « prison » en prison :
M.    Mahamat Saleh Annadif n’a pas été transféré à la maison d’arrêt de N’Djaména mais il a été gardé dans les locaux de la Brigade de Stupéfiant de Moursal. Cet endroit n’est pas une prison et ne peut servir à la détention même provisoire de détenu. C’est encore une fois en violation des dispositions du Droit Tchadien que M.Annadif a été gardé dans ces locaux.
Le 22 avril à 5h00 du matin, le prisonnier est transféré au « bagne » de Moussoro sans que sa famille et ses avocats ne soient prévenus. Ce transfert viole également les dispositions du droit.

Violation des droits de la défense :
Le collectif des avocats de M.Annadif, Maitres Josué Ngadjadoum, Sobdibé Zoua, Mogna et maitres Terracol-Lajeune (barreau de Toulouse), a protesté devant le Président de la République du non-respect des droits de la défense notamment en ce que :
Les avocats se sont vu interdire l’accès à leur client à Moussoro et ce jusqu’au 5 mai 2012 alors même que « les dispositions de l’article 43 (du Code de Procédure Pénale) qui disent en fait que l’inculpé, aussitôt après son inculpation peut communiquer librement avec son conseil »[1]
Le juge d’instruction refuse aux avocats l’accès au dossier de leur client, dossier sans lequel ils ne peuvent préparer sa défense. « Le juge d’instruction a refusé de mettre le dossier (d’accusation) à notre disposition alors même que selon la loi, il est obligé de mettre le dossier à notre disposition pour pouvoir assurer notre travail. Aujourd’hui nous ne savons pas ce qu’il y a dans ce dossier, qu’est-ce qu’on reproche exactement à Monsieur Mahamat Saleh Annadif. » [2]
 
Non-respect du statut de M. Annadif :

En tant que Secrétaire Général de la Présidence, M.Annadif a un statut assimilé à celui des ministres de la République. Il convient donc de le juger en fonction d’une législation spéciale devant la Haute Cour de Justice. Cette procédure est volontairement occultée par le parquet et dans l’affaire Annadif et dans les cas des deux ministres arrêtés dernièrement
 [3].
 
Non-respect de la législation spéciale en matière de détournement de fonds publics :
Le parquet ne respecte pas la législation spéciale en matière de détournement de fonds publics et en particulier les instances susceptibles de saisir le parquet ou la procédure d’enquête préalable avant mise en accusation [4].
 
Recours devant la chambre d’accusation :
Les avocats de Monsieur Annadif ont saisi la chambre d’accusation et lui ont présenté quatre chefs de nullité de la procédure engagée contre leur client. La chambre  a rejettée la requette des avocats le 10 mai 2012.

Dimensions politiques d’un non-respect du Droit Tchadien :
Les arrestations ou les projets d’arrestation de ces derniers temps avec M.Annadif et deux ministres se passent au moment où la justice tchadienne est sur la sellette de la communauté internationale dans la retentissante affaire Gali (affaire toujours en cours puisque après avoir félicité les juges d’avoir condamné Gali en première instance, le ministre de la justice a fait faire appel de la décision rendue en faveur de M.Gali, en Appel, devant la Cour Suprême et n’a pas manqué de sanctionner le courageux juge Emmanuel Derkeumbé qui a mis à nu ses visés).
Les parlementaires Tchadiens se plaignaient le 25 mars 2012 d’une « dangereuse dérive autocratique du pouvoir » suite aux poursuites contre des membres de l’opposition ou de la société civile : Gali N’gothe Gatta, Saleh Kebzabo, Dezoumbet Passalet, Ibni Oumar Mahamat Saleh, … Cette fois-ci les foudres de la justice s’abattent sur des personnalités proches du pouvoir : M. Zen Bada mais aussi des ministres et le Secrétaire Général de la Présidence.
L’opération « mains propres » serait mieux accueillie si elle se faisait dans le plus strict respect du droit Tchadien. 
«  En refusant de suivre les procédures régulières, en matière judiciaire et en ignorant les cours spécialisées et la police en charge des crimes financiers, censées monter les dossiers d’inculpation en bonne et due forme, il y a anguille sous roche. Soit l’on craint de laisser du temps aux mis en cause pour préparer leur défense, soit les dossiers sont vides : dans ce cas, la seule chance d’humilier la “cible” est de passer par un détour extrajudiciaire. L’emprisonnement préalable devient ainsi une procédure idoine de règlement de compte aux amis fidèles devenus gênants, encombrants ou portant ombrage aux “affaires” de certains caciques du régime »[5].
 
Le non-respect du droit, les déclarations fracassantes du ministre de la justice dénonçant un complot contre l’État dès qu’une personne demande publiquement le respect de l’État de Droit, le caractère expéditif de procédures engagées sur de simples dénonciations… tout cela conforte malheureusement les craintes des démocrates vis-à-vis de la situation du Tchad.
Les violations répétées et sans vergogne du Droit semble prouver, malgré les démentis du ministre tchadien de la justice, que l’ordre judiciaire est ou bien incompétent, malgré les milliards investis par l’Union Européenne dans le cadre du programme de soutien au pouvoir judiciaire Tchadien, ou bien soumis à un pouvoir exécutif qui l’utilise pour écarter les personnes lui faisant de l’ombre.

« Le fait de procéder à de tels schémas pour arrêter certains caciques du régime est une erreur monumentale. Car, cette façon de faire révolte et enlève en nos institutions leurs valeurs sacrées. Autrement dit, c’est le recul d’une démocratie qui a déjà fait du chemin
 [6]. »
Le pays a besoin que « les partenaires internationaux du Tchad, les organisations internationales, régionales et sous régionales et les différentes assemblées supra nationales soient interpellés afin d’obliger l’État tchadien à respecter les lois et que soient préservées les prérogatives et la sécurité des acteurs politiques et sociaux il faut sauver les libertés et la démocratie au Tchad afin de préserver la paix » (mémorandum des parlementaires).
 
Le procés Annadif et le fonctionnement de la justice tchadienne sous les projecteurs de l’Union Européenne :
 
Le programme européen d’appui à la justice du Tchad (PRAJUST) a pour objectif fondamental de promouvoir l’état de droit, la protection des libertés individuelles et la garantie des droits des personnes. Le fonctionnement fiable des tribunaux est une condition absolue de la sécurité publique sans laquelle le développement d’un pays est voué à l’échec :
 
–        il ne sert à rien d’avoir des lois parfaites si elles sont mal appliquées par une justice aux ordres du gouvernement inefficace ou soupçonnée de corruption,
 
–        la justice doit être indépendante de tout pouvoir, rendue par des magistrats et des greffiers qui ont été correctement formés initialement et qui bénéficient de formation continue et de recyclage.
–        Les moyens doivent être fournis pour que les jugements soient rendus en bon nombre et les décisions de justice appliquées.
 
L’Union Européenne et la République du TCHAD ont signé une convention le 25 février 2009 pour quatre ans, l’apport financier est :

–        
de 25 millions d’euros pour l’Union Européenne
–        et de 10 millions d’euros pour la République du TCHAD
Afin que la justice du Tchad soit un véritable service public à même de répondre aux besoins de la population et d’instaurer une sécurité juridique et judiciaire qui permettra un développement économique et une réduction de la pauvreté. Que nul n’ignore que l’Union Européenne observera le déroulement du procès Annadif avec attention. Car au tchad il existe une justice a deux vitesses!
 
Présentation :
Mahamat Saleh  Annadif, est né en 1956 à Arada (Biltine). Il est fils du chef de canton arabe,  Mahariyé d’Arada.
Revenu de Madagascar en 1981 sous le gouvernement du GUNT, MSA, qui est ingénieur de conception en télécommunication, est intégré à l’Office National des Postes et Télécommunication (ONPT) mais il a dû se rendre à l’évidence très tôt.
C’est aussi en 1981 que MSA s’engage dans la lutte en intégrant le Frolinat/CDR. Responsable de l’information et de la propagande de 1982 à 1985 il devient second vice-président du CDR à la mort du leader charismatique du Conseil Démocratique Révolutionnaire, Acyl Ahmat Aghbach. Il seconde Acheikh Ibn-Oumar. Ses qualités de diplomate lui ont permis de faire du lobbying auprès des autorités des pays d’accueil de ses camarades en exil et d’être le principal négociateur du mouvement avec le président Hissein Habré. Il conduisit les négociations de Bagdad qui ont permis le retour des cadres du CDR au Tchad.
Dès son retour d’exil, Annadif fut nommé Secrétaire d’État à l’Agriculture. Il occupa ce poste jusqu’à l’arrivée du MPS.
Dès janvier 1991, il occupa le poste de Directeur Général de la Télécommunication Internationale du Tchad (TIT). Durant sept ans, il occupa cette fonction qu’il cumula pendant deux ans avec celui de Directeur Général de l’Office National des Postes et Télécommunication.
En 1997, il est appelé à la tête de la diplomatie tchadienne. Fin 2004, Idriss Déby Itno l’appelle à ses côtés pour être Directeur du Cabinet Civil de la Présidence de la République. En mai 2006, MSA devient Conseiller d’Alpha Oumar Konaré, Président de la Commission de l’Union Africaine, puis Représentant de l’Union Africaine auprès de l’Union Européenne et de l’OTAN.
Il a été rappelé au Tchad par le Président Idriss Déby Itno pour être Secrétaire Général de la Présidence du Tchad en avril 2010.
Il est membre fondateur du PLD avec Ibni Oumar Mahamat Saleh, disparu lors des évènements de 2008. Il a accédé à la dignité d’Ambassadeur du Tchad.
Il est actuellement un diplomate connu et reconnu à qui on doit rendre sa liberté et son honneur. 
P.J :
– Le PV de constat d’huissier à la prison de Moussoro
– La lettre des avocats au Président de la République
[1] Conférence de presse du collectif des Avocats au Centre Al Mouna le 3 mai 2012.
[2] Idem.
[3] La Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme a à ce sujet émis de vives protestations restées sans réponse.
[4] Conférence de presse des avocats du 3 mai 2012.
[5] Journal La Voix 051, 24 avril-1er mai 2012.
[6]Paul BianzeuFoba, Pfoba @yahoo.fr, La Voix 051. 
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