Le procès des assassins présumés de Thomas Sankara s’ouvrira le 11 octobre. Principal accusé, l’ancien président burkinabè, en exil en Côte d’Ivoire. Pour Guy-Hervé Kam, l’avocat des autres victimes de cette tuerie, son absence n’empêchera pas la manifestation de la vérité.

Le moment sera évidemment historique, mais aussi émouvant pour les familles des victimes. Lundi 11 octobre, à 9h, devant le tribunal militaire de Ouagadougou et dans la salle des banquets de Ouaga 2000, s’ouvrira le procès des assassins présumés de Thomas Sankara et de ses douze compagnons. Douze hommes tués aux côtés du président burkinabè le 15 octobre 1987 et qui, pendant des années, sont restés dans l’anonymat.

Parmi eux, quatre membres civils du cabinet spécial de Sankara (Paulin Bamouni, Patrice Zagré, Frédéric Kiemdé et Bonaventure Compaoré) et huit militaires (l’adjudant Christophe Saba, trois chauffeurs du convoi présidentiel et quatre gardes du corps).

Tous ont été froidement abattus par le commando qui a fait irruption au Conseil de l’Entente ce jour-là, puis enterrés de nuit, à la va-vite, en périphérie de la capitale. Depuis, leurs proches, comme ceux de « Tom’ Sank’ », se battent pour connaître la vérité et obtenir justice.

Avocat et cofondateur du mouvement Balai citoyen, qui a animé la contestation populaire contre le régime de Blaise Compaoré en 2014, Guy-Hervé Kam est l’avocat des familles de ces victimes. Avant l’ouverture de ce procès tant attendu, il répond aux questions de JA.

Jeune Afrique : Plus de trente ans après l’assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons, le procès va enfin s’ouvrir à Ouagadougou. Qu’en attendent les familles, que vous représentez ?

Guy-Hervé Kam : Elles attendent de savoir ce qu’il s’est vraiment passé ce 15 octobre 1987. Elles n’ont toujours pas fait leur deuil et ne savent pas précisément qui sont les responsables – même si tout le monde soupçonne Blaise Compaoré, le général Gilbert Diendéré et leurs hommes.

Pendant longtemps, ce sujet a fait l’objet d’une omerta au Burkina Faso. Personne ne prononçait le nom de Sankara. Pendant longtemps, les victimes tuées à ses côtés étaient quasiment anonymes, voire oubliées. Avec ce procès, nous allons savoir exactement qui étaient ces treize personnes tuées le 15 octobre 1987, pourquoi elles ont été tuées, qui les a tuées, qui a donné l’ordre de les tuer… Ce sera un moment important, qui permettra enfin de tourner cette page douloureuse et de faire notre deuil.

L’absence de Blaise Compaoré au procès empêchera-t-elle que la vérité soit faite, dans cette affaire d’État ?

Au vu des éléments du dossier, nous pensons que son absence ne nuira pas à la manifestation de la vérité. Des personnes présentes ce 15 octobre 1987 au Conseil de l’Entente et qui ont fait partie de la colonne mortelle sont encore en vie. Des témoins, qui se trouvaient avec le président Sankara, sont vivants. Nous sommes donc en mesure de reconstituer minute par minute ce qu’il s’est passé. Nous obtiendrons donc la vérité, même sans la présence de Blaise Compaoré.

Certes, les victimes ne pourront entendre ni Compaoré ni Hyacinthe Kafando [le chef du commando] expliquer pourquoi ils ont fait cela. Il n’empêche. Nous pourrons établir les différentes responsabilités à partir des éléments factuels et précis du dossier.

Comment qualifieriez-vous l’attitude de Blaise Compaoré, qui refuse d’assister à ce procès ?

C’est tout simplement irresponsable. J’ai toujours pensé que, pour une personne accusée à tort, la justice était un moment privilégié pour rétablir la vérité si nécessaire. Blaise Compaoré a toujours dit qu’il n’était pas au courant de cette affaire. Il a même dit qu’il dormait au moment des faits.

Ce procès était l’occasion, unique et rêvée pour lui, de pouvoir, avec d’éventuels éléments de preuves à l’appui – il a tout de même été chef de l’État par la suite, et pendant vingt-sept ans –, de laver son honneur, sali par cette affaire.

Son absence constitue-t-elle, à vos yeux, un aveu de culpabilité ?

Cela montre qu’il a des choses à se reprocher. C’est pratiquement un aveu de culpabilité. Mieux que quiconque, il sait que la justice a évolué au Burkina Faso, qu’elle est aujourd’hui indépendante. Il a accès à des avocats. S’il n’avait rien à se reprocher, il serait venu.

Le général Gilbert Diendéré, qui était à l’époque son adjoint, sera le principal accusé à la barre. Qu’attendez-vous de son témoignage ? 

Il est difficile d’imaginer qu’il se montrera coopératif. Pendant la procédure d’instruction, il a refusé d’admettre sa responsabilité. Il serait étonnant que cela change. À moins que, devant les victimes, il change de stratégie et leur dise la vérité en face. Cela serait sans doute la meilleure posture à adopter, mais je ne suis pas convaincu qu’il le fasse.

Déplorez-vous que les éventuelles implications étrangères dans l’assassinat de Thomas Sankara ne soient pas abordées en profondeur lors de ce procès ?

Oui, tout un pan du dossier va, pour le moment, rester en dehors du champ judiciaire. Mais le plus important est d’établir les responsabilités à l’intérieur du pays. La responsabilité de certains des accusés nous amènera sans doute à parler des implications extérieures.

Jeune Afrique

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