La motion de rejet contre le projet de loi du gouvernement adoptée lundi à l’Assemblée nationale constitue un coup d’arrêt pour l’ambitieux ministre de l’Intérieur. Maintenu en poste par Emmanuel Macron, il est chargé avec Elisabeth Borne de trouver une issue pour faire passer ce texte.

«Darmanin démission !» La clameur s’élève depuis les bancs de la gauche ce lundi 11 décembre à 17h40. Par 270 voix contre 265, la motion de rejet préalable au projet de loi immigration a été adoptée avec les voix des quatre groupes de gauche, ainsi que les groupes Rassemblement national (RN) et Les Républicains (LR). Au-delà du plaisir de mettre la macronie en déroute, gauche et droite trouvent une saveur particulière à faire chuter ce ministre-là. Gérald Darmanin tente de faire bonne figure, sourire crispé, pendant que des élus de la majorité viennent lui adresser un mot de réconfort ou une tape sur l’épaule. Lui qui se faisait fort d’apporter au président de la République une majorité sur ce texte controversé vient d’encaisser le plus gros revers de sa carrière.

Sans perdre son poste pour le moment. «Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer a remis sa démission au président de la République, qui l’a refusée», fait savoir l’Elysée, où Gérald Darmanin devait être reçu par Emmanuel Macron dans la soirée. «Je suis un homme d’honneur et le Parlement compte, il fallait que le Président tranche, il a tranché», confirme ensuite le ministre, invité du journal de 20 heures de TF1. S’il admet «un échec», c’est aux oppositions en général, tombées dans la «politicaillerie», et à la droite en particulier qu’il règle son compte. Chargés par le chef de l’Etat de trouver «un chemin de crête» pour sauver ce qui peut l’être du texte sur l’immigration, Gérald Darmanin et Elisabeth Borne devaient se réunir lundi soir à Matignon avec les huiles de la majorité. Ils sont censés annoncer, ce mardi, leur plan pour rebondir : soit un renvoi du texte au Sénat, soit une convocation directe de la commission mixte paritaire pour aboutir à un compromis entre les deux chambres et le gouvernement. Seul scénario exclu, celui du retrait : «Le texte va continuer son chemin», assure Darmanin sur TF1. Et menace : «Si on ne prend pas ces mesures, des drames nous attendent.»

«Sucette»

Quand Darmanin a-t-il senti venir le désastre ? A l’heure du déjeuner, recevant des députés de la majorité, le ministre semblait encore sûr de son fait. «C’est comme un oral du bac, ça ne sert à rien de stresser quand l’épreuve est passée», badine-t-il, avant de prendre congé d’un «je vous laisse, j’ai un discours à écrire !» A 14h30, il s’assoit à son bureau pour rédiger sept pages à la main. L’affaire se corse au fil de l’après-midi. Une fois prononcée l’intervention prévue – «Refuser de débattre de l’immigration c’est refuser les débats qui intéressent les Français» –, le ministre reste cramponné à son téléphone, branché en permanence à un chargeur. Ses messages sont ponctués de coups d’œil inquiets vers les bancs LR. Comme le RN, le groupe de droite annonce qu’il votera la motion de rejet déposée par le groupe écologiste. Chaque voix comptera.

Du haut du perchoir, la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet ; pianote un message inhabituel aux députés Renaissance : «Pour info je vote les amis !!!!» Quelques minutes avant le scrutin, Darmanin comprend que le vent a tourné. Il se lance dans une diatribe de perdant, étrangement agressif avec ceux qu’il ne peut désormais plus convaincre : «Les Français doivent comprendre qu’une partie de LR va voter comme la Nupes !» Toute la relation un brin sadomaso entretenue par Gérald Darmanin et son ancienne famille politique est là. Entre flatterie, concessions – «sucette», critiquent les députés LR – et rapport de force. Depuis plusieurs jours, le ministre moque cet improbable scénario unissant «la carpe et le lapin», la droite et la gauche votant ensemble contre son texte pour des raisons diamétralement opposées. Sur les plateaux ou en coulisses, il ne cesse de promettre que sa porte est ouverte aux députés LR, son portable allumé. «Je tends la main», répète-t-il, promettant de regarder de près le dispositif de «délit de séjour irrégulier» cher à la droite. Dans le même temps, il s’interroge à voix haute : LR est-il encore un parti de gouvernement ou un groupuscule versant dans «l’incantation» et tenté par la course avec le RN ? Aux députés de la majorité, il a confié lundi avoir trouvé Eric Ciotti, le président du parti, «sur une ligne plus dure» que Bruno Retailleau, chef des sénateurs LR avec lequel il avait pu passer quelques accords pour qu’un texte sorte du palais du Luxembourg début novembre.

«Tu ne peux pas te louper !»

Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, lundi soir, les députés Renaissance déploraient qu’outre la gifle collective infligée par les oppositions, les efforts du ministre de l’Intérieur pour résoudre l’équation impossible posée à son texte n’étaient vraiment pas récompensés. «Il a tout fait. Le problème, c’est la manière dont le texte a été présenté au départ, rembobine un député de l’aile droite de Renaissance. Gérald s’est démené pour que la fermeté prenne le pas sur l’équilibre, mais c’était trop tard, il fallait assumer dès le début que c’était un texte de droite.» Confronté à une gauche inflexible, Darmanin a toujours cru que la minuscule issue de secours était à droite toute. Avec son flair politique, son entregent et sa faculté à tricoter des deals, lui se croyait capable de réunir une majorité introuvable. Décrocher un à un des députés LR, en dépit des consignes passées par Eric Ciotti et leur chef de file Olivier Marleix, c’est le scénario qu’il avait vendu au président de la République. N’était-il pas le plus malin, Darmanin ? A Matignon, méfiante à l’égard de ce ministre qui a failli lui dérober son poste cet été, Elisabeth Borne laisse faire et dire. Endure, lorsque son ministre de l’Intérieur relève que lui n’a jamais eu à recourir à l’article 49.3. Et lui renouvelle, à longueur d’interviews, sa «confiance» comme la corde soutient un futur pendu. «Il a affiché ses ambitions pour 2027. C’est très bien, mais si tu as un projet de loi central pour les Français, tu ne peux pas te louper !» résumait, à la rentrée, un député Renaissance soufflé par son culot et perplexe sur ses chances de réussite.

Qu’importe, Darmanin croit pouvoir réaliser cet exploit. Au volant de son rouleau compresseur, il reçoit en continu, quitte à déjeuner et dîner plusieurs fois par jour. Rien ne doit lui résister. La politique ce n’est «pas que de l’arithmétique», mais une «dynamique», veut-il croire. Mais la magie n’a pas opéré. «A Renaissance, ils ont peut-être cru que Gérald Darmanin était un redoutable négociateur. Il l’est, ainsi qu’un des meilleurs orateurs et débatteurs, convient Benjamin Lucas, le député du groupe écologiste qui a défendu la motion de rejet préalable. Mais tout talentueux qu’il est, il se heurte à la réalité de l’Assemblée nationale en 2023.» Arithmétique.

Libération

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