Paris finalise ses ultimes arbitrages concernant l’avenir de sa présence militaire sur le continent. Un dispositif totalement renouvelé doit être officialisé prochainement.

Le Commandement pour l’Afrique (CPA). C’est le nom de la nouvelle structure qui chapeautera à partir du mois de septembre l’action de l’armée française sur le continent. La création de ce pôle était dans les cartons depuis plusieurs mois, comme l’a dévoilé l’AFP. Une vingtaine d’officiers ont d’ores et déjà été affectés à ce futur commandement africain, qui devrait à terme voir ses effectifs monter à près de 80. La direction de la nouvelle structure a été confiée au général Pascal Ianni. Le gradé, très apprécié du chef d’état-major des armées (CEMA), le général Thierry Burkhard, dispose d’un fort tropisme africain. Ancien conseiller « Afrique » au cabinet de l’ex-ministre des armées Florence Parly, il était depuis 2022 à la tête du pôle « prospective et stratégie militaire », où il était notamment très mobilisé sur la lutte informationnelle.

Pour remplacer Pascal Ianni, et alors que les opérations d’influence russes sur le continent ont connu une nette intensification ces derniers mois, c’est le profil du général Jean-Michel Meunier qui a été choisi. Depuis août 2023, ce dernier officie comme commandant de l’état-major interarmées du territoire national.

Ce Commandement pour l’Afrique est directement inspiré du Commandement Terre pour les opérations aéroterrestres en Europe (CTE), basé à Lille, dont la création avait été annoncée par Paris en octobre 2023. Si le site de la forteresse du Mont-Valérien a un temps été envisagé pour accueillir le futur CPA, celui-ci s’établira finalement à Balard, dans le 15e arrondissement de Paris, au ministère des armées.

Réduction des effectifs

Selon la nouvelle architecture, il sera placé sous l’autorité du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), dirigé par le général Philippe Geay de Montenon, qui dispose de longue date d’une direction Afrique. En coulisses, la création de ce nouveau commandement, dont la montée en puissance sera étalée sur les deux prochaines années, a largement été parrainée par le CEMA français. Une telle structure avait néanmoins été initialement proposée par l’ancien chef d’état-major particulier d’Emmanuel Macron entre 2020 et 2023, l’amiral Jean-Philippe Rolland.

Le CPA sera notamment chargé de coordonner l’action des contingents français déployés en Afrique et notamment dans les bases d’Abidjan, Dakar, Libreville et N’Djamena. Bien qu’une décrue ait d’ores et déjà débuté à Dakar et Abidjan, la question du Tchad a suscité d’intenses débats jusqu’à la fin du mois de mai. Si l’option d’un envoi d’une compagnie supplémentaire – environ 300 hommes – dans la capitale tchadienne a un temps été étudiée par l’EMA, elle a finalement été abandonnée début juin. En définitive, les effectifs français présents à N’Djamena devraient être divisés par trois pour passer de 1 000 à 300.

Le nombre de militaires français à Dakar devrait, quant à lui, être abaissé selon une hypothèse basse à 80 permanents. De leur côté, le Gabon comme la Côte d’Ivoire devraient ne conserver chacun qu’une centaine d’éléments, contre les 350 et 600 soldats que les deux pays abritent respectivement à l’heure actuelle.

Accès aériens et maritimes

Cette « réarticulation » devrait aller de pair avec la disparition des officiers généraux qui étaient jusqu’à présent déployés à la tête des Éléments français au Sénégal (EFS) et des Éléments français au Gabon (EFG). Si l’idée est embryonnaire à ce stade, le scénario de la nomination d’un attaché de défense avec le grade de général à Abidjan ou à Dakar est néanmoins étudiée sérieusement. En dépit des changements en cours, elle permettrait à Paris d’envoyer un signal fort aux autorités locales. Jusqu’ici, seul un nombre restreint de représentations françaises, notamment à Washington, Berlin, New York, Moscou ou encore Pékin, disposent d’un attaché de défense pourvu du grade de général où d’amiral, le poste étant traditionnellement confié à des colonels.

Si elle souhaite poursuivre sa coopération autour d’un partenariat resserré avec les États concernés, l’armée française entend en priorité conserver ses accès aériens et maritimes. Alors que le scénario d’une crise politico-sécuritaire est scruté de près, Paris estime crucial de détenir une capacité à intervenir avec souplesse et réactivité pour protéger ses ressortissants en cas de dégradation majeure. Le nouveau dispositif pourrait en ce sens faire écho au modèle de l’Africom, le commandement militaire américain pour l’Afrique : une présence physique réduite au sol, mais assortie d’unités prépositionnées en Europe et capables d’être déployées sur des théâtres de crise dans les plus brefs délais. Côté américain, cette dernière fonction est assurée par les US Marine Corps Forces Europe and Africa (MARFOREUR/AF), dont les 2 000 hommes sont stationnés à proximité de Stuttgart, en Allemagne.

« Précédent » nigérien

Dans certains pays, dont le Sénégal, la nouvelle architecture pourrait être assortie d’une montée en puissance du rôle joué par la Marine nationale française, dirigée par l’amiral Nicolas Vaujour. Dans le cadre de l’opération Corymbe, les forces navales assurent déjà des missions de sécurisation du golfe de Guinée en collaboration avec leurs homologues africains. Un renforcement du rayon d’action des marins en Afrique qui suscite des craintes au sein de l’armée de terre, longtemps porte-étendard de l’armée française sur le continent.

Mise en avant par Emmanuel Macron, la perspective de bases cogérées par les militaires français et leurs partenaires africains ne devrait pas être généralisée à l’ensemble des pays concernés par la réarticulation. Paris entend éviter une répétition du « précédent » nigérien : dans la foulée du coup d’État ayant renversé Mohamed Bazoum, le 26 juillet 2023, les militaires français avaient directement été pris à partie et exposés par leurs « frères d’armes nigériens ».

Scénario intermédiaire

La présentation de ce nouveau dispositif militaire français en Afrique marquera l’épilogue de près de deux ans d’intenses débats au sein de l’armée. Au lendemain du putsch nigérien et du rapatriement dans l’urgence des 1 500 militaires français présents dans le pays, le CEMA Thierry Burkhard avait été partisan d’une ligne dure. De son côté, le chef d’état-major de l’armée de terre, Pierre Schill, avait plaidé auprès du numéro un des forces françaises pour un scénario intermédiaire. C’est en partie lui qui a convaincu le général Burkhard de maintenir un dispositif consistant en Afrique.

Sur le plan opérationnel, c’est le CPCO, en étroite coordination avec le cabinet du ministre des armées, Sébastien Lecornu, qui a été chargé de proposer trois scénarios. Ils ont été transmis fin 2023 au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), chargé de préparer les conseils de défense. Emmanuel Macron a finalement opté pour une solution « intermédiaire », avec un maintien des « empreintes » françaises dans une forme totalement renouvelée, assorti d’une réduction drastique des effectifs. Un choix également encouragé par le Quai d’Orsay.

Formation d’un nouveau gouvernement

Reste que l’officialisation de cette nouvelle présence française pourrait être retardée par la vive actualité politique française. Après la dissolution annoncée le 9 juin par Emmanuel Macron et la formation d’un nouveau gouvernement au lendemain des élections législatives, la reconduction de Sébastien Lecornu est loin d’être actée. Depuis le dernier remaniement du mois de janvier, l’ancien détenteur du portefeuille des outre-mer se retrouve par ailleurs affaibli : outre un recul dans l’ordre protocolaire, son ministère avait été proposé à plusieurs personnalités politiques, notamment à François Bayrou.

Des clarifications sur l’avenir de la présence française sur le continent auraient pu être attendues en marge de la traditionnelle soirée du 13 juillet dans les jardins de l’Hôtel de Brienne. Mais Emmanuel Macron pourrait être contraint de revoir ses plans. Fin mai, il a consulté le CEMA ainsi que son chef d’état-major particulier, le général Fabien Mandon, pour préparer l’événement. Parmi les pistes à l’étude, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’annoncer une hausse du budget des armées à 3 % du PIB. Une orientation forte, qui devrait néanmoins être tributaire des équilibres politiques qui émergeront au lendemain du second tour des élections législatives du 7 juillet.

Pierre-Elie de Rohan Chabot, Paul Deutschmann

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